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Tintsaba, partenaire de commerce équitable au Swaziland.

Analyses
Tintsaba, partenaire de commerce équitable au Swaziland.

Tintsaba, entreprise privée à vocation sociale du Swaziland, qui commercialise des paniers, bijoux et accessoires, en sisal, argent et roseau, est gérée par et pour des femmes. Elle applique les principes du Commerce Equitable depuis sa création en 1985 et, en tant que membre de WFTO depuis 2004, elle procède à une auto-évaluation participative tous les deux ans. Le niveau de conformité à chaque principe du commerce équitable est discuté dans une réunion où employées et représentantes des artisanes déterminent ensemble les progrès réalisés et les objectifs pour les deux années suivantes.
Cette auto-évaluation ainsi que l’analyse des diverses informations fournies par Tintsaba mettent en évidence l’impact de son action de commerce équitable sur la vie des artisanes des milieux ruraux du Swaziland, dans un contexte socio-économique particulièrement difficile.

Situation économique précaire et conséquences sociales dramatiques

Avec un peu plus d’un million d’habitants pour 17363 km², le Swaziland est l’un des pays les plus petits et les moins peuplés au monde. En croissance jusqu’en 2009, la dernière monarchie absolue d’Afrique, est depuis lors en proie à une crise économique majeure liée à la chute des recettes de l’Union douanière de l’Afrique Australe dont bénéficiait le pays.
Les conséquences sociales sont dramatiques. En 2011, le gouvernement a choisi de privilégier le payement des frais de scolarité des orphelins et enfants vulnérables et a pour cela décidé de suspendre le payement des pensions [[highslide](1;1;;;)
Déjà maigres, 85 dollars par trimestre depuis 2009
[/highslide]] pourtant vital pour les 5% de la population qui ont plus de 60 ans puisqu’il n’existe aucun autre système de sécurité sociale.
Aujourd’hui, plus de deux tiers de la population vit avec deux dollars ou moins par jour [[highslide](2;2;;;)
En 2011, un pain coûtait 1 dollar
[/highslide]] et le taux de chômage de plus de 35%.
L’économie est assez diversifiée mais 75% de la population dépendent d’une agriculture de subsistance pratiquée sur des terres peu productives. Dans l’incapacité de se rendre en ville pour vendre leur production maraîchère, de nombreuses personnes vivant en milieu rural ne peuvent plus subvenir aux frais de scolarité des enfants à leur charge.
Sur le plan de la santé, le pays connaît le taux de prévalence VIH-Sida le plus élevé au monde (environ 25%). La forte mortalité qui en résulte a ralenti la croissance démographique. Un tiers des enfants swazis sont orphelins du Sida. Situation aggravée par le manque de moyens financiers pour accéder aux soins de santé. L’espérance de vie moyenne qui était encore de 57,3 ans en 1993 est actuellement de 32 ans.
Sur le plan politique, le roi exerce une autorité suprême sur les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Tintsaba, une entreprise en plein développement

Née en 1985 avec 12 artisanes et une boutique de vente au détail, Tintsaba est aujourd’hui une entreprise active dans la production, la transformation, la vente au détail, la distribution et l’exportation ainsi que l’éducation et la sensibilisation, avec un chiffre d’affaires annuel avoisinant les 300.000 dollars, même si les bénéfices restent encore assez limités.
900 personnes ont déjà bénéficié du travail de Tintsaba. La plupart sont des femmes supportant seules la charge de leur ménage. Actuellement, seuls2 artisanssont des hommes. Selon les responsables de Tintsaba, l’entreprise a choisi d’appuyer prioritairement les femmes parce qu’aucune politique d’égalité des genres n’existe dans le pays. Mais les hommes ne sont pas refusés pour autant. C’est plutôt une question culturelle. L’artisanat considéré traditionnellement comme une activité « de femmes » n’est pratiqué par les hommes que lorsqu’il n’y a pas de travail ou uniquement de manière accessoire.
Pour atteindre son objectif d’améliorer les revenus des populations les plus marginalisées, une équipe de 24 employées à temps plein, toutes des femmes, a développé une approche globale basée à la fois sur l’entreprenariat et sur des programmes sociaux, avec un accent sur la formation et le développement personnel. Tintsaba a d’ailleurs été récompensée en 2011 du Be Fair Award « for her » par lequella Coopération Techniquebelge entendait honorer son approche jugée novatrice.

Production et commercialisation

Payées à la pièce, les artisanes n’ont aucun frais préalable àla production. Lafourniture aux groupes de productrices, des matières premières (essentiellement sisal, roseau et teintures) achetées par Tintsaba fait office de préfinancement. Tintsaba achète la totalité de la production des artisanes à un prix correspondant au « grade » sur une échelle de qualité. Aucun produit n’est refusé. Pour maintenir cette politique d’achats, Tintsaba fournit des efforts marketing constants pour attirer de nouveaux clients afin d’amortir les variations de commandes et d’augmenter le nombre de productrices de 5% chaque année.
Tintsaba s’engage à acheter tout ce que les artisanes produisent même lorsqu’il n’y a pas ou peu de commandes mais lorsque les commandes sont élevées, elle connaît de problèmes de capacité de production.
Le calcul de prix se fait de manière participative et transparente, sur base du nombre d’heures nécessaires à la fabrication d’une pièce
La politique de calcul et fixation des prix a été améliorée avec l’introduction de graphiques de type « camembert » illustrant la décomposition du prix. Ce système est utilisé comme outil de formation de personnes relais dans chaque groupe.
Deux fois par an se tient une réunion avec chaque groupe pour décider de l’augmentation des prix des produits en s’assurant que celui-ci couvre une rémunération supérieure au salaire minimum légal en vigueur. L’auto-évaluation de2009 apointé la difficulté de trouver l’équilibre entre une augmentation progressive de la rémunération horaire tout en maintenant des prix de vente acceptables pour les clients.
Malgré une transparence de la part de Tintsaba concernant les informations financières (fixation de prix, publication de rapports financiers,…), l’entreprise est confrontée au faible niveau d’alphabétisation et de scolarisation de nombreuses productrices. C’est ce que mettait en évidence la dernière auto-évaluation, qui préconisait de mettre l’accent sur la documentation ainsi que la formation de formatrices au sein de chaque groupe.
Tintsaba a une approche ouverte en matière de design et d’information marketing. L’organisation acquiert et partage les informations avec toute personne intéressée. Elle met à leur disposition des magazines de design ainsi que sa liste de clients.

Activité économique, créativité artistique et développement personnel

Nomphumelelo Dlamini est la lauréate de la compétition des Maîtres tisserandes en 2009. Après avoir travaillé dans une usine où les conditions de travail et la rémunération n’était pas satisfaisante, elle s’est formée chez Tintsaba où elle a acquis le statut de Maître tisserande en 4 ans. Son mari est sans emploi et aujourd’hui, elle subvient aux besoins de sa famille composée de 5 personnes et forme d’autres femmes dans l’organisation.

La production et la vente de paniers, bijoux et décorations en sisal représente une activité économique non négligeable. Les ventes se font pour moitié à l’exportation vers les marchés du Nord tandis que l’autre moitié se répartit entre le marché local (dans 4 boutiques) et le commerce avec d’autres pays du Sud.
Tout le bénéfice est réinvesti dans l’entreprise. Il n’y a pas de distribution de dividendes. Ce sont les directeurs qui décident, lors de réunions annuelles du plan d’action de l’année suivante et l’affectation des bénéfices. L’installation d’un système informatique, le payement de consultants en développement de produits ou l’établissement de la clinique mobile sont quelques exemples d’utilisation des bénéfices. Mais c’est surtout sur la formation que Tintsaba met l’accent afin de permettre aux femmes d’accéder à des revenus plus élevés et d’améliorer leur statut social. Concrètement, les employées et les artisanes ont accès à des programmes de formation, individuels ou collectifs, dans des domaines aussi variés que le permis de conduire, la comptabilité, le design, la gestion,…
Elle encourage également les groupes à ouvrir un compte bancaire pour la gestion des payements. C’est une manière de renforcer leurs capacités de gestion.
A travers le renforcement des compétences professionnelles, Tintsaba vise le développement personnel des artisanes. Des formations techniques, sociales et environnementales permettent aux femmes de passer du statut d’artisane « novice » à celui de Maîtres tisserandes reconnues pour leurs produits de grande qualité, catégorisés par grade en fonction des qualités techniques et artistiques.
Certaines sont devenues des bijoutiers et orfèvres qui forment d’autres femmes à leur métier, créant un cercle vertueux de développement continu pour les femmes du Swaziland
Une compétition des Maîtres tisserandes est organisée annuellement. Chaque participante se voit attribuer un bonus et les gagnantes reçoivent un prix en cash
Les modèles sont développés grâce à la créativité des femmes elles-mêmes. Les Maîtres tisserandes ont développé des modèles uniques, valorisant la culture locale et des techniques fines qui leur permettent d’atteindre un revenu plus important pour le même nombre d’heures de travail. Ayant débuté par la fabrication de paniers en sisal, elles ont affiné les techniques traditionnelles pour confectionner de fins bijoux en matière organique. C’est un effort continu pour le développement de produits et l’expansion des ventes à l’exportation afin d’assurer des commandes régulières aux femmes.
Certains groupes restent faibles  au niveau de la gamme de produits proposés. Tintsaba les encourage à diversifier les modèles afin d’assurer plus de stabilité à long terme dans les commandes, mais se heurte parfois à un manque de volonté de la part des productrices.

Des avantages et un impact social positif pour les employées et les artisanes

En plus de leur rémunération et de bonnes conditions de travail, respectant les règles de santé et sécurité, les employées bénéficient de congés payés, d’une assurance santé qui couvre les consultations médicales et les frais d’hospitalisation ainsi que d’un accès gratuit à la clinique mobile homéopathique mise sur pied par Tintsaba depuis 2008 pour renforcer sa politique de santé.
Conformément à la loi, Tintsaba cotise à un fonds national de pension pour ses employées qui ont aussi accès depuis 2009 à un système de prêts pour le logement et à un programme d’épargne.
Les productrices bénéficient quant-à-elles d’une assurance santé, d’un accès à la clinique homéopathique mobile, de tests gratuits des yeux et de lunettes lorsque cela s’avère nécessaire ainsi que d’un programme de sensibilisation et prévention Sida. Particulièrement important dans le contexte du Swaziland, ce dernier prend la forme de jeux de rôles, de formations à la nutrition, d’encouragements à se faire tester, de traitement homéopathique des symptômes en complément du traitement ARV mis à disposition gratuitement par les hôpitaux publics. Tintsaba forme également des conseillers et des pairs éducateurs et met des préservatifs à disposition.
Parmi le large éventail de programmes sociaux accompagnant le développement des compétences techniques et professionnelles, on relève également des projets d’accès à l’eau et un programme d’alphabétisation. Ce dernier a été mis en place en 2010 suite au constat que plus de la moitié des productrices et des formatrices étaient semi ou totalement illettrées. Il s’agit d’un programme d’alphabétisation fonctionnelle incluant des messages sur le développement personnel, l’éthique commerciale,… ainsi que sur la production et le développement de produits. Dans un premier temps, les femmes apprennent à lire les noms de couleurs, produits,… pour ensuite apprendre à signer, compter, lire un bulletin de paie, faire des mesures, envoyer des messages,…

Respect de la terre

Conscientisée aux enjeux environnementaux par sa directrice qui fut présidente du comité régional pour l’environnement, l’équipe de Tintsaba a développé des techniques de production respectueuses de l’environnement.
Ainsi, le sisal [[highslide](3;3;;;)
sisal Agave sisalenis
[/highslide]], est une  plante envahissante, habituellement employée pour les clôtures de bétail. L’utilisation de ses fibres ne menace pas la biodiversité. Elle est arrachée à la main et sa transformation implique peu d’eau et pas de produits chimiques. Toutes les étapes de la production sont manuelles.  Les teintures utilisées pour le sisal et l’argent sont certifiées AZO free [[highslide](4;4;;;)
AZO Free : sans métaux lourds, conformément à la législation européenne
[/highslide]] et le système utilisé est celui de épuisement. C’est-à-dire que toute la teinture est absorbée par la matière première au cours du processus. Le développement d’une gamme de teintures organiques est en cours mais reste un défi à relever. En ce qui concerne le roseau, il est coupé uniquement après la saison de floraison afin de lui assurer une croissance continue. Une association de femmes est en charge de la récolte des roseaux.
Tintsaba mène également des programmes environnementaux tels que l’atelier de plantation d’arbres et une formation continue de son staff à la gestion des déchets (tri, recyclage, réutilisation, incinération). Le bureau de Tintsaba est situé dans une réserve naturelle et le personnel est formé à générer un impact minimal sur l’environnement.

Travail en réseau pour un meilleur accès au marché et une plus grande reconnaissance du commerce équitable

Membre de COFTA[[highslide](5;5;;;)
Cooperation for Fair trade in Africa, réseau régional africain de WFTO.
[/highslide]], le réseau africain des organisations de commerce équitable, depuis sa création, Tintsaba est membre de WFTO[[highslide](6;6;;;)
World Fair trade Organisation
[/highslide]], l’organisation mondiale du commerce équitable, depuis 2004. Au niveau national, Tintsaba est membre de SWIFT[[highslide](7;7;;;)
Swaziland international Fair Trade association avec 18 organisations membres
[/highslide]], le réseau swazi de commerce équitable international, depuis sa création en 2009.
Tintsaba accorde une grande importance à la sensibilisation et au plaidoyer pour le commerce équitable. Un des points d’orgue annuels pour l’entreprise est la participation à la Journée mondiale du commerce équitable qui est, entre autres, une occasion pour le staff de vente au détail de sensibiliser les clients. La conscientisation au commerce équitable se fait à travers des articles dans les journaux locaux. En tant que vice présidente de SWIFT, la directrice de Tintsaba est une des portes paroles du réseau pour le lobbying auprès du gouvernement et de la fédération des employeurs afin de les sensibiliser aux principes du commerce équitable
Le staff de Tintsaba et les productrices sont informés à travers des réunions. Il n’en reste pas moins vrai que leur connaissance du commerce équitable reste partielle et nécessiterait d’avantage de travail de sensibilisation. Le programme d’alphabétisation fonctionnelle pourrait d’ailleurs être orienté aussi sur ces thèmes.

Conclusion

Entreprise à l’approche holistique, Tintsaba favorise le développement personnel des femmes artisanes en milieu rural tant au niveau individuel que collectif. Pour ce faire, elle a choisi d’adhérer aux principes du commerce équitable depuis sa création.
Si les progrès réalisés et l’impact de son travail sont globalement positifs, Tintsaba identifie elle-même un certain nombre de défis à relever pour le futur. La formation en est un élément clé. Elle devrait permettre d’améliorer en pratique la transparence et la participation des artisanes aux décisions. Cette question est étroitement liée à celle du calcul de prix couvrant une rémunération décente tout en maintenant des niveaux de prix acceptables pour les clients, faute de quoi la continuité des commandes ne serait plus assurée.
Deux autres chevaux de bataille de Tintsaba sont le respect de l’environnement, à travers l’amélioration des procédés de production et le développement de teintures organiques, ainsi que la promotion du commerce équitable et la sensibilisation de ses employées, artisanes et clients à ses principes de manière à le faire progresser.
Valérie Vandervecken, Responsable Partenariat Sud

Sources