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Lutte pour un salaire vital au Cambodge : comment agir ici ?

Analyses
Lutte pour un salaire vital au Cambodge :  comment agir ici ?

En octobre dernier, achACT accueillait quatre cambodgiens – deux travailleuses de la confection et deux permanents de C.CAWDU [1. Coalition of Cambodia Apparel Worker Democratic Union], principal syndicat de l’industrie de l’habillement au Cambodge. Durant trois semaines elles ont sillonné l’Europe. A l’occasion d’une soirée organisée par Oxfam ULB, Hong Chanthan et Vorng Demorng ont témoigné de leurs conditions de travail difficiles mais aussi des fortes mobilisations syndicales pour un salaire vital. Elles nous ont montré avec force qu’au-delà de l’image de victimes qui leur a souvent été associée, les travailleuses sont à la base d’importants mouvements sociaux en Asie.
Alors que les manifestations se multiplient au Cambodge, la question de la solidarité entre les luttes des travailleurs et la pression des consommateurs se pose de manière cruciale. C’est la raison pour laquelle des représentants des travailleurs belges et cambodgiens de H&M et Zara, ainsi que des représentants des consommateurs et clients de ces enseignes ont remis une déclaration commune aux responsables des sièges belges de ces entreprises.

« Nous sommes obligés d’emprunter pour nous nourrir et nous soigner »

hong-chanthanHong Chanthan a 35 ans. Elle a commencé à travailler dans la confection à l’âge de 20 ans. Depuis 2007, elle coud des pantalons dans une usine qui fournit Zara.
« Je viens d’un village à 195 kilomètres de Phnom Penh. Ma famille travaillait dans les champs et cultivait le riz. On était 8 enfants. A la mort de mon père, il a fallu trouver une solution, un travail. Je n’ai pas eu d’autre solution que de partir pour la capitale travailler dans une usine de confection.
Sur le contrat et suivant la loi cambodgienne du travail, il est noté que l’on travaille 8h par jour, 48h par semaine. Mais, ce n’est pas la réalité. Nous travaillons en réalité 12 heures par jour, six voire sept jours par semaine. On travaille même les jours fériés. Et, lorsqu’il y a des pics de commandes importantes, nous travaillons jusqu’à 20h par jour. Bien évidemment, nous n’avons pas de congés payés.
Je n’ai pas de vie, pas de mari. Je vis dans un petit studio de 12 mètres carré à vingt minutes à pied de l’usine. Je vis avec une partie de ma famille. Cinq de mes sœurs travaillent aussi dans des usines. Tous les matins, nous nous levons à 5h pour nous préparer. Nous finissons notre journée à 20h. Nous passons au marché, nous mangeons et nous nous couchons à 22h, épuisées.
Avec les heures supplémentaires, j’arrive à gagner 140$ (108€) par mois. Impossible pourtant de manger correctement, d’avoir des enfants ou encore moins d’épargner. Mon loyer est de 50$ (39€), l’eau et l’électricité coûtent 30$ (23€). Je dois aussi envoyer de l’argent à ma famille restée en Province, environ 20$ (16€) par mois. Envoyer de l’argent à ma famille est indispensable. Sans cet argent, ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins et se nourrir. C’est pour cette raison que je suis venue à Phnom Penh et la raison pour laquelle les familles envoient leurs filles, très jeunes, travailler dans la capitale. Je suis contrainte de faire un maximum d’heures supplémentaires pour être en mesure de leur envoyer de l’argent.
Après avoir payé tout ça, il ne me reste que 40$ (30€) pour tout le reste. Tous les ouvriers du Cambodge sont dans la même situation : nous sommes obligés d’emprunter. Impossible de nous nourrir ou de nous soigner, nous et notre famille, avec un salaire si faible.
Les conditions de travail se dégradent constamment. Il n’y a aucune sécurité, aucune hygiène. On est les uns sur les autres, il n’y a pas de place. Quand on veut aller aux toilettes, on est mal vu. On ne peut pas s’absenter de notre poste de travail. On ne peut pas parler. Après trois avertissements, on est suspendu pour une journée de travail. Le contremaitre nous insulte et nous traite de paysannes, d’ignorantes. Ils nous disent que si nous ne sommes pas contentes, d’autres attendent pour prendre notre place. Dans l’atelier, la chaleur est insupportable, la ventilation ne fonctionne jamais. La cadence est infernale. En plus, la grande majorité des travailleuses, comme moi, n’ont pas assez d’argent pour se nourrir correctement. La nourriture que nous pouvons nous offrir est très pauvre et pas de première qualité. Elle ne contient pas assez de calories ni de vitamines. Couplé à la cadence infernale, cela explique le grand nombre de syncope collective dans les usines de confection. En 2011, plus de 2400 travailleuses se sont évanouies d’épuisement.
Il y a bien trois syndicats dans mon usine, mais un seul vraiment indépendant, un seul qui tente de défendre les salariés. Malgré les pressions, les intimidations, les menaces de mort, et c’est surtout le cas lorsqu’on est une femme… Au Cambodge, les femmes doivent obéir. Elles doivent être dociles. C’est pour cela que l’énorme majorité des 600 000 salariés dans la confection sont des femmes.
Malgré cela, je ne me résigne pas. Nos droits sont tellement violés que j’ai décidé de devenir responsable syndicale. Même si les droits syndicaux sont constamment violés, on veut se battre et avoir le droit de faire grève ».

« Notre revendication actuelle de 137€, une étape vers un salaire vital » 

vorng-demorngVorng Demorng a 25 ans. Originaire de la campagne, elle a mené des études en Sciences Sociales. Elle a décidé de mettre ses compétences au service de la lutte des travailleurs. C’est pourquoi en 2013, elle a rejoint le syndicat indépendant C.CAWDU.
« J’ai participé aux manifestations de janvier et de septembre. Travailleurs et leaders syndicaux, nous voulons montrer notre volonté d’obtenir une hausse du salaire minimum. Le salaire actuel de 100$ (77€) est largement insuffisant pour vivre. C’est pour cela que nous exigeons des décideurs et des responsables qu’ils augmentent le salaire actuel. Si nous ne nous mobilisons pas, si nous ne montrons pas notre mécontentement, rien ne changera jamais et les travailleurs continueront de gagner un salaire de misère dans des conditions de travail inacceptables.
Actuellement, les travailleurs de l’habillement réclament un salaire de 177$ (137€). Cela représente une hausse important. C’est pourtant un montant encore très éloigné d’un « salaire vital ». En effet, l’Asia Floor Wage Alliance, une alliance de 80 organisations syndicales asiatiques et de défense des droits des travailleurs, a évalué à environ 285 € le minimum vital mensuel pour une travailleuse de l’habillement au Cambodge.

Ensemble, développer une solidarité de filière

Pour Demorng, les consommateurs et les travailleurs européens ont un rôle important à jouer pour soutenir les travailleurs mobilisés au Cambodge. « Les consommateurs européens ont le pouvoir de décider quels habits ils devraient acheter ou non. Les consommateurs peuvent donc agir. Le consommateur peut aussi faire pression sur les marques par rapport à ce qu’elles font. De cette manière, les marques pourront comprendre leurs erreurs et modifier leur façon de faire. Elles veulent faire du profit mais elles doivent le faire en prenant en considération l’environnement et le respect des droits des travailleurs. Les marques doivent respecter les droits des travailleurs et payer des salaires plus élevés à celles et ceux qui confectionnent leurs vêtements.
La solidarité internationale, c’est une excellente opportunité pour les consommateurs européens ainsi que pour les travailleurs asiatiques et même européens. Nous devons nous rassembler pour faire pression sur les marques et sur ceux qui ont de l’influence sur les gouvernements et les fournisseurs. Car, tous ensembles, nous pourrons les forcer à renégocier et augmenter les salaires des travailleurs de l’habillement au Cambodge ».

Une déclaration commune pour inviter H&M et Zara à agir concrètement

Le mardi 7 octobre 2014, journée mondiale du travail décent, une délégation composée de représentants du syndicat cambodgien C.CAWDU, d’achACT, de la CNE, du SETCa, de la FGTB Centrale Générale, de la CSC Météa, de Test-Achats et leurs homologues néerlandophones, des travailleurs belges de H&M et Zara, des travailleurs cambodgiens des fournisseurs de ces deux enseignes, a remis une déclaration commune aux responsables des sièges sociaux belges de Zara et H&M, deux clients importants du Cambodge. Ensemble, ils appellent H&M et Zara à agir concrètement pour garantir un salaire vital aux travailleurs de leur filière d’approvisionnement, et donc à négocier avec les organisations syndicales du Cambodge la mise en œuvre d’une hausse des salaires.
En 2013, H&M adoptait une feuille de route vers un salaire vital équitable. Zara s’est également engagé à garantir un salaire qui permet de couvrir les besoins de base des travailleurs et de leur famille. Ces deux enseignes reconnaissent bien le droit des travailleurs de leurs fournisseurs à gagner un salaire vital. Elles reconnaissent également leur responsabilité pour le garantir. Par contre, elles peinent à traduire ces belles intentions en actes concrets.
Aujourd’hui, les 9 organisations signataires de cette déclaration commune demandent à H&M et Zara de concrétiser leurs engagements en négociant une convention collective contraignante directement avec le syndicat cambodgien C.CAWDU, dans laquelle les deux enseignes s’engagent à mandater leurs fournisseurs cambodgiens pour qu’ils paient immédiatement un salaire de minimum 137 € à leurs travailleurs, à adapter leurs prix d’achat pour financer cette hausse et à continuer à se fournir sur le long terme auprès des fournisseurs qui respectent les droits des travailleurs.

Une première pour la solidarité de filière

On connaissait le syndicalisme sectoriel ou régional. Voici la solidarité de filière ! Elle unit au niveau international, les travailleurs et consommateurs d’un bout à l’autre de la filière de production d’un produit. Dans un monde à l’économie mondialisée, il apparaît de plus en plus nécessaire que les travailleurs d’ici se soucient de la situation des travailleurs dans d’autres pays. Au sein d’un même secteur, comme celui de l’habillement, c’est le travail des fédérations syndicales internationales comme IndustriALL ou UNI.
Mais la globalisation nous oblige à aller plus loin. Concrètement les travailleurs cambodgiens de l’habillement doivent non seulement pouvoir négocier avec les patrons d’usine et leur gouvernement. S’ils veulent desserrer l’étau qui empêche le respect de leurs droits, ils doivent aussi pouvoir obtenir l’engagement des marques et enseignes clientes de leur industrie, comme par exemple celui de ne pas délocaliser leur approvisionnement, ou d’accepter de payer plus. Pour cela, ils ont besoin de la solidarité des consommateurs et des travailleurs de ces entreprises. « Les alliances internationales entre travailleurs et consommateurs concernés par les pratiques d’une mêmes entreprise, telle que H&M ou Zara, deviennent de plus en plus nécessaires si nous voulons pouvoir freiner la course vers les pires conditions de travail et espérer inverser la tendance » conclut Carole Crabbé, coordinatrice d’achACT.
Jean-Marc Caudron
Actions urgentes, achACT
Sophie Tack
Directrice du département Partenariat-Campagnes