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Oxfam-Magasins du monde

Innovation sociale pour un mouvement de (en?) transition (1ère partie)

Analyses
Innovation sociale pour un mouvement de (en?) transition (1ère partie)

Oxfam-Magasins du monde se propose d’ici 2020 de « s’inscrire dans ces mouvements de citoyens qui réinventent le monde » pour contribuer au passage de nos sociétés modernes à d’autres formes plus inventives et solidaires de créer du lien et de l’échange[1. Voir Axe No. 3 du plan stratégique 2015 – 2020 d’Oxfam-Magasins du monde]. Cette analyse en deux parties s’intéresse en particulier à deux phénomènes citoyens: le mouvement de la Transition d’une part, et celui de l´innovation sociale d‘autre part. Innovation sociale et transition sont deux notions qui ont émergé avec force depuis le début du 21ème siècle en marge des discours économiques et politiques traditionnels qui font l’apologie de la croissance dans tous ses ressorts. Lorsque l’on s’attache aux principes et aux pratiques des réseaux d’initiatives de la Transition et de l’innovation sociale à différentes échelles, il est aisé d’établir des liens étroits entre les deux mouvements, qui entrent à leur tour en résonnance avec celui d’Oxfam-Magasins du monde, afin de dégager des pistes de réflexion pertinentes pour les mutations que ce dernier s’apprête à engager.

Innovation sociale : définition(s) et caractéristiques

Mieux répondre à des nouveaux besoins

Parler d’innovation sociale dans le secteur de la coopération au développement demande de dissocier l’innovation de son lien traditionnel au secteur de l’industrie et de la technologie, et de s’intéresser à son déploiement dans le secteur de l‘économie sociale et solidaire, nébuleuse de « révolutions tranquilles » selon la journaliste Bénédicte Manier.
En effet, si l’innovation est un terme aujourd’hui répandu dans une grande diversité de domaines allant de l’ingénierie à l’éducation, en passant par les services et les arts appliqués, l’innovation sociale est une notion qui s’est popularisée ces vingt dernières années dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, pour définir les initiatives d’individus et de groupes destinées à proposer des « solutions nouvelles à un problème social, qui soient plus efficaces et durables que les solutions déjà existantes» (Center for Social Innovation, université de Stanford). Ce mouvement d’initiatives citoyennes, indépendantes et spontanées s’est propagé ces dix dernières années (notamment à travers les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui ont aidé à leur création et diffusion), à tel point qu’il a attiré l’attention d’un nombre grandissant de chercheurs et d’acteurs des secteurs publics et privés, notamment du Conseil Supérieur français de l’Economie Sociale et Solidaire (CSESS) qui en a précisé  les contours en 2011, pour rendre cette notion plus accessible et opérationnelle. L’innovation sociale consiste ainsi à :

Élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou service, que le mode d’organisation, de distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations… Elles passent par un processus en plusieurs démarches : émergence, expérimentation, diffusion, évaluation. (CSESS, 2011)

Sur la base de la grille de critères proposée par l´Agence d´ingénierie et de service pour entreprendre autrement (Avise), cette définition s´articule autour de 4 grandes caractéristiques:

  1. Réponse à un besoin social mal satisfait
  2. Génération d’autres effets positifs
  3. Expérimentation et prise de risque
  4. Implication des acteurs concernés

Ainsi, il ne suffit pas que l’innovation sociale ait une utilité sociale comme l’indique son nom, elle doit aussi contribuer au développement économique local où elle est implantée, dans le respect de l’environnement. Elle doit aussi s’insérer dans une démarche d’expérimentation qui la rend innovante par rapport à l’état actuel des dispositifs publics et des marchés sur le territoire. Par exemple, l’innovation peut se jouer dans la reprise et l’adaptation à un nouveau contexte d’un dispositif ou modèle déjà existant ailleurs (comme par exemple l’adaptation du téléphérique comme moyen de transport public aidant à désenclaver des quartiers pauvres de grandes villes d’Amérique du Sud comme Medellin, Caracas et Rio de Janeiro). Sa légitimité enfin, dépend de l’implication des acteurs concernés par le problème au processus de création et d’expérimentation d’un projet, favorisant ainsi sa validation et sa propagation.

L’usager au cœur des dispositifs d’innovation sociale

A l’inverse de l´innovation technologique qui a tendance à se diffuser selon un schéma « top-down» partant du chercheur vers l’usager, l’innovation sociale émerge d’un travail de participation et de coopération plus ou moins étendu entre les porteurs de projets et les usagers-citoyens, ce qui lui donne une plus grande légitimité, et par conséquent un pouvoir de réinvention des sociétés par le bas. Là où l’innovation associée à des niches du marché des biens et services défend l’exclusivité du créateur sur la détention de l’information, l’innovation sociale démocratise la transmission des connaissances de production et de création, ainsi que la possession de l’invention, ce qui lui donne en ce sens un rôle émancipateur.
Cette idée n’est pas nouvelle puisqu’au 19ème siècle déjà, des femmes et des hommes s’organisaient en fonction de leurs vulnérabilités et mutualisaient leurs ressources sur des modèles solidaires, dans le cadre de coopératives et mutuelles par exemple. Aujourd´hui les recherches menées autour de ce phénomène révèlent un tissu d’initiatives très diverses dans leurs formes et modalités d’action. Qu’il s’agisse de la promotion de la lecture, de mobilité, d’habitat digne et durable, d’accès à une alimentation de qualité et responsable… toutes les activités de la vie quotidienne peuvent aujourd´hui faire l´objet d´expérimentation de la part de citoyennes et citoyens désireux de changement.

La pérennité de l’innovation sociale

Le challenge, pour beaucoup d’innovations sociales et selon l’envergure du problème posé, demeure de perdurer dans le temps et de bousculer les structures même des modes de relations, de production et de consommation d’une société. Différents projets de recherche sur l’innovation sociale en Europe et dans le monde[2. A titre d’exemple, voir les projets DESIS Network (http://www.desis-network.org/), DoSIS (https://bloginnovacionsocial.wordpress.com/acerca-de/), et Glamur (http://www.glamurs.eu/), entre autres.] posent sous différents angles la question de la pérennité de l’innovation sociale. Cet aspect soulève plusieurs questions, d’une part l’implication, dans l’écosystème de co-actants, d’institutions qui font les politiques publiques et le marché des biens et des services, et d’autre part (et intrinsèquement lié) la capacité du produit, système, service ou autre dispositif innovant à pouvoir s’échelonner et/ou se multiplier, se propager. Finalement, le problème de la pérennité renvoie aussi aux possibilités et aux capacités d’articulation des innovations locales à d’autres initiatives à différentes échelles, et au dialogue avec les pouvoirs publics qui seraient à même de reprendre l’innovation à un certain moment de son expérimentation pour l’institutionnaliser, ou pas.
C´est là que la notion de mouvement au sens de réseau prend toute son importance, puisqu´en s´articulant de manière organisée, les initiatives engagées dans le changement social et sociétal gagnent en visibilité, en force d´action et en impact, tout en limitant leur essoufflement. C´est la démarche qu´a entrepris le designer italien Ezio Manzini en créant le réseau d´innovations sociales DESIS (Design for Social Innovation and Sustainibility), et une communauté de citoyennes et citoyens qui, inspirés par le Manuel de Transition de Rob Hopkins, ont créé le réseau international de Transition, aujourd’hui en plein déploiement.
Estelle Vanwambeke

Bibliographie