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Oxfam-Magasins du monde

Une campagne sur le genre et l’artisanat équitable?

Analyses
Une campagne sur le genre et l’artisanat équitable?

L’objet de cette analyse est de présenter le contexte et les arguments en faveur d’une campagne Nord/Sud en 2015-2016 sur le genre et l’artisanat équitable, à la fois pour Oxfam-Magasins du monde et pour les partenaires impliqués. L’objectif ici n’est pas d’étudier l’impact de l’artisanat équitable sur les femmes, cet aspect étant largement développé dans une étude séparée [1. Veillard P. Novembre 2014. Genre et artisanat équitable. Impact de l’artisanat équitable sur l’empowerment des femmes en Inde et au Bangladesh.]. Il n’est pas non plus de définir de manière précise et complète un squelette commun de campagne ou les composantes spécifiques à chaque partenaire (sous-thématiques, actions, outils, etc.). Ces éléments seront discutés lors d’un séminaire ayant lieu à Bruxelles en décembre prochain, puis élaborés plus précisément durant la période de préparation de la campagne, prévue de janvier à août 2015.

Manifestation, journée mondiale du commerce équitable, Tara Projects – 2006
Manifestation, journée mondiale du commerce équitable, Tara Projects – 2006

Contexte

L’idée de conduire une campagne sur le genre et l’artisanat équitable s’inscrit au sein d’un projet plus large, dit de « changement social ». Financé par la DGD [2. Direction Générale du Développement, organe public en charge de la coopération au développement en Belgique.], ce projet visait dans sa première phase (2011-2013) à entamer une réflexion sur le renforcement de la place des partenaires du Sud dans la stratégie éducative d’Oxfam-Magasins du monde. Comme l’indique la note de stratégie « Education au développement » de la coopération belge [3. DGD. Mars 2012. Note de stratégie éducation au développement.], un argument était que, « pour mener une éducation au développement efficace, il importe de s’assurer de la pertinence et de la légitimité des messages transmis conjointement avec le Sud, et pour ce faire, d’associer des organisations du Sud dans l’approche d’éducation au développement ».
Plus largement, l’objectif était de voir comment mettre en place un partenariat au-delà de la simple relation commerciale, en développant avec une sélection de partenaires nos capacités respectives sur les plans social, éducatif et politique. Durant cette première phase, différents séminaires et missions de terrain ont permis aux partenaires du projet de débattre de leurs visions, stratégies et publics en matière de changement social, d’examiner quel rôle le commerce équitable pouvait y jouer ainsi que d’échanger outils, pratiques et expériences aux niveaux éducatif et/ou politique.
Durant le séminaire de clôture, quatre pistes de travail ont été identifiées : la poursuite des échanges sur les méthodes d’éducation des jeunes (ex. autour de la thématique de la consommation responsable), les outils d’information des consommateurs (en particulier sur les producteurs, via par exemple une démarche du type PPP [4. Produit / Partenaire / Projet Politique. Voir également l’analyse : Oxfam-Magasins du monde. Juillet 2011. 35 ans d’Oxfam-Magasins du monde. Des premiers pas d’Oxfam-Belgique aux nouveaux défis du commerce équitable.] d’Oxfam-Magasins du monde) et les pratiques d’éducation (populaire) (via par exemple une plateforme digitale de partage d’outils) [5. Parmi les 10 principes du commerce équitable de la WFTO, le principe 6 a ainsi été modifié en 2013 afin de davantage mettre l’accent sur l’empowerment économique des femmes. Ce principe exige maintenant de la WFTO et de ses membres qu’ils promeuvent l’égalité des sexes, garantissent aux femmes un accès aux ressources, notamment foncières, qu’ils leur octroient un salaire égal aux hommes (pour un travail de valeur égale), et ce même dans les situations d’emploi informel, et enfin, qu’ils tiennent compte des besoins de santé et de sécurité spécifiques aux femmes.]. Est également apparu un intérêt manifeste pour développer des campagnes communes Nord/Sud. La proposition d’Oxfam-Magasins du monde d’organiser une campagne genre et artisanat ayant été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme, l’idée serait donc d’en faire la principale composante du programme pour la période 2014-2016. Elle devrait ainsi constituer une manière concrète de travailler en commun entre partenaires sur les questions de changement social.

Argumentaire

Une campagne sur la thématique du genre et de l’artisanat équitable présente bien évidemment l’intérêt d’améliorer la visibilité et donc, espérons-le, le bien-être et l’autonomie des productrices travaillant pour nos partenaires. Un certain nombre d’éléments de contexte pourraient en améliorer l’impact :

  • La thématique s’inscrit parfaitement dans la nouvelle stratégie genre de la WFTO. Approuvée lors de la dernière AG de l’organisation, le 29 mai 2013 à Rio de Janeiro, cette stratégie encourage tous les membres à « élaborer des politiques et plans d’action clairs s’attaquant aux causes profondes des inégalités hommes / femmes » [6. WFTO. 08/03/2013. WFTO urges change by governments. Fair trade agenda to improve women’s lives marking international women’s day.]. Une campagne commune avec nos partenaires contribuerait à cette stratégie, aussi bien au Nord qu’au Sud, en particulier dans sa dimension politique, qui vise à « intégrer les considérations de genre dans les programme de plaidoyer, afin d’influencer les politiques et les décideurs à traiter les obstacles structurels qui empêchent les femmes d’exercer leurs droits ».
  • Le thème est cohérent avec la systématisation ces dernières années des aspects genre dans les politiques de développement. En Belgique, le genre a ainsi été conservé comme thématique transversale dans la nouvelle loi sur la coopération au développement de 2013, et pourrait même faire l’objet dans le futur de davantage de programmes spécifiques [7. La plupart des programmes de développement ne font « qu’injecter » du genre dans des projets bien précise, le plus souvent dans une filière agricole.]. De manière plus globale, l’année 2015 sera particulièrement intéressante puisqu’elle sera jalonnée de nombreux évènements liés aux deux thématiques (voir également tableau 1) :
    • Redéfinition des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), au sein du cadre global de développement de l’ONU [8. Une date clef sera notamment le sommet des Nations unies sur les OMD du 20 au 22 septembre.]. Plus particulièrement, de nombreux groupes de la société civile militent pour que l’égalité hommes/femmes constitue un aspect transversal de l’ensemble des nouveaux OMD [9. Il est également intéressant de noter que le nouveau rapporteur spécial de l’ONU au droit à l’alimentation, Ms. Hilal Elver, montre un intérêt pour le commerce équitable et le genre. Après sa nomination, le bureau européen de plaidoyer pour le commerce équitable lui a envoyé une lettre de félicitations, lettre à laquelle elle a répondu : « le commerce équitable, en particulier en lien avec la dimension de genre, me tient particulièrement à cœur ».].
    • Année européenne du développement, avec notamment le mois de mars consacré spécifiquement aux droits des femmes et des filles.
    • Vingtième anniversaire de la Déclaration de Pékin [10. La conférence mondiale sur les femmes à Pékin en 1995 a notamment permis de mettre en place la Plate-forme d’action de Beijing (PFAB). Cette plateforme a fixé deux objectifs aux organisations internationales, aux gouvernements et à la société civile : l’empowerment des femmes et l’intégration du genre au sein des politiques publiques. Elle a dans ce but été organisée autour de 12 domaines d’action prioritaires, chacun d’entre eux faisant l’objet d’un état des lieux régulier et de recommandations envers l’ensemble de la communauté internationale. Le contexte actuel est marqué par des risques de régressions, du fait d’un très fort lobbying des pays conservateurs, en particulier du Vatican vers les pays en voie de développement.], ce qui pourrait offrir visibilité et opportunités médiatiques, notamment dans le cadre de la campagne d’UN Women « Beijing +20 » [11. Voir le site d’UN Women pour la liste des événements prenant place dans le monde dans le cadre des préparatifs de ce 20ème anniversaire.].
  • Le sujet permet en outre à Oxfam-Magasins du monde et à ses partenaires de développer le contenu socio-politique de l’artisanat équitable (qui constitue l’intégralité ou la majorité de leurs activités). En effet, l’artisanat est généralement considéré comme moins chargé de sens politiquement que le secteur agricole. En démontrant / communiquant l’ensemble des impacts économiques, sociaux et politiques de l’artisanat équitable sur les questions d’inégalités hommes/femmes, la campagne a le potentiel de renforcer l’image et le positionnement politique des différentes organisations membres.

Tableau 1. Evènements genre et développement 2015 – 2016

Evènement

Date

Organisation

Journée internationale de la fille

11 octobre 2015

ONU

Semaine du commerce équitable

Octobre 2015

CTB [12. Coopération Technique Belge] 

Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes

25 novembre 2015

ONU

Focus genre de l’année européenne du développement

Mars 2015

Union Européenne

Journée internationale pour les droits des femmes

8 mars 2016

ONU

Journée mondiale du commerce équitable

11 mai 2016

WFTO / FLO

Evènement Beijing+20 durant les journées européennes du développement (Bruxelles)

Juin 2016

Commission Européenne

 
Plus spécifiquement pour Oxfam-Magasins du monde, la campagne devrait nous permettre de :

  • Réaffirmer notre positionnement en tant qu’acteur de commerce équitable avancé (cf. principe 3 du commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde – focus sur les producteurs et les travailleurs les plus défavorisés, et principe 7 – logique participative, via la co-construction d’une campagne) [13. Veillard P. Décembre 2012. Le commerce équitable aujourd’hui. Etat des lieux, tendances et positionnement d’Oxfam-Magasins du monde.].
  • Développer notre expertise dans le domaine de l’artisanat (cf. complémentarité avec la spécialisation alimentaire de notre organisation sœur Oxfam Wereld Winkels).
  • S’aligner avec la campagne d’Oxfam International sur les inégalités [14. Oxfam International. 2014. Time to end extreme inequality. ], et de manière plus générale, avec son plan stratégique 2013-2019 [15. Oxfam. 2013. Strategic Plan 2013-2019. The power of people against poverty.]. Ce dernier fait de très nombreuses références au genre, notamment dans l’un de ses 6 objectifs stratégiques de changement (objectif 2) [15. Parmi les références au genre dans les stratégies d’implémentation: « promotion du leadership et de la participation des femmes productrices dans l’ensemble des activités d’Oxfam, en particulier dans les réseaux de commerce équitable » ; « construction d’alliances avec les organisations de la société civile, notamment celles liées à la défense des droits des femmes » ; « formation des femmes pauvres à risque, afin qu’elles comprennent mieux leurs droits, et renforcement de leur capacité à diriger et à influencer les décideurs ». Source: Oxfam. 2014. Transformative leadership for women’s rights. An Oxfam guide. Understanding how leadership can create sustainable change that promotes women’s rights and gender equality.]. Une campagne N/S sur le genre et l’artisanat équitable s’inscrit de plus parfaitement dans la volonté d’Oxfam International de créer un « réseau mondial d’influence » (en anglais « Worldwide Influencing Network », ou WIN).
  • Contribuer à repolitiser notre mouvement (travail actuellement en cours au sein d’Oxfam-Magasins du monde), autour d’un thème relativement nouveau et potentiellement porteur auprès de nos bénévoles (cf. composition essentiellement féminine du mouvement).

On le voit, une campagne Nord/Sud en 2015-2016 sur la thématique du genre et de l’artisanat pourrait avoir un impact et une portée relativement importantes (d’autant plus si d’autres organisations s’y joignent, par exemple au sein du réseau WFTO). Menée de manière à la fois globale et complémentaire, elle devrait améliorer la crédibilité et la pertinence du discours des organisations partenaires vis-à-vis des citoyens et consommateurs Nord/Sud, dans l’objectif de renforcer la participation de ces derniers à un modèle de production et de consommation plus juste.
Patrick Veillard
Expert commerce équitable