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Oxfam-Magasins du monde

Où acheter son produit équitable ? Magasins Oxfam vs supermarchés

Analyses
Où acheter son produit équitable ? Magasins Oxfam vs supermarchés

Rayon alimentaire du magasin récemment rénové de Louvain-la-Neuve
Rayon alimentaire du magasin récemment rénové de Louvain-la-Neuve

« Mais pourquoi devrais-je venir chez vous alors que je trouve des produits équitables au Carrefour d’à côté ? ». Même si elle est le fruit d’une petite reconstruction scénaristique, cette question figure très certainement dans le top 5 des questions les plus fréquentes dans les magasins Oxfam !
Dans cette analyse, nous allons tenter de vous donner des éléments d’argumentation face à cette question, sous une forme se voulant à la fois la plus simple et la plus complète possible. Nous tenterons aussi de répondre à l’ensemble des questions sous-jacentes que pourraient potentiellement vous poser les clients les plus insistants. Exemples : Pourquoi les produits équitables de supermarché sont-ils moins chers que les produits Oxfam ? Pourquoi ces derniers sont-ils aussi vendus en supermarché ? Pourquoi d’autres produits que les produits Oxfam dans nos magasins ?
Afin de faciliter la lecture et l’assimilation, nous tenterons de répondre de la manière la plus brève possible. Pour approfondir chacun des sujets traités, une série de références de lecture seront fournies en fin de document. A noter bien sûr que ces explications ne constituent en rien des réponses absolues, fruit d’une « parole divine », mais qu’elles restent ouvertes à toute remarque ou discussion complémentaire au sein du mouvement.

Pourquoi acheter de l’équitable dans un magasin Oxfam plutôt qu’en supermarché ?

Cela revient à défendre des modèles de production et (surtout) de distribution / consommation relativement différents.
D’un côté, l’équitable de supermarché [1. Par équitable de supermarché, on entend ici essentiellement les marques distributeurs ayant développé une gamme équitable spécifique, aux côtés de leur gamme de produits conventionnels. Exemples : « Carrefour Solidair », « Colruyt Colibri », « Entr’aide Leclerc », « Lidl Fairglobe ».] correspond généralement à un commerce « tout volume », dans une approche purement marketing et avec des critères le plus souvent assez basiques. Les critères Fairtrade[2. Le label Fairtrade Max Havelaar est le label historiquement majoritaire dans le secteur équitable. Il reste relativement exigeant par rapport aux labels dits durables (ex. Rainforest Alliance, Utz Certified) mais est lancé depuis quelques années dans une course aux volumes. Cette course l’amène à faire de nombreuses concessions aux acteurs de l’agro-industrie et de la grande distribution, concessions se traduisant par une certaine « dilution » des critères.] autorisent par exemple les produits issus de plantations (plus propices aux violations du droit du travail que dans les organisations de producteurs), certaines pratiques peu éthiques de la grande distribution (ex. marges supérieures aux produits conventionnels, ruptures de contrat soudaines avec les producteurs partenaires, marges arrières, etc.) ou encore une forte réduction des pourcentages d’ingrédients équitables dans les produits dits « mixtes »[3. Ces règles, dites FSP pour « Fairtrade sourcing partnerships », permettent de s’affranchir dans les produits mixtes (ex. chocolat, qui contient cacao, sucre, éventuellement lait, noisettes, etc.) de la règle « All that can be » (ex. seul le cacao peut être équitable dans un chocolat Fairtrade). Pour plus d’informations, voir l’analyse: Veillard P. Janvier 2014. Les récentes évolutions du label Fairtrade.].
De l’autre côté, Oxfam met en avant un modèle de consommation et de production alternatif, dont l’objet social est limpide : la justice économique ! Son réseau vend quasi uniquement[4. Pour 95% des produits équitables. Les 5% restants sont des produits de solidarité produits en Europe, qui respectent les normes de l’OIT (Organisation Internationale du Travail).] des produits équitables, est dirigé démocratiquement par un mouvement de bénévoles, développe des formes de partenariat plus directes (i.e. en circuit court), participatives et renforcées, le plus possible avec des petits producteurs marginalisés, le tout en effectuant un gros travail d’éducation, de plaidoyer et de sensibilisation en Belgique (notamment en magasin, voir tous les supports disponibles pour les clients, tels que brochures, magazines, vidéos de comptoir, etc.).

Bénévoles Oxfam lors d’un petit déjeuner
Bénévoles Oxfam lors d’un petit déjeuner

Les deux modèles sont donc assez différents. Du côté des magasins Oxfam, vous contribuez à remettre en question le modèle dominant. Dans un supermarché, vous avez tendance à le renforcer !

Produit équitable de magasin Oxfam Produit équitable de supermarché
Soutien à un modèle économique alternatif, démocratique et citoyen. Insertion dans le modèle économique dominant, à la logique de profit, pour des actionnaires déconnectés de la réalité des citoyens/producteurs.
Produits provenant d’organisations 100% équitables. Faible % de produits équitables dans les gammes de produits des marques (et donc récupération de l’image et des taux de croissance de l’équitable).
Activités politiques et éducatives de lutte contre le commerce conventionnel inéquitable. Forme de cautionnement des règles du commerce mondial.
Pratiques commerciales éthiques (marges opérationnelles, relations de partenariat de longue durée, préfinancement aux  producteurs, transparence sur les prix, l’origine des produits ou la chaine d’approvisionnement). Pratiques commerciales peu ou non éthiques (ex. politiques de marges égales ou supérieures au commerce conventionnel, ruptures abusives de contrat, stratégies d’éviction des autres marques, pressions sur les fournisseurs, préfinancement aux producteurs moins fréquent, longs délais de paiement, chaines d’approvisionnement plus complexes et moins transparentes).
Qualité sociale supérieure (ex. partenariat direct et renforcé, produits issus majoritairement d’organisations de petits producteurs). Produits systématiquement issus des filières labellisées, avec risques de pression sur les critères (ex. plantations, abaissement des % d’ingrédients équitables).
Sensibilisation / information fournie en magasin (via bénévoles, affiches, flyers, vidéos, etc.). Emballage du produit comme unique support d’information.
Large zone de distribution, y-compris dans les centres urbains délaissés et/ou les zones rurales isolées. Fréquente insertion des supermarchés dans des zonings commerciaux, aux forts impacts sociaux et environnementaux.

Pourquoi les produits équitables de supermarché sont-ils moins chers que les produits équitables Oxfam ?

Tout d’abord, ce n’est pas toujours vrai ! De nombreux produits Oxfam se retrouvent dans des gammes de prix similaires aux produits équitables de supermarché[5. Cela est notamment dû au fait qu’Oxfam fonctionne souvent en circuits-courts, en étant le seul intermédiaire entre les consommateurs et les producteurs.  Voir également : Oxfam-Magasins du monde. 2013. Comprendre le commerce équitable.].
Dans le cas où ils sont effectivement plus chers, cela peut souvent s’expliquer par une plus grande qualité des produits (matières premières naturelles, méthodes de production traditionnelles, agro-écologiques, etc.)[6. Cf. principe 10 du commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde : qualité, authenticité et respect de l’identité culturelle et des savoirs traditionnels des partenaires.]. De même, leur qualité sociale est généralement supérieure, pour toutes les raisons citées plus haut : support renforcé et durable, meilleures pratiques commerciales, informations fournies à la clientèle, absence de produits issus de plantations, distribution dans des zones urbaines ou rurales esseulées, etc. Ces différentes formes de commerce équitable renforcé engendrent naturellement des surcoûts importants, qu’il est difficile de ne pas répercuter dans le prix final (même si l’objectif d’Oxfam-Magasins du monde reste une simple marge opérationnelle et non la rétribution d’un petit nombre d’actionnaires).
Grâce à leurs gros volumes de vente et à leur pouvoir sur le reste de la chaine d’approvisionnement, les supermarchés peuvent par ailleurs faire d’importantes économies d’échelles et se permettre des pratiques commerciales souvent non éthiques. Exemples :

  • Le paiement par le fournisseur de divers services, tels le référencement des produits dans les rayons ou l’octroi de « marges arrière » (des ristournes déguisées que les distributeurs demandent au titre d’une coopération commerciale, par exemple la mise en valeur d’un produit sur un rayon ou la présence dans un catalogue).
  • Grâce à sa « force de frappe » commerciale, la grande distribution peut également retarder ses paiements, au contraire d’Oxfam, qui essaie au maximum de préfinancer ses partenaires (c’est-à-dire de payer à l’avance une partie des ventes, ce qui revient à fournir une forme de crédit aux producteurs).
  • L’achat de produits en volumes importants et en une seule fois peut amener l’importateur à diminuer son prix de vente.
  • Le surcoût des références équitables en grandes surfaces, minoritaires (de l’ordre de 300 à 500), est largement couvert par la majorité (ordre de grandeur 15000 à 20000) des produits conventionnels. La stratégie des grandes surfaces consiste d’ailleurs parfois à perdre une légère marge sur les produits équitables, afin d’attirer les clients des autres réseaux[7. A noter qu’au niveau légal en Europe, s’il est interdit d’imposer un prix de vente à un revendeur, il est aussi interdit de vendre à perte (ce que l’on appelle du « dumping »).].
Café Oxfam provenant de la coopérative Sopacdi au Kivu (RDC)
Café Oxfam provenant de la coopérative Sopacdi au Kivu (RDC)

Pourquoi certains produits Oxfam sont-ils aussi vendus en supermarché ?

Certains produits alimentaires Oxfam (OFT) se retrouvent aussi en supermarché principalement pour des raisons d’équilibre financier et d’économies d’échelle. C’est ici la réalité économique qui fait loi. Face à la rude concurrence provenant des supermarchés, l’idée est d’y vendre tout de même une certaine quantité, car la capacité de vente du réseau OMM/OWW reste bien inférieure à celle de l’ensemble des grandes surfaces. Toute la plus-value Oxfam évoquée plus haut, en termes de qualité de produit ou de partenariat (ex. interdiction des produits de plantations), est conservée, sauf en ce qui concerne la partie distribution. Malgré ce modèle mixte, la plus grosse partie des produits reste vendue au sein des magasins Oxfam[8. Les ventes en grandes surfaces ne représentent ainsi que 12% du total des produits alimentaires commercialisés par OFT, le reste étant constitué des ventes dans les réseaux OWW/OMM, des ventes extérieures (notamment aux institutions), ainsi que le commerce avec les autres organisations équitables en Europe (principalement des membres EFTA).] (la part des produits vendus en supermarchés est d’ailleurs en baisse). A noter également que la décision a été soumise au début des années 2000 à un vote des bénévoles d’OFTWW en assemblée générale.

La gestion du réseau via des bénévoles n’induit-elle pas une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des autres distributeurs de commerce équitable ?

Grande question, également posée d’innombrables fois lors de formations ou d’interventions extérieures ! Il est vrai que sous un angle de pure concurrence économique en Belgique, l’absence de charge salariale d’Oxfam-Magasins du monde peut potentiellement nuire à la viabilité d’autres acteurs économiques équitables.
Une réponse générale consiste à dire que les bénévoles Oxfam, contrairement à la plupart des autres acteurs équitables, ont un rôle beaucoup plus large que la simple offre économique de produits équitables. Ils ont aussi un large impact sociétal, dans un grand nombre de domaines non nécessairement rémunérateurs ou insérés dans une logique de marché : sensibilisation du grand public aux questions Nord/Sud, expérimentation d’autres alternatives, activisme et plaidoyer au niveau local, bénévolat comme forme de réinsertion sociale ou d’acquisition de compétences, etc. Etre bénévole Oxfam permet notamment de pratiquer de manière concrète la démocratie économique, c’est-à-dire d’expérimenter et de démontrer la crédibilité d’un modèle d’organisation favorisant le dialogue et l’implication de toutes les parties prenantes (via le conseil d’administrations, l’assemblée générale, les commissions, etc.). Les bénévoles jouent le rôle de multiplicateurs de cette expérience alternative dans d’autres domaines et secteurs d’activité. Cette vision du commerce équitable comme porteur d’innovations sociales, c’est-à-dire comme levier de soutien à d’autres alternatives et associations locales, est l’un des éléments essentiels du positionnement global d’Oxfam-Magasins du monde.
Il faut noter par ailleurs que les bénévoles choisissent volontairement de donner leur temps à l’activité de commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde, et ce au profit direct des partenaires producteurs. Dans la mesure où les gains économiques restent, comme évoqués plus haut, confinés à l’objet social Oxfam, ils ne peuvent ainsi se faire qu’au bénéfice de l’autre partie de la chaine, c’est-à-dire les producteurs marginalisés du Sud[9. Ainsi que quelques producteurs Nord, via la démarche « Paysans du Nord », mais cela reste pour l’instant marginal.]. L’ensemble du processus n’est donc au final qu’une forme de rééquilibrage ou de redistribution de ressources, au profit d’acteurs de prime abord défavorisés.
Remarquons enfin que l’ensemble du réseau n’est bien sûr pas géré uniquement par des bénévoles, mais aussi par des employés à plein temps, s’occupant des questions commerciales, logistiques, administratives, politiques, éducatives, etc. Cela veut dire que le fait de travailler avec des bénévoles génère aussi des coûts, via toutes les formes d’appui qui leur sont fournies. Cela signifie aussi qu’Oxfam-Magasins du monde, au départ un mouvement de bénévoles, a su générer des emplois, à la fois directs (actuellement 66) et indirects (producteurs, transport, support, etc.), à l’image du secteur plus global de l’économie sociale[10. L’emploi salarié dans le secteur associatif a ainsi augmenté de 38% entre 2000 et 2008, contre 7% dans le reste de l’économie. Voir : Fondation Roi Baudouin. 2011. Le poids économique des associations en Belgique.]. C’est ce que J. Defourny (Centre d’économie sociale de l’ULg) décrit comme « l’activité bénévole créatrice d’emplois », en lien avec l’acquisition de compétences, le maintien d’une forme d’activité, le développement d’un esprit d’entreprenariat / associatif, etc.

Pourquoi vendre des produits Ethiquable dans les magasins Oxfam, produits que l’on retrouve aussi en supermarché ?

Réponse simple et directe de nouveau : Oxfam ne peut pas tout faire ! Pour des raisons d’efficacité et de spécialisation économique, notre organisation d’économie sociale doit parfois faire appel à d’autres fournisseurs spécialisés. Nous effectuons déjà un grand nombre de missions très diverses: vente de produits équitable, éducation, campagnes, plaidoyer, soutien à des partenaires, etc. C’est encore plus vrai si l’on considère la famille Oxfam-en-Belgique dans son ensemble (ex. programmes de développement, campagnes sur toutes les questions d’injustice socio-économique). Au final, il est donc indispensable d’externaliser certaines activités et missions. Ethiquable est un fournisseur qui a développé au cours des ans une grande expertise en matière de soutien à ses partenaires (parfois communs à ceux d’OFT) et de développement de produits. Ces derniers, tous issus de l’agriculture paysanne, sont de très grande qualité, à la fois intrinsèque et sociale. Ceci étant dit, Ethiquable reste libre de commercialiser ces produits via d’autres canaux, donc aussi dans la grande distribution, et c’est pourquoi il est finalement possible de retrouver certains à la fois chez Oxfam et dans les supermarchés[11. A titre de comparaison, certains magasins spécialisés équitables en Allemagne accueillent plus d’une dizaine de fournisseurs différents (et complémentaires).].

Conclusions

On le voit, la question du choix du magasin où acheter son produit équitable, c’est-à-dire du canal de distribution et de vente des produits équitables, n’est pas toujours simple. Parmi les différentes explications à ces difficultés, la diversité / complexité du secteur et le fait qu’historiquement, les critères du commerce équitable ont toujours concerné majoritairement le premier maillon de la chaine, c’est-à-dire les producteurs du Sud. Le dernier maillon est lui très peu défini ou réglementé, que ce soit dans le cadre du commerce équitable ou même dans le secteur de la distribution au sens large, et ce principalement pour des raisons légales (par exemple l’impossibilité d’imposer un prix de vente à un distributeur). La création par la WFTO (organisation mondiale du commerce équitable) de standards équitables pour la distribution est de ce point de vue plus que bien venue (une analyse à paraitre prochainement sur notre site traitera spécifiquement de ce sujet).
Une autre raison à la complexité de l’argumentation dans ce domaine provient des dures réalités économiques, qui obligent parfois Oxfam à faire des compromis, diminuant ainsi la lisibilité de notre organisation. C’est là toute la difficulté d’évoluer dans le secteur équitable ou, de manière plus large, de l’économie sociale. D’un autre côté, ce pragmatisme peut également être considéré comme une force et une source de crédibilité, en comparaison notamment d’autres organisations qui, grâce à davantage de subsides, peuvent se permettre des discours plus critiques et/ou idéalistes. Au final, Oxfam est parfois amenée à faire des concessions mais sa volonté est de ne jamais perdre son âme dans le processus. Au final, acheter un produit équitable dans un magasin Oxfam (et au-delà, s’impliquer comme bénévole, sympathisant, militant…), cela reste un moyen de soutenir un autre modèle de société, plus démocratique et davantage centré sur l’humain.

Références pour aller plus loin

Les documents ci-dessous vous permettront d’explorer plus en avant ces différentes thématiques.

Patrick Veillard
Expert commerce équitable