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Oxfam-Magasins du monde

Les Systèmes Participatifs de Garantie, une alternative citoyenne au label bio

Analyses
Les Systèmes Participatifs de Garantie, une alternative citoyenne au label bio
À côté des labels bio plus ou moins officiels se sont développés des Systèmes participatifs de garantie (SPG) qui permettent aux producteurs et aux consommateurs de s’accorder ensemble sur la définition des critères de production du Bio. Quelles sont les bases de fonctionnement de ces SPG ? Dans quelle mesure ces bases peuvent-elles être utiles à la définition de critères pour le commerce équitable ? L’article analyse des cas belges et internationaux pour répondre de manière nuancée à ces questions.

Pour les consommateurs et consommatrices de produits issus du commerce équitable, les labels sont familiers et offrent une certaine garantie sur le respect de critères socio-économiques, environnementaux et de bonne gouvernance, aux différentes étapes de la chaine de production. À l’instar du secteur Bio, les labels équitables se basent sur une combinaison de standards et de certifications via des audits effectués par des organismes certificateurs externalisés. Mais les labels ne sont qu’un type d’outil, parmi bien d’autres, pour offrir des garanties lors d’un échange commercial[1. Analyse Oxfam-Magasins du monde, Patrick Veillard « Les systèmes de garantie équitables », Octobre 2013.].
En termes de labels alternatifs dans le secteur du commerce équitable on pense souvent au SPP (« Symbole des petits producteurs » ou « Tu Simbolo ») créé par et pour les petits producteurs en Amérique Latine. Ce label qui utilise les mêmes grands principes que les autres du secteur – c’est-à-dire une combinaison de standards et de certifications via des audits[2. Analyse Oxfam-Magasins du monde, Patrick Veillard « Tu Simbolo : le label équitable par et pour les petits producteurs », p.2, 2013.] – adopte néanmoins une gouvernance, des coûts et des exigences bien spécifiques vis-à-vis des acheteurs, qui sont favorables aux petits producteurs. Dans le secteur de l’agriculture biologique, les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) proposent, eux, de remettre le processus de certification aux mains des producteurs et des consommateurs et non à celles d’organismes tiers indépendants.
Dans cette analyse, nous verrons d’où vient cette approche, quels sont les fondements de ces systèmes et comment un système basé sur le dialogue entre consommateurs et producteurs au niveau local peut exister à l’échelle internationale. Enfin, nous irons à la rencontre de deux acteurs portant un projet de mise en place d’un SPG à Wellin, en Belgique.

Nature et Progrès une pionnière de la certification bio

Créée en France en 1961 afin de promouvoir l’agriculture biologique, l’association Nature et Progrès a élaboré le premier cahier des charges de la production biologique. Dès son origine, le système de certification de Nature et Progrès implique les acteurs et les actrices directs de la production et de la consommation via la création, dans les années 1970, de Commissions Mixtes d’Agrément et de Contrôle (COMAC). Ces commissions se tiennent au niveau local et sont composées de producteurs, de productrices, de consommateurs et de consommatrices qui décident ensemble de l’attribution de la mention « agriculture biologique » de Nature et Progrès. Une fois la mention attribuée, le contrôle de l’application du cahier des charges est assuré par l’ACAB (Association de Conseillers en Agriculture Biologique), également mise en place par Nature et Progrès. L’ACAB intègre et tient compte de l’expérience et du savoir-faire des agriculteurs et des agricultrices ainsi que des compétences professionnelles des technicien.ne.s.
Au vu de la montée en puissance de l’agriculture biologique en France et en Europe dans les années 1980, la législation européenne se base sur le travail et l’expérience de Nature et Progrès pour mettre en place un règlement européen unique et commun à tous les états membres. Ce document[3. Le RCE 834/07, dont la forme actuelle date de 1995.] définit les techniques et les produits autorisés pour la production biologique, et impose un système de certification des produits par des organismes tiers indépendants[4. Ce système de certification exige l’application de la norme européenne  EN NF 45011 (ou ISO 65 au niveau international).].
Ces organismes ne pouvant entretenir aucune relation avec les producteurs et les productrices, les COMAC – qui sont notamment ouvertes aux agriculteurs et agricultrices désireux d’obtenir le label – ne sont dès lors plus reconnues comme organismes agréés pour l’attribution de la mention « AB » (Agriculture Biologique) officielle et régulée, et cessent d’exister.
Pour sa part et suite à ces réglementations, l’ACAB devient indépendante de Nature et Progrès et passe, en 1991, du statut d’association à celui d’entreprise : ECOCERT. Depuis 2007, ECOCERT – qui est un organisme agréé dans le circuit officiel de la certification de la production biologique actif dans 90 pays – combine l’approche de l’agriculture biologique à celle du commerce équitable et de la responsabilité sociétale des entreprises.
De son côté, Nature et Progrès a préféré se séparer des circuits officiels de la réglementation de la production bio, dont elle avait été aux origines, et se consacrer au développement des valeurs et des principes originels de l’agriculture biologique. En 2006, l’association prend connaissance de l’existence d’un mouvement international de systèmes de certification alternatifs et participatifs, avec lesquels son système partage de nombreux points communs[5. Nature & Progrès, Eva Torremocha « Le Manuel Pratique des Systèmes Participatifs de Garantie », pp.9-10, 2015.].

Les SPG une alternative à la certification par tiers

À l’instar de ce qui s’est fait en France et en Belgique avec Nature et Progrès, de nombreux systèmes de certification alternatifs ont émergé de façon spontanée un peu partout dans le monde, à l’initiative de citoyennes et de citoyens producteurs et consommateurs désireux de défendre l’agriculture paysanne, familiale, biologique, durable et humaine via des systèmes de certification participatifs, autonomes et responsabilisants. L’attention portée à la défense des droits des paysan.ne.s, à la Souveraineté alimentaire, au bien-être et à l’égalité de genre, étaient et sont toujours des points d’attention de ces organisations citoyennes.
Ce n’est qu’en 2004, lors d’un séminaire organisé à Torres, au Brésil, que différents acteurs de ces systèmes de certification alternatifs se sont regroupés et ont créé le nom : Systèmes Participatifs de Garantie – SPG.
Depuis lors, ces systèmes de certification alternatifs répondent à des critères de base communs, et reconnus par la Fédération Internationale des Mouvements de l’Agriculture Biologique – IFOAM[6. International Federation of Organic Agriculture Movements]. En effet, outre le critère de proximité géographique entre les producteurs et les consommateurs, les membres d’un SPG partagent :

  1. une vision commune des objectifs du SPG et du niveau de garantie, partagée par les producteurs et les consommateurs du groupe ;
  2. la transparence du système et de ses acteurs ;
  3. la confiance comme base du système ;
  4. la participation de tous les membres ;
  5. l’horizontalité, qui induit une égalité décisionnelle entre les parties prenantes ;
  6. un processus d’apprentissage et d’échanges de savoirs et de savoir-faire entre les membres.

Les organisations se basent sur ces critères communs, pour (1) concevoir les normes de production en fonction de leur contexte et des attentes de chacun et chacune. De ce cahier des charges découlent (2) des procédures de fonctionnement claires, documentées, propres au groupe et soutenant l’agriculture paysanne.  Des mécanismes de vérification de la conformité aux normes du SPG ainsi que les conséquences en cas de non-conformité sont enfin élaborées. Le processus de développement de tous ces aspects lors de la mise en place d’un SPG a autant d’importance que le SPG lui-même, dans la mesure où il permet aux producteurs.trices et aux consommateurs.trices d’apprendre à connaitre les enjeux, les réalités et les attentes de chacun et de chacune. Les six critères communs aux SPG s’adaptent via ce processus à la multitude des réalités locales présentes à l’échelle mondiale.

Les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) sont des systèmes d’assurance qualité ancrés localement. Ils certifient les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d’échanges de connaissances.

(Définition du SPG selon IFOAM)
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Le SPG de la Ferme Arc-en-ciel, en Belgique

Pour Serge Peereboom, paysan maraîcher à la Ferme Arc en Ciel et coprésident du Mouvement d’Action Paysanne – MAP : « la certification européenne AB (ndlr : Agriculture Biologique), est devenue du non-chimique… et encore. Cette réglementation ne tient ni compte des questions environnementales afférentes à l’utilisation d’énergie fossile, ni des questions de justice sociale. De plus, c’est un système qui sanctionne au lieu de réfléchir à des solutions avec les producteurs.».

Serge (en jaune) lors d'une visite de la ferme
Serge (en jaune) lors d’une visite de la ferme

Au milieu des années 90’, Serge et Rudolf, son beau-père, se basent sur une initiative découverte en Suisse, d’où est originaire Rudolf, et lancent la production et la distribution  de paniers de légumes de saisons. Cette initiative rencontre un certain succès et les récoltes de la Ferme Arc-en-ciel sont livrées à des particuliers sur l’axe Namur-Bruxelles. Après plusieurs années de fonctionnement, le modèle de distribution de paniers évolue parallèlement pour aboutir, en 2006, à la création des trois premiers GASAP[7. GASAP – Groupes d’Achat Solidaires de l’Agriculture Paysanne] à Bruxelles, grâce à l’asbl Le Début des Haricots et sur la base de l’exemple des AMAP[8. AMAP – Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne] en France. En perpétuelle recherche d’un modèle de distribution qui favorise la Souveraineté Alimentaire et qui tienne à la fois compte des attentes des consommateurs, des consommatrices, de la réalité des producteurs, des productrices et du respect de la nature, Serge poursuit sa réflexion. La centaine de kilomètres qui séparent Wellin de Bruxelles et le carburant utilisé pour les parcourir, ne correspondent pas à sa philosophie et il décide de relocaliser son activité. Pour Serge, le « S » de GASAP n’était pas non plus assez solidaire. Rejoints en 2014 par Stephane Vancollie, Serge et son beau-père réfléchissent à la mise en place d’un SPG avec des consommateurs et des consommatrices de leur localité.
« Avec le SPG on a trouvé un outil beaucoup plus utile et beaucoup plus complet, qui permet à des consommateurs et à des producteurs d’être en lien et de réfléchir ensemble à un modèle de production et de consommation cohérent pour toutes et tous».
Aujourd’hui, le SPG de la Ferme Arc-en-ciel rassemble une vingtaine de personnes, de « partenaires », engagées dans le processus avec Serge et Stephane. Pour les deux hommes, le critère de participation des membres est très important, surtout au niveau de l’implication des consommateurs.trices : « Lier les consommateurs à une ferme leur permet de comprendre les enjeux et les problématiques auxquelles les producteurs font face ». À l’opposé de ce qui se fait dans un système de certification par des organismes tiers indépendants, la dynamique qui existe au sein des SPG permet de réfléchir ensemble et de manière horizontale à des solutions plutôt que de sanctionner un producteur qui ne correspondrait pas à la norme établie : « L’espace de débat est la base du SPG ».
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Stephane et les membres du SPG

Le processus d’apprentissage et d’échange de savoirs et de savoir-faire entre les membres dans la mise en place du SPG est, selon Stéphane et Serge, tout aussi important que l’apposition finale du label SPG sur leurs produits. Ce processus permet aux producteurs d’entendre les attentes des consommateurs mais aussi d’inviter ceux-ci à réfléchir aux dérives de leur mode de consommation alimentaire : « Le problème est que les gens n’accordent plus assez de temps, ni même d’argent, à leur alimentation. Les inviter à cette réflexion sur leur alimentation les amène à se poser des questions plus larges sur notre mode de vie occidental principalement axé sur la (sur)consommation. » « En invitant les mangeurs à changer leur modèle d’alimentation les SPG participent à la transition agroécologique ».
L’investissement en temps représente pour les membres du SPG une visite chaque semaine à la ferme pour venir chercher le panier de fruits et légumes : « c’est l’occasion d’être en contact et de leur remettre un feuillet dans lequel ils trouvent des informations sur les produits qui se trouvent dans leur panier, des idées de recettes pour préparer leurs légumes, mais aussi des informations pratiques sur les événements qui ont lieu à la ferme, des éventuelles propositions de soutien pour la récolte et des informations plus générales sur des questions d’actualité en rapport avec nos activités. Il a notamment été question de la problématique de l’AFSCA».
Par ailleurs, chaque année la ferme organise deux AG et une visite de « contrôle ». Si les partenaires n’ont que peu de temps à investir dans le processus d’élaboration du SPG, leur soutien financier est la preuve de la confiance qu’ils octroient au système.
Les prix sont définis de manière transparente en fonction des coûts de production des producteurs paysans et dans l’idéal en tenant compte aussi du revenu des partenaires consommateurs, afin que chacune et chacun s’y retrouve.
À terme, le SPG de la Ferme Arc-en-ciel souhaite rassembler 80 personnes, soit 40 familles qui nécessiteraient la production sur un hectare de terre et un revenu de 8€ de l’heure pour un temps plein.

Les SPG en Wallonie et à Bruxelles

Le SPG de la ferme Arc-en-ciel n’est pas le seul de Wallonie-Bruxelles, d’autres associations et coopératives comme le MAP, les GASAP, Terre en vue, ou Agricovert, y travaillent. En marge et lors du forum Agroecology in action[9], plusieurs organisations porteuses d’un projet de SPG se sont rassemblée en vue d’unifier le processus de certification des SPG en Wallonie et à Bruxelles, afin que producteurs.trices et consomateurs.trices s’y retrouvent et aient la garantie qu’en se rendant dans un autre SPG pour vendre ou acheter des produits, le processus soit le même. À cet effet, une rencontre est prévue en janvier avec les personnes concernées et un week-end d’écriture d’un référentiel SPG au printemps prochain.

SPG et commerce équitable Oxfam-Magasins du monde

L’analyse des Systèmes Participatifs de Garantie permet de porter un autre regard sur les labels équitables. Si ces derniers se basent sur une combinaison de standards et de certifications via des audits effectués par des organismes certificateurs externalisés, les rapports qu’entretien Oxfam-Magasins du monde avec ses bénévoles et ses partenaires producteurs partagent certaines valeurs avec les SPG :
Avant toute chose, nous partageons les enjeux de défense des droits des paysannes et des paysans, de souveraineté alimentaire et d’égalité de genre.
Ensuite au niveau du processus, l’approche mise en place par le SPG au sein des groupes locaux est très proche de notre démarche. En tant qu’acteurs d’éducation permanente nous cherchons, en effet, à développer chez nos bénévoles :

  • une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société,
  • des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation,
  • des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique.[10. Article 1er du décret du 17 juillet 2003 sur les organisations d’éducation permanente : http://www.educationpermanente.cfwb.be/]

Ainsi, tant pour les SPG que pour Oxfam-Magasins du monde, la dynamique mise en place au sein du groupe a autant, voire, davantage d’importance que le résultat final. De plus les six critères de base des SPG, développés plus haut, et les dix principes du commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde[11. Voir dépliant Oxfam-Magasins du monde « Comprendre le commerce équitable »] accordent tous deux une grande importance au dialogue, à la transparence et au respect entre les partenaires.
Néanmoins les Systèmes Participatifs de Garantie sont mis en place au niveau local et lient directement les producteurs et les consommateurs entre eux. Le rôle du distributeur, du commerçant, joué par Oxfam-Magasins du monde en tant qu’entreprise commerciale, ne trouve donc pas sa place dans un tel système. De plus les distances géographiques qui séparent nos partenaires de nos bénévoles et des personnes qui consomment nos produits, ne permettront jamais de mettre en place un processus comparable à celui d’un SPG. À travers son travail d’information, de sensibilisation et d’éducation Oxfam-Magasins du monde s’efforce cependant de permettre une relative « proximité », ou du moins un maximum de transparence, entre producteurs et consommateurs.
L’analyse du fonctionnement des SPG nous montre, une fois encore, qu’il importe de revoir nos modes de consommation et notre rapport à notre alimentation. Cette analyse est une nouvelle preuve que des solutions citoyennes existent pour la création de systèmes alimentaires alternatifs et qu’il importe de lier ces alternatives citoyennes entre elles.
Pour Oxfam-Magasins du monde, les SPG sont une source inspirante dans la réflexion sur l’évolution de ce que seront, dans le futur, nos rapports avec nos partenaires Nord, y compris au niveau local dans l’implication et la collaboration de nos équipes avec d’autres initiatives citoyennes.
Sébastien Maes