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Oxfam-Magasins du monde

Le commerce équitable : un levier pour soutenir l’agriculture paysanne

Analyses
Le commerce équitable : un levier pour soutenir l’agriculture paysanne

En plus d’interpeller les responsables politiques et les citoyens sur les enjeux énormes de la construction d’un système alimentaire mondial durable et d’expliquer en quoi les politiques agricoles actuelles font fausse route, la campagne « Cultivons » d’Oxfam a l’ambition de présenter des alternatives concrètes pour soutenir une agriculture paysanne. Le commerce équitable figure en bonne place parmi ces alternatives de consommation accessibles à chacun(e) d’entre nous.

Commençant par la présentation des principaux atouts du commerce équitable pour soutenir les paysans du Sud, cette analyse reprend des exemples d’initiatives menées par des organisations paysannes actives dans le commerce équitable et entretenant des relations de partenariat avec Oxfam. Ces exemples montrent comment le commerce équitable peut jouer un rôle de levier en renforçant des projets collectifs inscrits dans l’agriculture paysanne.

Climat et alimentation : des enjeux globaux

  • Le changement climatique est en partie provoqué par les activités agricoles. En raison du recours à des modes de productions industriels non durables, les activités agricoles sont en effet responsables de près du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Une partie des réponses aux défis climatiques doit donc consister à promouvoir l’agriculture à caractère plus durable, soit l’agriculture paysanne.
  • Les paysans sont évidemment en première ligne. 43% de la population active mondiale travaille dans le secteur agricole. Les petits exploitants agricoles sont 1,5 milliard de par le monde (en comptant les membres de leurs familles). Dans les pays dits « moins avancés » (PMA), il est fréquent que la main d’œuvre agricole représente jusqu’à 70% du total des emplois [[highslide](1;1;;;)DAYEZ, Corentin, PARMENTIER, Stéphane, L’agriculture paysanne peut nourrir le monde et refroidir la planète, Etude d’Oxfam-Magasins du monde, février 2011, p.37. [/highslide]]. Par ailleurs, plus de 70% des pauvres vivent dans les zones rurales des pays du Sud, selon le Fonds international de développement agricole (FIDA, une agence des Nations Unies) [[highslide](2;2;;;)FIDA, Rapport sur la pauvreté rurale 2011. [/highslide]]. Créer des conditions favorables à une agriculture durable, c’est aussi répondre aux besoins élémentaires d’une partie considérable de la population mondiale.
  • Les consommateurs sont eux aussi concernés.
    • Beaucoup d’entre eux ne parviennent pas à se nourrir correctement. On compte 925 millions de personnes sous-alimentées, dont 98% qui vivent dans le Sud [[highslide](3;3;;;)FAO, La sous-alimentation dans le monde en 2010. [/highslide]] et 80% qui sont des ruraux. Ces derniers produisent de la nourriture, mais sont trop pauvres pour acheter les aliments dont eux et leurs familles ont besoin pour vivre.
    • D’autres consommateurs ont assez de moyens pour ne pas penser uniquement en termes de survie et peuvent, dans une certaine mesure, poser des choix de consommation en faveur d’une agriculture durable. Car des alternatives durables de consommation existent et doivent être soutenues pour continuer à exister, pour grandir et pour encourager d’autres acteurs à aller dans la même direction.

Le commerce équitable fait partie des outils permettant de soutenir les initiatives portées par des organisations paysannes du Sud. S’il reste une activité d’ampleur limitée par rapport à l’immensité des défis agricoles et alimentaires, le commerce équitable apporte tout de même un soutien concret à des centaines de milliers de paysans dans le Sud. Comme l’écrit Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation [[highslide](4;4;;;)

DE SCHUTTER, Olivier, Le secteur agroalimentaire et le droit à l’alimentation, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, 22 décembre 2009, p.20.

[/highslide]],

dans les endroits où un système de commerce équitable a été mis en place, les agriculteurs concernés ont bénéficié d’importantes améliorations.

L’exemple de Lao Farmers’ Products (LFP), au Laos

Les paysans de LFP sont des utilisateurs convaincus de l’engrais naturel et économique qu’est le compost. Ainsi, les producteurs de riz fabriquent un compost à base d’enveloppe de grains, de paille de riz et de fumiers d’élevage, auquel ils ajoutent un jus issu de la fermentation du sucre de canne.

Pour protéger leurs cultures, les paysans recourent à la lutte intégrée, qui implique de combiner simultanément différentes méthodes paysannes sans faire appel à des produits chimiques. Les escargots attaquant les plans de riz sont mangés par les canards ou récoltés pour être cuisinés. Les chenilles sont repoussées grâce à l’usage d’une décoction à base d’une plante locale très amère, de tabac, de sucre et d’eau. Pour combattre les insectes, un liquide obtenu par la condensation des vapeurs issues de la combustion du bois lors de la fabrication du charbon est pulvérisé sur les rizières.

Source : Artisans du Monde

Commerce équitable = agriculture paysanne ?

Le commerce équitable constitue un levier intéressant pour soutenir l’agriculture paysanne. Mais cela ne signifie pas que toutes les démarches de commerce équitable impliquent uniquement des paysans.

En effet, Fairtrade International, plateforme internationale regroupant plusieurs organisations de labellisation de commerce équitable (dont Max Havelaar), a fait le choix de ne plus travailler uniquement avec des « organisations de petits producteurs », mais aussi avec les structures employant une « main d’œuvre salariée », aussi appelées « plantations ». Les plantations reposent sur un tout autre modèle que les organisations de producteurs, en fonctionnant sur base d’une relation entre le propriétaire de la plantation et les salariés qu’il emploie.

Dans un premier temps, les standards de commerce équitable pour les plantations ne devaient exister que pour des produits relativement peu cultivés pas des petits producteurs, comme le thé. Cependant, par la suite, de plus en plus de plantations fournissant des produits également cultivés par des petits producteurs – comme les bananes – ont été certifiées équitables [[highslide](5;5;;;)

RAYNOLDS, Laura T., MURRAY, Douglas L., WILKINSON, John, Fair Trade, The Challenges of Transforming Globalization, mai 2007, p.150.

[/highslide]]. Cela peut créer une situation de compétition entre organisations de petits producteurs et plantations, ces dernières étant généralement mieux armées pour répondre aux besoins de la grande distribution. D’un autre côté, la création de standards de commerce équitable pour les plantations permet d’améliorer la situation des salariés qui y travaillent.

Malgré cette évolution importante pour le secteur du commerce équitable, les organisations de petits producteurs sont restées au centre de la démarche de commerce équitable d’Oxfam. S’il est vrai que différentes visions coexistent dans le secteur du commerce équitable sur les acteurs avec qui travailler dans le Sud, le commerce équitable reste un outil permettant d’appuyer de nombreuses organisations paysannes, comme l’illustrent les exemples cités brièvement dans cette analyse.

La force du collectif

Le premier facteur de renforcement des paysans qu’implique le commerce équitable se situe au niveau de leur organisation. On ne trouve en effet pas de paysans isolés dans le commerce équitable. Les paysans doivent souvent faire face à des intermédiaires commerciaux mieux informés qu’eux et dont l’objectif principal est de réaliser du profit. En mettant en commun des res
sources et en négociant collectivement les prix de leurs produits, les paysans renforcent leur position dans les échanges commerciaux. Par ailleurs, le fait de se regrouper permet de réaliser des projets bénéficiant à l’ensemble des producteurs. Par exemple, l’achat de machines pour la transformation de matières premières – opération qui permet de créer une plus grande valeur ajoutée que la production et la vente des seules matières premières – est envisageable pour une organisation, alors que les producteurs marginalisés n’ont généralement pas les moyens d’investir. Les cas présentés dans cette analyse sont autant d’exemples de la manière dont des organisations partenaires d’Oxfam actives dans le commerce équitable portent des projets collectifs.

Kuapa Kokoo : quand les producteurs sont actionnaires

Dans certains cas, le renforcement des organisations dans le cadre du commerce équitable permet des réalisations considérables. La coopérative ghanéenne Kuapa Kokoo en est certainement l’un des exemples les plus remarquables. Les plus de 45 000 paysans membres de Kuapa Kokoo détiennent pas moins de 45% du capital de la marque britannique de chocolat « Divine Chocolate ». Autrement dit, ils ne se contentent pas de fournir une matière première agricole produite dans des conditions justes, mais ils participent activement à la prise de décision au sein de l’entreprise britannique qui achète une partie de leur cacao et distribue un produit fini de qualité sur les marchés britannique et états-unien.

S’il a dû bénéficier d’un soutien conséquent de la part de différents acteurs européens pour se concrétiser, ce projet très ambitieux et couronné de succès trouve son origine dans une décision de l’assemblée générale des paysans membres de Kuapa Kokoo datant de 1997.

La garantie d’un prix juste

Le prix payé aux paysans pour leur production joue un rôle déterminant, dans la mesure où un revenu insuffisant mettra directement en péril leur capacité d’acheter de la nourriture. Le paiement d’un prix rémunérateur est donc l’un des aspects les plus importants du commerce équitable.

Alors que les prix agricoles sur les marchés sont soumis à une grande volatilité (voir figure 1), le commerce équitable fonctionne avec un prix minimum garanti, qui assure aux producteurs que le prix payé pour leurs produits ne descende jamais en-dessous d’un seuil déterminé. Lorsque les prix sur les marchés conventionnels dépassent le prix minimum du commerce équitable, le prix payé aux producteurs est relevé, de manière à ne pas être inférieur au prix du marché conventionnel.

Figure 1 – Evolution de l'indice des prix alimentaires. Source: Banque Mondiale et Alternatives Economiques

De plus, une prime de commerce équitable est versée par les acheteurs aux organisations de producteurs. Cette prime, dont le niveau est fixé par volume pour chaque produit, sert à financer les projets collectifs et le développement de chaque organisation.

Les organisations de commerce équitable du Nord et du Sud ont tout intérêt à bien expliquer aux producteurs et aux consommateurs que les avantages du système qu’ils promeuvent dépassent largement le paiement d’un prix juste à un moment donné et assurent une certaine stabilité des prix sur le long terme. Et ce, d’autant plus que l’avantage que présente cette pratique est variable dans le temps. Ainsi, les prix des matières premières agricoles sont actuellement élevés sur les marchés. En avril 2011, le cours mondial du café arabica a atteint son niveau le plus haut depuis 34 ans, à 3,03$ la livre, en raison d’une spéculation agressive et d’inquiétudes concernant la production de café du Brésil et de la Colombie. Il y a dix ans, en octobre 2001, la surproduction de café avait entraîné une plongée du cours de l’arabica à 0,45$. Lorsque le marché offre un bon prix, le prix du commerce équitable perd une partie de son attrait. Il est alors tentant pour les paysans de vendre leur production sur le marché conventionnel, à des intermédiaires qui paient cash et sont moins exigeants que les acteurs du commerce équitable sur la qualité et les méthodes de production. Le fait qu’il puisse exister un écart entre le prix fixé à l’avance au sein de l’organisation de producteurs et le prix offert directement par l’acheteur sur le marché conventionnel est un autre aspect qui complique la tâche des acteurs du commerce équitable.

Figure 2 – Le cours du café arabica de 1989 à 2011 : comparaison du prix de la Bourse de New York et du prix minimum du commerce équitable. Source : Fairtrade Foundation.

Pourtant, dans la mesure où personne ne peut prédire l’évolution des prix sur les marchés, le prix minimum garanti garde toute sa pertinence dans une approche de long terme. La prise en compte du long terme se retrouve dans d’autres principes de base du commerce équitable, comme le préfinancement des commandes par les importateurs ou l’établissement de relations de partenariat faites pour durer entre importateurs et organisations de producteurs.

L’exemple d’IKURU, au Mozambique

Au Mozambique, IKURU est une organisation qui vise à améliorer les conditions de vie des familles paysannes via l’amélioration des infrastructures et de la qualité de la production et via l’accès de leurs produits aux marchés. Pas moins de 29 000 paysans regroupés au sein d’associations locales sont membres d’IKURU.

La plus grande partie de la production vivrière (70%) est directement consommée par les paysans et leurs familles, tandis que le reste est commercialisé par IKURU. La vente de cacahuètes, de noix de cajou et de graines de sésame dans le cadre du commerce équitable représente 30% des revenus de l’organisation, alors que ces produits ne représentent que 5% de la production totale. Pour IKURU et ses membres, le commerce équitable présente donc un avantage en termes de rentabilité. Les bénéfices générés via le commerce équitable contribuent notamment à financer la formation des paysans et à améliorer les infrastructures.

Pour une agriculture durable

Le respect de l’environnement fait partie des principes de base du commerce équitable. Les critères de commerce équitable comportent un important volet environnemental, interdisant notamment les organismes génétiquement modifiés et le recours à des intrants chimiques nocifs. Mais beaucoup d’organisations de producteurs ne se contentent pas de respecter les critères minimaux et vont plus loin, en cherchant et en appliquant des méthodes aussi durables que possibles. Les revenus générés par le commerce équitable contribuent dans de nombreux cas à améliorer les techniques et la formation des paysans. Ainsi, l’exemple de Green Net, en Thaïlande, illustre bien comment les démarches de commerce équitable et d’agriculture biologique se complètent et se renforcent mutuellement [[highslide](6;6;;;)

Voir l’analyse Green Net : agir pour le climat avec le bio et l’équitable

[/highslide]] .

L’exemple d’El Ceibo, en Bolivie

El Ceibo est une centrale de 49 coopératives de petits producteurs de cacao qui a été fondée en 1977 afin de commercialiser le cacao des coopératives sans passer par des intermédiaires et d’assurer la transformation du cacao brut en beurre de cacao, en poudre de ca
cao et en chocolat. Les coopératives rassemblent plus de 1200 familles paysannes indigènes.

La promotion des méthodes de l’agriculture biologique et de l’agroforesterie fait partie des priorités d’El Ceibo. L’élagage des arbres de cacao génère des résidus végétaux utilisés pour la fabrication d’un engrais naturel. En plus du cacao, les familles produisent, selon des méthodes agroforestières, des bananes, des agrumes, du riz et d’autres aliments destinés à la consommation familiale et à la vente locale. Par ailleurs, El Ceibo est la toute première organisation paysanne à avoir exporté, en 1988, du cacao équitable certifié biologique.

En plus de son action dans le domaine de la commercialisation du cacao, El Ceibo a créé une fondation (PIAF) dont la mission est d’apporter un soutien technique aux producteurs et de favoriser l’échange de savoir-faire entre eux.

Le prix d’achat du cacao par El Ceibo est fixé par l’assemblée générale, en tenant compte des coûts de production, des taxes et des frais de fonctionnement. Si El Ceibo s’est d’abord orienté vers le marché de l’exportation, l’organisation n’exporte plus que 44% de la production de ses membres. Le reste est vendu sur le marché local.

Source : Grupo Red de Economía Solidaria del Perú (GRESP)

Le commerce équitable, un levier pour des projets ambitieux

Pour conclure, il nous semble important d’insister sur le fait que beaucoup d’organisations paysannes du Sud n’ont pas attendu les organisations du Nord pour agir. D’ailleurs, les échanges dans le cadre du commerce équitable avec des acteurs commerciaux du Nord coexistent généralement avec d’autres activités menées par les organisations concernées, comme la vente de produits transformés sur le marché local. Mais le commerce équitable joue un rôle-clé, en facilitant l’établissement de relations dans la durée entre partenaires commerciaux, sur base de principes permettant notamment une rémunération juste des producteurs et le développement de projets collectifs bénéficiant à des communautés entières. Le slogan « Trade, not aid » (« Du commerce, pas de l’aide »), porté en 1964 par les représentants des pays du Sud à la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) pour exiger un commerce moteur de développement, garde aujourd’hui toute sa pertinence.

François Graas
Service politique