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Oxfam-Magasins du monde

Mettre en pratique l'engagement "Genre" chez Oxfam-Magasins du monde

Analyses
Mettre en pratique l'engagement "Genre" chez Oxfam-Magasins du monde
En 2016, OMDM a mis en place une démarche d’autodiagnostic pour améliorer l’intégration de l’approche genre dans l’ensemble de ses métiers et activités. La première étape de cette démarche a été une enquête interne sur les politiques, pratiques et outils internes en matière d’égalité hommes-femmes. Les résultats de cette enquête sont analysés ici à la lumière des travaux de l’association Le Monde Selon Les Femmes. 

Introduction

Au cœur de son calendrier de campagne sur l’égalité des genres et le travail décent[1. La campagne Fairchances s’est déroulée entre septembre 2015 et mai 2016. Pour plus d’information : www.fairchances.org], Oxfam-Magasins du monde publie à l’automne  2015 son catalogue de Noël. Au chapitre des jouets, une photo présente une petite fille vêtue d’un tablier fleuri jouant à la dinette, tandis qu’une autre expose un garçon jouant avec des voitures et camions de bois issus du commerce équitable. La perplexité gagne l’équipe de travail : « Comment a-t-on pu laisser passer cela ? ».  Par « cela », doit s’entendre : deux images  qui mettent en scène une petite fille et un petit garçon dans des rôles très stéréotypés – la cuisine pour l’une, l’automobile pour l’autre -, alors que la campagne appelle à l’analyse et la déconstruction des rôles socialement attendus envers les femmes et les hommes dans le monde. Ce travail est la base même de la lutte pour l’égalité des droits, notamment dans le monde du travail.
Cette anecdote est une chance pour l’organisation : elle permet de débattre en interne de la nécessité d’intégrer une cohérence entre les engagements affichés du commerce équitable en faveur de l’égalité des chances, et ses pratiques. En 2016, Oxfam-Magasins du monde met en place une démarche d’autodiagnostic pour amorcer une intégration plus systémique et plus systématique de l’approche genre dans l´ensemble de ses métiers et activités.
Le point de départ de cette démarche, objet de cette analyse, a été de faire l’état des lieux des politiques, pratiques et outils existants en matière d’égalité femmes-hommes en interne, à l’aide d’une enquête. Les principaux constats et recommandations y sont traités à la lumière de l’étude réalisée par le Monde selon Les Femmes « Le genre dans les organisations de développement durable. Enquête sur l’intégration du genre dans les organisations de développement durable en Belgique francophone » (2016).

Antécédents

Oxfam-Magasins du monde et la question des droits des femmes est une histoire ancienne. Cet enjeu est en effet au cœur des préoccupations du commerce équitable, ainsi que des différents groupes et plateformes dont l´organisation est membre.
En effet, le genre est tout d´abord un des dix principes du commerce équitable que les membres du World Fair Trade Organization (WFTO) doivent veiller à respecter et faire respecter. Ce principe les engage à garantir la non-discrimination au sein de leur organisation, l´équité de genre et l´empowerment économique des femmes, ainsi que la liberté d´association. En fin d´année 2015, WFTO a renouvelé le statut d´Oxfam-Magasins du monde comme « Membre certifié de Commerce Equitable » sur la base d’une auto-évaluation exhaustive des différents critères de WFTO. Ce faisant, WFTO confirme que l´organisation respecte le sixième principe relatif au genre.
Par ailleurs, dans son plan stratégique 2013-2019, Oxfam International a défini le genre comme un des 6 objectifs à atteindre d’ici 2019. Dans la foulée, Oxfam-Magasins du monde a explicitement traduit cet objectif dans son plan stratégique 2020, en présentant le genre comme un des cinq principes essentiels pour obtenir une justice socio-économique mondiale.
Ainsi pour Oxfam-Magasins du monde, l´égalité de genre, ou l’égalité de droits et d’opportunités pour les hommes et les femmes, est la « condition d’un développement humain durable ».
Le genre est finalement un élément central dans le positionnement d’Oxfam Fair Trade working group, groupe de travail réunissant toutes les Oxfam actives dans le commerce équitable (OMDM, Oxfam-Wereldwinkels, Oxfam Intermón, Oxfam GB et Oxfam Australie). Ce document, actualisé en 2014, attache de l’importance à l’analyse des impacts différentiels qu’ont sur les femmes les différents modèles de travail autour des chaines de valeur traditionnelles et équitables, ainsi que les alternatives qu´elles-mêmes proposent en réponse aux difficultés rencontrées.

Situation actuelle

Une enquête interne a été réalisée en 2016 auprès de 10 membres du personnel (sur un total de 74) représentatifs des différents services et départements d’Oxfam-Magasins du monde (Partenariat-Campagne, Mobilisation Adultes, Mobilisation Jeunes, Commercial, Communication, Services Généraux, Ressources Humaines), sur la base d’un document de diagnostic dont l’élaboration a été facilitée par l’équipe accompagnatrice de l´asbl Le Monde selon les Femmes. Des 10 personnes interrogées, 4 sont des femmes, et 6 sont des hommes (dont un responsable de service, et un directeur de département). De cette enquête, il ressort que les réponses et attentes des membres du personnel varient en fonction de l’année de leur entrée dans l’organisation, des projets auxquels ils contribuent et des services dont ils font partie. Ces variables vont influencer leur perception personnelle, ce qui explique les (heureuses !) divergences.
Le document devait amener l’équipe à « Tester notre QIG ou Quotient Intégration Genre» et à débattre en groupe des réponses obtenues de manière individuelle, pour les confronter. Les questions invitaient le personnel à estimer si l’organisation :

  1. a une politique et une stratégie pour la prise en compte des inégalités entre les femmes et les hommes dans ses actions ;
  2. a une politique et une stratégie pour atteindre la parité parmi son personnel, globalement et sur chaque niveau hiérarchique ;
  3. emploie et/ou cherche à recruter des personnes compétentes en genre ou encourage la formation de son personnel à l’approche genre ;
  4. utilise des outils d’analyse et de planification explicitement sensibles aux différences et inégalités entre les femmes et les hommes dans tous ses programmes d’intervention ;
  5. utilise des indicateurs (processus/impact) désagrégés par sexe permettant de suivre et d’évaluer l’évolution des rapports femmes/hommes dans les différents contextes d’intervention ;
  6. mène des actions spécifiques ou principalement axées sur les droits des femmes ;
  7. prend en compte la dimension genre transversalement dans toutes ses actions et dans ses divers secteurs d’intervention ;
  8. privilégie les partenariats avec des organisations sensibles et compétentes en genre ;
  9. a ouvert un espace de débat (en interne et avec ses partenaires) sur les enjeux de l’égalité entre les sexes ;
  10. a nommé un/e personne responsable de l’intégration transversale du genre dans ses actions, en lui accordant les moyens nécessaires.

Les résultats obtenus ont permis de constater, tout d´abord, que l´engagement entrepris par Oxfam-Magasins du monde en relation à l´enjeu « genre » est visible, connu et reconnu par les membres des différents services. Néanmoins, le cadre et la stratégie d´application de cet engagement sont mal connus de manière générale, ce qui peut traduire un problème de vision stratégique commune d´une part, mais aussi un problème de communication entre services d´autre part. Inévitablement, cela peut également se faire sentir à l´extérieur, auprès du Mouvement et de la clientèle des Magasins du monde. Ces constats sont développés ci-dessous.

Un engagement reconnu vers une plus grande intégration du genre

La majorité du personnel ayant participé à l´enquête reconnait que l´organisation est en marche vers une stratégie d’intégration du genre comme thématique et comme enjeu placé au cœur de ses actions. Il n’y a pas meilleure preuve de cela que l´exercice d’autodiagnostic, dans lequel s´inscrit cette enquête.
Six des dix personnes reconnaissent que l´organisation met en œuvre systématiquement des actions spécifiques ou principalement axées sur les droits des femmes.
En matière de partenariat principalement, des critères et guidelines concrets sont utilisés par Oxfam- Magasins du monde pour l’identification, la sélection et le suivi des partenaires de commerce équitable.
En matière de campagne politique et éducative, la campagne Fairchances ou des Thématiques En Magasins (TEM)[3. Le TEM est un outil de sensibilisation autour d’une thématique précise, distribué périodiquement aux bénévoles et clients des magasins du monde Oxfam.] mettent souvent en avant l´impact qu´a le commerce équitable sur les droits des femmes. Le genre a en effet été la thématique à l’honneur de la campagne Fairchances qui s’est déroulée entre octobre 2015 et mai 2016, défendant le commerce équitable comme cadre de travail décent favorisant l’émancipation des femmes artisanes.
Cette récurrence de la thématique genre au fil du temps s’explique, comme nous l´avons vu précédemment, par le fait que le commerce équitable intègre cette dimension comme l´un des 10 principes à respecter. Oxfam Magasins du monde est d’ailleurs vue comme une organisation leader en la matière. En 2017 WFTO reprendra la campagne Fairchances et ses membres la diffuseront.
S’il est certain que la campagne Fairchances a permis d’avancer d’un pas supplémentaire dans la création de partenariats avec des organisations sensibles et compétentes en genre, ces partenariats s’articulent autour d’activités et projets ponctuels, pas autour d’une stratégie institutionnelle en matière d’approche « genre ».
A côté des six membres du personnel qui apportent ces réponses, quatre autres personnes considèrent cependant que ce n’est pas suffisant, que des efforts restent à faire, mais elles reconnaissent que des progrès sont en gestation et en mise en œuvre partielle. Sept personnes sur dix considèrent d`ailleurs que l’organisation est en bonne voie vers la prise en compte de la dimension genre transversalement dans toutes ses actions et dans ses divers secteurs d’intervention, pas uniquement comme thématique.
En matière d’expertise de son personnel, il apparait que l’organisation cherche à recruter des personnes compétentes, ou tout au moins sensibles au genre, pour les postes de chargé-e-s de thématiques notamment. L´organisation encourage par ailleurs la formation de son personnel à l’approche genre. Les trois chargés de thématiques et le personnel en charge du matériel éducatif ont suivi, à différents moment de leur parcours professionnel, des formations sur le genre.

Une expertise sectorisée, des efforts peu, voire mal communiqués

Des efforts et des moyens sont donc explicitement mis en œuvre par Oxfam-Magasins du monde pour parvenir à un résultat plus cohérent et collectif en matière de genre. Ces efforts ont jusqu´à présent surtout visé à positionner le genre en tant que thématique de travail, en assurant une certaine périodicité dans l´occurrence des évènements et projets. Le genre n´est pas, à la lumière des résultats de l´enquête, suffisamment abordé de manière transversale comme étant une approche, une « lunette » comme on l´entend souvent, à porter dans son métier.
Il apparait également que  les politiques et outils d´application de l´approche genre existants restent encore la spécialisation de certains services et départements et sont méconnus des autres. Cela explique aussi le fait que six personnes sur dix affirment que l’organisation n’intègre pas systématiquement ni transversalement des outils d’analyse et de planification explicitement sensibles aux différences et inégalités entre les femmes et les hommes dans tous ses programmes d’intervention. L’exemple des outils d’identification/sélection et de monitoring des partenaires de commerce équitable illustre bien ce point ; ils sont en effet bien connus du service Partenariat, mais moins du service éducatif ou du service commercial.
Ces outils spécifiques doivent-ils être connus de tous ? La question reste ouverte. Le besoin d´une politique, d’une stratégie, d’un référentiel et/ou d’outils communs à l’ensemble des départements semble néanmoins se faire sentir.
Le résultat de ce décalage entre la volonté affirmée et certaines pratiques peut avoir des retentissements hors des murs de l´organisation, et égratigner son image. Les bénévoles du Mouvement, les clients des Magasins du monde, peuvent porter un regard critique sur les messages incohérents et jeter le doute sur la crédibilité d’OMDM. Ainsi une cliente, entreprend d´envoyer un e-mail bienveillant à l´organisation en la sollicitant de veiller à respecter un langage inclusif dans son « giftfinder », un outil Internet que l’organisation a mis en place pour aider son public à choisir des cadeaux équitables, selon si ses proches sont «aventurier-es », « gourmand-es », ou « fashion addicts », par exemple.

Conclusions : de la nécessité d´officialiser la démarche

Oxfam-Magasins du monde a ouvertement amorcé un travail de réflexion et d‘action autour de l’enjeu « genre », simultanément avec son Mouvement (avec la campagne Fairchances) et en interne (avec le lancement de l´exercice d’autodiagnostic accompagné par Le Monde Selon les Femmes). Ce faisant, l’organisation affiche son engagement pour l’égalité de droits entre femmes et hommes, et met en œuvre le plan d’amélioration recommandé par WFTO sur la question. Elle est pionnière sur ce chantier, parmi les organisations de commerce équitable.
Cette démarche a été bien accueillie par les équipes de travail, et un groupe de travail a pris forme en 2016 autour de cette question. Une première enquête débattue en groupe de travail a permis d´identifier que le genre est actuellement traité davantage comme une thématique que comme une approche transversale à l´ensemble des services, ce qui explique qu´il semble cloisonné à des services spécifiques, en particulier partenariat, campagne et éducation.
Dans son travail avec les bénévoles, Oxfam-Magasins du monde doit relever la difficulté de l’approche « femme et développement ». A savoir qu’il semble plus facile pour le personnel et les bénévoles de parler des droits des femmes bafoués dans les pays partenaires que dans l´organisation et son Mouvement, et en Belgique de manière générale.
Au-delà de l’intention, toute organisation de développement durable concernée par une démarche similaire à celle engagée par Oxfam-Magasins du monde, devrait formaliser et communiquer cette démarche à son Mouvement et vers l’extérieur.
Cette formalisation devrait passer, dans un premier temps, par la rédaction d’une politique de genre. Cette politique devrait être accompagnée d’un outil ou référentiel commun à l’ensemble des services et des forces vives de l’organisation, pour être utilisé de manière transversale dans ses activités.
Pour ce faire, une personne ou un groupe devrait être désigné. La personne référente, ou le groupe, aurait pour mission de construire la politique et ses outils d’application, ainsi que de garantir sa mise en œuvre à l’aide des moyens nécessaires. En ce sens, pour Oxfam-Magasins du monde, il serait souhaitable que le groupe de travail intersectoriel formé ponctuellement autour de l’autodiagnostic s’installe dans le temps.
Au niveau des Ressources Humaines ensuite, même quand il existe, comme c’est le cas pour Oxfam-Magasins du monde, une intention de viser la parité au sein du personnel, il serait important de construire un cahier des charges officialisant la procédure de recrutement en matière de genre, globalement et sur chaque niveau hiérarchique.
Au niveau du Mouvement enfin, pour relever la difficulté de l’approche « femme et développement » citée plus haut, il serait souhaitable d’amorcer une réflexion institutionnelle sur l’impact qu’a le volontariat sur les connaissances des bénévoles en matière de droits des femmes, et sur l’exercice de leurs droits. Une réflexion intéressante pourrait être amenée par exemple quant à la prise de parole des hommes et des femmes au sein des organes décisionnels de l´organisation (commission partenaire, AG…), là où il a été observé que malgré le grand nombre de femmes bénévoles représentées, les hommes, minoritaires, prennent plus souvent la parole, et plus longtemps.
Estelle Vanwambeke