fbpx
Oxfam-Magasins du monde

Coopealnor : un jus qui porte des fruits

Analyses
Coopealnor : un jus qui porte des fruits


Une bonne partie du jus d’orange importé en Belgique par Oxfam nous vient du Brésil. C’est d’ailleurs le cas de 95% des jus d’orange vendus en Europe [[highslide](1;1;;;)Test-Achats, n°541, avril 2010, p.33.[/highslide]] . Comme le souligne Test-Achats, le secteur de la culture fruitière est loin d’offrir des conditions de travail décentes à tous ses travailleurs, au point que « travail saisonnier, manque de sécurité et bas salaires s’y sont érigés en normes. Au Brésil, les travailleurs n’ont souvent ni contrat, ni sécurité sociale » [[highslide](2;2;;;)Idem.[/highslide]] . Face à un tel tableau, le commerce équitable, qui cherche précisément à proposer des alternatives durables aux producteurs et aux consommateurs, trouve toute sa raison d’être.
Cette analyse se concentre sur l’expérience d’une coopérative qui regroupe des petits producteurs d’oranges dans le Nord-Est du Brésil, région la plus pauvre du pays. C’est plus précisément autour de la ville de Rio Real, dans le Nord de l’état de Bahia et à proximité de l’état de Sergipe, soit au cœur de l’une des principales zones de culture d’oranges au monde, que se déploient les activités de Coopealnor.
[highslide](Cealnor ou Coopealnor ?;Cealnor ou Coopealnor ?;;;)
Une certaine confusion existe sur le nom de l’organisation. En fait, il n’y a pas une, mais bien deux organisations étroitement liées.
Cealnor [pour « Centre agro-écologique du littoral Nord »] est l’organisation la plus ancienne. Elle a été fondée pour regrouper des paysans de la région du littoral Nord de l’état de Bahia. Le droit brésilien limite fortement la capacité de Cealnor d’agir dans le domaine commercial, en raison de son statut juridique d’organisation sans but lucratif. Pendant plusieurs années, Cealnor a donc dû trouver des solutions alternatives et complexes pour vendre la production de ses membres. En raison des complications dues à ce statut juridique, il a été décidé de créer Coopealnor, organisation plus apte à mener des activités commerciales.
Coopealnor [pour « Coopérative agricole du littoral Nord »] est une coopérative de production et de commercialisation fondée en 2007 sur base de l’expérience de Cealnor. Les fondateurs de Coopealnor sont les pro-ducteurs membres de Cealnor désireux de s’impliquer dans la commercialisation. Les deux organisations coexistent donc, mais c’est aujourd’hui Coopealnor qui est partenaire d’Oxfam et qui reçoit la certification de commerce équitable de FLO.[/highslide]

Le jus d’orange, une valeur cotée en bourse

La plupart d’entre nous sont sans doute plus habitués à entendre parler du cours international du pé-trole ou de l’or que du cours du jus d’orange. Pourtant, tout comme de nombreuses autres matières premières agricoles, le jus d’orange est coté en bourse. Le cours international du jus d’orange est fixé à New York, en fonction des fluctuations de l’offre et de la demande sur les marchés. Pour les petits producteurs d’orange, suivre l’évolution du cours du fruit de leur travail est évidemment loin d’être simple. A vrai dire, pour des producteurs isolés et peu scolarisés, il s’agit tout simplement d’une mis-sion impossible. Dans les faits, les producteurs d’oranges sont réduits à subir les fluctuations de cours sur lesquels ils n’ont aucunement prise. Parfois, par manque d’information sur les marchés et les bénéfices engrangés par les autres acteurs de la filière, les producteurs sont floués dans les négociations commerciales par des acteurs beaucoup mieux informés qu’eux.

S’organiser pour se renforcer

L’organisation des producteurs en coopérative est un moyen de renforcer la position de ceux-ci dans les négociations commerciales. La coopérative Coopealnor est née de l’union de 28 producteurs. Aujourd’hui, 64 producteurs en sont membres. Selon Rafael Cezimbra, collaborateur de Coopealnor, les paysans non membres de la coopérative se rendent compte que les paysans membres sont mieux informés qu’eux sur des éléments aussi essentiels que l’évolution des prix, les techniques de production ou encore les conditions de vente.
De plus, au sein de la coopérative, les producteurs ont l’avantage de participer directement et démocratiquement à la gestion de leur propre entreprise. Cette caractéristique est loin d’être anodine et le renforcement organisationnel qui en découle est à l’origine de changements concrets. Ainsi, les agriculteurs de Coopealnor sont passés d’un statut de simples fournisseurs de matière première pour une usine de transformation à une situation qui les voit louer les services de la même usine pour transformer leurs fruits en un jus qu’ils commercialisent à travers la coopérative. Le contrôle de la filière par les producteurs est donc nettement plus grand que dans le cas de producteurs isolés.

[highslide](Bientot 10 ans de partenariat belgo-bresilien;Bientot 10 ans de partenariat belgo-bresilien;;;)

Coopealnor entretient des relations de parte-nariat avec Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam-Magasins du monde depuis 2001. L’organisation est très satisfaite de sa relation avec Oxfam, qu’elle considère comme un véritable partenaire. Illustration de cette relation de partenariat : lorsque Coopealnor a expliqué à Oxfam que le prix minimum garanti dans le cadre de la certification de commerce équitable par FLO ne permettait pas de couvrir leurs coûts de production, Oxfam a accepté de payer un prix plus élevé, sur base des informations transmises par Coopealnor.

[/highslide]

Coopealnor entretient des relations de parte-nariat avec Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam-Magasins du monde depuis 2001. L’organisation est très satisfaite de sa relation avec Oxfam, qu’elle considère comme un véritable partenaire. Illustration de cette relation de partenariat : lorsque Coopealnor a expliqué à Oxfam que le prix minimum garanti dans le cadre de la certification de commerce équitable par FLO ne permettait pas de couvrir leurs coûts de production, Oxfam a accepté de payer un prix plus élevé, sur base des informations transmises par Coopealnor.

Devenir membre de Coopealnor

Une procédure bien établie est définie pour accueillir de nouveaux membres dans la coopérative. En voici les principales étapes.

  • L’agriculteur candidat doit tout d’abord envoyer un courrier à la coopérative, mentionnant que sa candidature est soutenue par au moins un membre de la coopérative. Il s’agit en quelque sorte d’une lettre de motivation. L’étape de l’envoi d’un courrier est moins simple qu’on ne pourrait le croire. Pour la plupart des paysans de cette région rurale, prendre la plume est loin d’être une tâche évidente. Beaucoup doivent d’ailleurs se faire aider par quelqu’un de plus instruit pour rédiger ce courrier. Ils sont ainsi obligés de rentrer dans une démarche qui demande déjà un certain engagement de leur part.
  • La deuxième étape fait intervenir l’équipe technique de Coopealnor. Celle-ci visite la propriété du candidat et collecte des renseignements sur l’histoire des lieux, sur les activités agricoles qui y sont développées, sur les techniques utilisées, sur la taille exacte de la propriété, etc. Un rapport complet sur la propriété du candidat est rédigé et transmis à la direction de Coopealnor.
  • Avant qu’un avis ne soit finalement rendu, la direction de la coopérative rencontre le candidat, afin de mieux connaître ses motivations et de lui expliquer les exigences que doivent remplir les membres de la coopérative.
  • Une fois qu’ils sont devenus membres de Coopealnor, les coopérateurs doivent observer les règles internes de la coopérative. Un contrôle est effectué via des visites techniques régulières. L’approche privilégiée n’est pas répressive et est axée avant tout sur la formation des producteurs. Mais, en cas de non-respect des règles internes, des sanctions peuvent intervenir. Par exemple, un producteur qui n’avait pas assisté à la formation proposée sur la gestion des déchets a dû être exclu pour avoir brûlé à plusieurs reprises des déchets qui étaient en fait recyclables.

Les certifications bio et équitables : entre coûts et oportunités

La certification des produits par des organismes tiers a l’avantage d’offrir des garanties claires sur les produits. Mais elle a le désavantage de ne pas être gratuite. Coopealnor reçoit deux certifications pour ses produits : la première ne concerne que certains coopérateurs et atteste que leurs fruits sont issus de l’agriculture biologique. La seconde garantit que les jus sont issus du commerce équitable. C’est surtout la certification de commerce équitable qui représente un poids important pour Coopealnor, tant sur le plan financier que sur le plan du volume de travail à fournir pour remplir les exigences de FLO-Cert, l’organisme international de certification du commerce équitable. A l’échelle d’une structure aux moyens humains et financiers réduits, cela implique un investissement considérable.
Alors, pourquoi faire certifier les produits ? Parce que cela leur donne une valeur ajoutée sur le mar-ché. Sur base d’une estimation du rapport entre les coûts et les bénéfices de la certification équitable, Coopealnor choisit de continuer à travailler avec FLO-Cert. Le label de commerce équitable que la certification de FLO permet d’obtenir (le label Max Havelaar en Belgique) a un tel niveau de notoriété auprès des consommateurs européens que Coopealnor est de fait obligé de certifier sa production pour l’exporter en Europe dans les conditions du commerce équitable. Sur le marché belge, le fait de travailler avec Oxfam, organisation dont le nom est fortement associé au commerce équitable et dont la crédibilité dans le secteur est largement reconnue, pourrait suffire à offrir une garantie suffisante aux consommateurs. Mais, la situation est bien différente sur les autres marchés européens, où les partenaires de Coopealnor ne bénéficient pas du même niveau de renommée et de crédibilité qu’Oxfam. Conséquence : Coopealnor est pour ainsi dire obligé de passer par le processus de certification, malgré ses coûts en moyens financiers et humains.

Vendre sur plusieurs marchés

Les consommateurs des jus Oxfam ne sont pas les seuls à goûter les fruits du travail des membres de Coopealnor. En fait, Coopealnor divise ses activités de vente en trois grandes catégories :

  • L’exportation de jus concentré dans le cadre du commerce équitable international. En plus de ses relations de partenariat avec Oxfam qui lui permettent d’exporter vers la Belgique, Coopealnor exporte du jus d’orange (mais aussi du jus de fruit de la passion) en France et aux Pays-Bas. L’accès à des marchés européens est une source de fierté pour les producteurs et les collaborateurs de Coopealnor, qui se plaisent à qualifier leur activité d’ « agriculture sociale de classe mondiale ». L’exportation directe vers l’Europe est aussi un argument qui renforce la crédibilité sur le plan local d’une organisation qui reste modeste par la taille, mais dont l’expertise de commercialisation est démontrée par les faits. Toutefois, si l’accès au marché international est un facteur de renforcement, il ne constitue pas pour autant une fin en soi. Ainsi, lors de sa visite en Belgique au mois de mai 2010, à l’invitation d’Oxfam-Magasins du monde, Rafael Cezimbra déclarait que « pour permettre à d’autres organisations de producteurs d’exporter elles aussi leur production et de se renforcer comme nous avons pu le faire, nous serions prêts à diminuer le volume de nos exportations ».
  • La vente de denrées alimentaires diverses sur le marché local, directement aux consommateurs. Les membres de Coopealnor ne produisent pas que du jus et ne visent pas que les marchés étrangers. Ils sont aussi présents sur le marché local, où ils vendent évidemment des oranges et des fruits de la passion, mais aussi des noix de coco, du manioc, des haricots et du maïs.
  • La vente de denrées alimentaires destinées aux cantines scolaires, dans le cadre de politiques gouvernementales d’appui à l’agriculture familiale. Les producteurs de Coopealnor font par-tie des bénéficiaires de la décision du gouvernement fédéral brésilien de donner une véritable place à l’agriculture familiale dans l’alimentation scolaire. Ainsi, dans le cadre du Programme pour l’acquisition d’aliments (PAA), 30% au moins des aliments consommés dans les cantines scolaires doivent provenir de l’agriculture familiale. Une telle mesure constitue un appui concret considérable, qui permet de soutenir durablement l’agriculture familiale en assurant l’existence d’une demande pour son offre de produits alimentaires. L’intérêt de ce programme a notamment été souligné par Olivier De Schutter, actuel rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. Celui-ci indique qu’en 2009, les dépenses pour l’alimentation scolaire au Brésil ont représenté un budget de 2,2 milliard de réais [[highslide](3;3;;;)1€ valait approximativement 2,3 réais au mois de mai 2010.[/highslide]] . Grâce au programme du gouvernement, au moins 733 millions de réais sont donc dépensés pour acheter des aliments issus de l’agriculture familiale [[highslide](4;4;;;)Olivier DE SCHUTTER, rapport de mission au Brésil, 19 février 2010, p.16. www.srfood.org.[/highslide]] .

Concilier pragmatisme et idéologie

Cette brève présentation des activités de Coopealnor permet de découvrir une organisation qui a d’abord cherché à proposer des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par les paysans de la région.
A partir de peu de moyens , la structure de Coopealnor et les paysans qui en sont membres sont parvenus à acquérir une expertise technique dans les domaines de la production et de la commercialisation. Mais les avancées sur le plan technique ne sont pas incompatibles avec le maintien des valeurs qui ont mené à la constitution d’une organisation orientée par des objectifs de durabilité sociale et environnementale. C’est en vue de poursuivre ces objectifs que les membres de Coopealnor représentent leur coopérative dans différentes instances regroupant les agriculteurs de la région. Les valeurs fondatrices de Coopealnor déterminent aussi l’affectation des bénéfices générés par le commerce équitable : soutien à des programmes d’alphabétisation et à la formation de leaders locaux, achat de meubles pour une crèche et de machines pour un groupe de couturières, investissement dans un pulvérisateur de biofertilisants, etc.
On peut dès lors en conclure sans hésitation que l’expérience de Coopealnor est un bon exemple de concrétisation de l’idée à la base d’une conception forte du commerce équitable, soit la proposition d’alternatives concrètes pour soutenir des producteurs marginalisés et mettre ainsi en question les pratiques dominantes du commerce international.
François Graas
Service politique