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Pour une stratégie européenne de soutien au commerce équitable

Analyses
Pour une stratégie européenne de soutien au commerce équitable

« Je m’en lave les mains », ça vous rappelle quelque chose ? La comparaison avec la célèbre formule de Ponce Pilate peut paraître déplacée mais elle a le mérite de résumer assez bien l’attitude de l’Union Européenne (UE) vis-à-vis du commerce équitable. À part reconnaitre la contribution du commerce équitable au développement durable, la Commission Européenne, qui coordonne les politiques de l’UE, n’a en effet que très peu contribué au développement du secteur depuis ses origines. Les années passent et voient toujours aussi peu d’initiatives de sa part, encore moins de stratégie coordonnée. Cette apathie est en contraste total avec le nombre croissant d’autorités publiques locales, régionales et nationales qui mettent en place différentes politiques de soutien à travers l’Europe. La seule campagne des communes du commerce équitables (CDCE) réunit plus de 1200 municipalités en Europe par exemple. Dans cette analyse, nous allons faire un rapide état des lieux puis résumer l’argumentaire du mouvement européen du commerce équitable en faveur d’une telle stratégie. Nous finirons en donnant des exemples de propositions concrètes associées à chaque domaine de politiques.

La nouvelle commissaire au commerce Cecilia Malmström le 27 janvier 2015, lors d’une conférence organisée par la ville de Gothenburg en Suède sur le commerce équitable.
La nouvelle commissaire au commerce Cecilia Malmström le 27 janvier 2015, lors d’une conférence organisée par la ville de Gothenburg en Suède sur le commerce équitable.

Politiques de l’UE en lien avec le commerce équitable

Ce n’est un secret pour personne, l’Europe a depuis de nombreuses années une ligne politique générale très libérale dans quasi tous les domaines : développement, commerce, systèmes de production et de consommation, agriculture, etc. Dans le domaine commercial en particulier, l’ordre du jour de l’UE est à la libéralisation complète, et ce avec l’ensemble des partenaires commerciaux, aussi bien les plus puissants (ex. TTIP[1. Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais), également connu sous le nom de traité de libre-échange transatlantique (TAFTA), est un accord commercial en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis prévoyant la création en 2015 d’une zone de libre-échange transatlantique.]) que les plus faibles (ex. accords bilatéraux Nord/Sud du type APE[2. Les accords de partenariat économique (APE) sont des accords commerciaux visant à développer le libre-échange entre l’Union européenne et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). La négociation est toujours en cours en Afrique centrale. Les Caraïbes ont conclu un accord complet en 2009. L’Afrique de l’Ouest, l’Afrique australe et l’Afrique orientale ont conclu des accords similaires en 2014.]). Dans cette approche, le commerce est vu exclusivement comme un outil destiné à ouvrir des marchés aux entreprises européennes et à soutenir la croissance, en imposant aux pays du Sud des conditions le plus souvent défavorables à leur développement. En matière de développement justement, malgré une prise en compte croissante des petits producteurs et du secteur privé local, un problème fondamental reste le manque de cohérence entre les différentes politiques européennes. Exemple : des aides publiques sont versées à un pays alors que, dans le même temps, des traités commerciaux abaissent ses droits de douane protecteurs. De même dans le domaine agricole, la Politique Agricole Commune (PAC) se révèle agressive, notamment via les subventions aux exportations agricoles, qui tuent souvent dans l’œuf le développement de filières agricoles au Sud. En matière de concurrence, alors qu’elle est en théorie compétente pour mettre en place un système de lutte contre les pratiques commerciales déloyales et inéquitables dans les chaînes d’approvisionnement, l’UE ne cherche qu’à assurer aux consommateurs européens un accès à des produits et services diversifiés et à bas prix. Enfin, les politiques de l’UE concernant les modes de production et de consommation portent essentiellement sur les impacts environnementaux des produits, sans prise en compte des dimensions économique et sociale de la durabilité.

Manifestations au Sénégal en opposition aux Acccords des Partenariat Economique entre l’UE et certains pays Africains
Manifestations au Sénégal en opposition aux Acccords des Partenariat Economique entre l’UE et certains pays Africains

Une stratégie européenne pour le commerce équitable ?

Dans le secteur équitable proprement dit, en dépit d’une croissance rapide et d’un soutien politique important de la part du Parlement européen, du Comité des régions et d’un grand nombre d’États membres, il n’existe pas de véritable stratégie européenne en faveur du commerce équitable. Dans l’actuelle politique, le commerce équitable est présenté comme une simple démarche volontaire de durabilité destinée à rassurer les consommateurs. Elle ne prévoit pas de mesure spécifique visant à soutenir le développement du commerce équitable, ni à faire évoluer les pratiques commerciales conventionnelles vers davantage de durabilité. A l’image de la stratégie coordonnée de l’UE en matière d’agriculture biologique, conçue comme une pratique agricole alternative, il serait souhaitable que l’UE mette en place, parallèlement à sa politique commerciale « conventionnelle », une stratégie coordonnée de développement du commerce équitable.
Le contexte est particulièrement favorable puisque l’année 2015 est à la fois l’année européenne pour le développement et la date butoir pour l’adoption de nouveaux objectifs de développement durable (ODD) par les Nations Unies (en remplacement des Objectifs du Millénaire pour le Développement, les fameux OMD 2015). Dans les deux cas, le commerce équitable pourrait constituer un indicateur de réussite des objectifs et une référence en matière de cohérence des politiques. L’année 2015 est également le début d’une nouvelle législature au Parlement Européen. Ce dernier comprend maintenant un nombre important de députés ayant manifesté leur soutien au commerce équitable, avant et après les élections, notamment lors de la campagne « Vote4FT ».

Le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker le 9 février 2015, lors de l’ouverture officielle de l’année européenne pour le développement.
Le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker le 9 février 2015, lors de l’ouverture officielle de l’année européenne pour le développement.

Et concrètement ?

Concrètement, quelles mesures une telle stratégie pourrait-elle inclure ? Les propositions du mouvement du commerce équitable européen sont nombreuses. Nous ne donnerons ici que quelques exemples significatifs :

  • Au sein des politiques de développement, soutenir le renforcement des organisations et réseaux de commerce équitable du Sud (support technique, organisationnel, commercial, financement des coûts de certification, etc.). Les politiques d’aides au commerce en particulier pourraient être révisées afin d’inclure plus systématiquement le soutien aux petits producteurs et aux autres secteurs pauvres de la société, en particulier à destination des petits exploitants de commerce équitable dans les pays à bas revenus. Les programmes d’aide au développement, généralement orientés vers l’accroissement de la production, pourraient être associés de manière plus systématique avec les initiatives existantes en matière de commerce équitable (elles orientées vers l’accès au marché et la commercialisation), dans une logique de construction de filières durables.
  • En matière commerciale, accorder un accès préférentiel au marché de l’UE pour les produits durables / équitables (i.e. diminution des barrières tarifaires). D’autres mesures pourraient consister à intégrer des critères de développement durable dans les accords commerciaux multi ou bilatéraux (à l’exemple des accords de coopération entre la France et l’Equateur, la Bolivie et le Brésil), ou bien créer un institut de recherche et d’information sur le fonctionnement des chaines de valeur.
  • Dans le domaine des achats publics, publier des recommandations aux autorités publiques présentant les possibilités en matière de commerce équitable dans les nouvelles directives marchés publics. L’UE pourrait également encourager la création d’une plate-forme européenne d’achats pour les pouvoirs publics ou bien soutenir financièrement l’initiative internationale des marchés publics durables mise en place par le PNUE[3. Programme des Nations Unies pour l’environnement.].
  • Au sein des politiques de consommation et d’éducation, mener des enquêtes annuelles sur la sensibilisation au commerce équitable, créer un site internet et des campagnes européennes d’information, lancer une plate-forme éducative pour les enseignants et les écoles ou encore créer un prix de la « Capitale européenne du commerce équitable ».

On le voit, les possibilités d’inclure des mesures favorables au commerce équitable au sein des différents politiques européennes sont nombreuses. L’objectif est de profiter de la puissance financière et des capacités de coordination de l’UE afin de créer un environnement globalement favorable au commerce équitable dans l’UE et dans ses pays partenaires du Sud. Cette stratégie pourrait prendre la forme d’une feuille de route, d’un cadre ou d’un plan d’action et être lancé au cours de 2015, année européenne pour le développement. En coordination avec le bureau Européen du commerce équitable (FTAO) et les autres organisations de commerce équitable européennes, Oxfam-Magasins du monde participera aux différentes actions de plaidoyer en faveur de cette stratégie.
Patrick Veillard
Expert commerce équitable

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