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N’Dem, partenaire de commerce équitable et projet de développement intégré

Analyses
N’Dem, partenaire de commerce équitable et projet de développement intégré

A l’Ouest du Sénégal, la région de Djourbel était réputée être un grenier arachidier et les populations y vivaient de l’agriculture et du savoir-faire lié à la culture et au travail du coton, des métaux et de la vannerie. Dans les années 80, les conditions climatiques et économiques particulièrement dures ont rendu difficile pour bon nombre de paysans la vie sur leurs terres, poussant les hommes à l’exode rural. Les femmes, restées au village avec les enfants, consacraient l’essentiel de leur temps à puiser de l’eau et à piler le mil, par manque d’infrastructures de base adéquates.

Historique

C’est dans ce contexte, que s’est créée en 1985, dans une zone enclavée de la région de Djourbel, à 120 km de Dakar et à 12 km de la ville la plus proche, l’association N’Dem, dans le but d’aider les villageois à rester ou à revenir sur leurs terres.
Avec pour objectif l’amélioration durable et globale des conditions de vie des villageois par la création d’emplois et de services sociaux de base, N’Dem donna dans un premier temps la priorité à améliorer l’accès à l’eau potable et aux moulins pour soulager les femmes et ainsi leur permettre de dégager du temps, avant de s’attaquer aux problèmes d’éducation et de santé.

Organisation

Ayant acquis en 2006 le statut légal d’ONG, N’Dem fonctionne avec un bureau composé de représentants de 7 secteurs d’activités : artisanat, maraîchage, biocombustible, éducation, santé, hydraulique, micro-finance. L’assemblée générale annuelle est constituée de 340 membres provenant de 15 villages. Elle élit les 11 membres du conseil d’administration pour une durée de 2 ans. Le travail exécutif et administratif, y compris la comptabilité, se fait au niveau de chaque secteur.
Actuellement, l’ONG repose encore beaucoup sur ses 2 co-fondateurs qui en président le bureau. Ceux-ci sont en train de poser les jalons qui leur permettront de se retirer progressivement, en préparant la relève. Tant pour répondre à des besoins organisationnels et commerciaux que pour permettre une meilleure appropriation des différents secteurs d’activités par les populations, un projet de créer une coopérative est en cours. Ainsi, l’assemblée générale de la coopérative s’est réunie et a entamé la constitution de son capital. Chaque coopérateur cotise et participera à la prise de décision. La coopérative donnera aux agriculteurs de la région un accès au crédit et leur permettra d’acheter des semences d’arachides, du bétail et du fourrage à un prix raisonnable. Le principe de la coopérative est d’acheter les semences lorsque les prix sont bas sur le marché et de les revendre aux coopérateurs à un prix social ; le reste étant revendu sur le marché avec un bénéfice pour la coopérative. Une fois la coopérative complètement opérationnelle, elle bénéficiera du soutien et des conseils de l’ONG N’Dem.
En tout, ce sont pas moins de 8 000 habitants de quinze villages de la région qui bénéficient des projets mis en œuvre par N’Dem.

Le centre artisanal Maam Samba [[highslide](1;1;;;)Du nom de l’arrière grand-père du fondateur de N’Dem.[/highslide]]

Le temps gagné grâce à un accès plus aisé à l’eau et aux moulins a permis d’envisager de nouvelles activités économiques. C’est ainsi que l’activité de production artisanale débuta en 1987 avec une filière textile de tissage, teinture et confection ainsi que des filières artisanales de travail du cuir, du métal de récupération, de vannerie, poteries, bijoux,…
L’activité artisanale est coordonnée par le centre des métiers qui regroupe 12 ateliers, sans compter les ateliers de poterie et de vannerie, qui permettent aux femmes des villages plus éloignés de travailler à domicile.
Le centre compte aujourd’hui 360 artisans, dont 60% de femmes. Tous bénéficient d’une rémunération qui leur permet de vivre décemment au village. N’Dem estime à près de 200 le nombre de personnes, principalement des hommes, revenues de Dakar grâce aux activités mises en œuvre par l’ONG et aux possibilités d’emploi local qui ont été créées.
En guise de préfinancement, N’Dem fournit les matières premières aux artisans. Les prix sont calculés en fonction d’un système détaillé sur des fiches analytiques, assurant que les coûts de production soient couverts et le temps de travail rémunéré au minimum 25% de plus que le salaire minimum légal sénégalais. Ils sont négociés et acceptés par les deux parties. Alors que dans un atelier traditionnel, un artisan gagne autour de 50.000 Francs CFA [[highslide](2;2;;;)76 euros. Le salaire minimum légal au Sénégal est de 209 FCFA /heure, soit 47.700 Francs CFA par mois = 72 euros[/highslide]] , les artisans de N’Dem peuvent gagner jusqu’à 90.000 Francs CFA, soit environ 137 euros par mois. De plus, le fait de travailler au village et près de leur famille leur évite des frais de logement et leur permet de cultiver la terre et donc de dégager des revenus complémentaires.

Durabilité économique

Depuis sa création, N’Dem a été attentif à réinvestir une part des bénéfices dans le développement de l’activité productive. Ces dernières années, les ventes étaient presque également réparties entre la vente locale dans les 4 boutiques de N’Dem et la vente à l’exportation. Mais, conséquence directe de la crise de l’artisanat, les exportations ont chuté de près de 50% au cours des deux dernières années, ce qui a entraîné une crise grave dans le centre des métiers, nécessitant une restructuration.
Par ailleurs, les ventes locales ont été fortement affectées par la fermeture de 2 boutiques. N’Dem a entretemps rouvert une petite boutique d’à peine 16 m² dont les ventes sont en augmentation constante. L’achat d’un terrain et la construction d’une galerie Maam Samba à Dakar est actuellement à l’état de projet. La moitié de la somme a déjà été réunie et la récolte de fonds auprès de partenaires continue.
95% des exportations se font à travers des réseaux de commerce équitable en Belgique, en France, en Italie, en Finlande, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, au Canada, aux Etats-Unis et en Afrique du Sud
Pour faire face à la crise, N’Dem a entre autres décidé d’entamer de nouvelles collaborations avec des designers français et belges afin de développer des produits qui répondent au mieux à la demande des marchés européens.
Si le centre des métiers a pu au fil du temps acquérir un certain équilibre financier, il n’en va pas de même pour l’ensemble du projet de N’Dem qui dépend fortement de financements extérieurs, principalement de la part d’ONG sénégalaises et étrangères ou de groupes de sympathisants.

Des projets sociaux qui bénéficient à l’ensemble de la population…

En tant qu’ONG, N’Dem ne se limite pas aux artisans et met en œuvre plusieurs projets qui bénéficient à l’ensemble de la communauté villageoise.
Dès le début, vu le contexte de sécheresse chronique, l’accès à l’eau a constitué un des axes prioritaires du travail de N’Dem. C’est ainsi que 2 forages, des équipements et un réseau d’adduction d’eau donnent accès à l’eau potable à la population de 11 villages et à 4 autres villages qui peuvent s’approvisionner avec des charrettes. La gestion des forages est assurée par les populations au sein de comités locaux de gestion de l’eau, avec l’appui de N’Dem. Les coupures de courant intempestives ont beaucoup abîmé les pompes et N’Dem a pour projet de les équiper de panneaux solaires.
Grâce à des financements extérieurs, N’Dem a construit un poste de santé communautaire couvrant 33 villages, soit environ 8300 personnes, une maternité qui gère une dizaine d’accouchements par mois, 6 classes pour les 6 niveaux d’école primaire accueillant 350 élèves et une école maternelle. Enfin, N’Dem gère une cantine qui bénéficie à 250 élèves d’une dizaine de villages, dont le fonctionnement est financé par la vente d’un produit d’artisanat conçu spécifiquement à cette fin.
Au départ, les cours étaient assurés par des bénévoles. L’objectif de N’Dem était de démontrer qu’une école à N’Dem était indispensable. Depuis 2009, N’Dem a aussi ouvert un collège et espère faire revenir progressivement les collégiens partis étudier en ville.
Depuis quelques années, l’école a constitué une bibliothèque pour les élèves ainsi qu’un centre de formation professionnelle qui permettra aux jeunes de la région d’acquérir un savoir-faire technique.
Bien décidé à ne pas agir seul et à mettre l’Etat sénégalais devant ses responsabilités, N’Dem a réussi, par le déploiement de ses activités, à démontrer la nécessité d’infrastructures sociales à N’Dem et à obtenir l’appui de l’Etat pour la construction de salles supplémentaires ainsi que pour l’envoi et la prise en charge régulière des salaires d’enseignants et d’une infirmière d’Etat. N’Dem a également obtenu le soutien de l’Etat pour le 2ème forage. Par sa créativité, N’Dem bénéficie d’une reconnaissance de la part de l’Etat. C’est ainsi que l’organisation a notamment reçu un prix du Président de la République pour un nuancier de couleurs.

… et des projets économiques

Sur le plan économique, N’Dem a mis en place une mutuelle d’épargne et de crédit pour financer l’achat des matières premières et les projets locaux. En parallèle à l’activité artisanale, N’Dem a revalorisé l’élevage en utilisant de nouvelles technologies pour une gestion durable des ressources aquifères. C’est ainsi que les maraîchers utilisent maintenant un système de goutte à goutte pour leurs cultures. N’Dem se veut un moteur de nouvelles initiatives économiques et un stimulant de l’entreprenariat local, principalement féminin. L’axe de création d’activités se retrouve généralement dans toutes les branches du projet. N’Dem est par exemple à la base de la création d’une boulangerie artisanale qui, tout en créant des emplois de boulangers et de revendeurs, permet de proposer du pain frais dans 15 villages. La boulangerie a cependant du mal à atteindre son seuil de rentabilité, subissant de plein fouet la concurrence du pain sec de Dakar revendu dans les villages. Il est probable qu’à moyen terme certains villages, dont les commandes sont trop faibles, ne puissent plus être approvisionnés.
Dans un objectif de relance des marchés locaux, un marché aux bestiaux a été construit par le projet pour accueillir les éleveurs de la région, créant ainsi un centre d’activités, drainant une grande population et redonnant vie à ce commerce. Un marché sur la place de N’Dem a aussi pour vocation de redonner de l’attractivité au village et de développer les échanges avec les villages environnants. Trois épiceries ont été créées dans le village et une structure ouverte a été construite près de la piste avec l’ambition de devenir un marché départemental.
L’activité économique est aujourd’hui très dépendante des cultures pendant la saison d’hivernage [[highslide](3;3;;;)Au Sénégal, saison des pluies qui s’étend environ de mai à octobre[/highslide]] qui, en plus d’être courte, est devenue de plus en plus incertaine. C’est pourquoi N’Dem a encouragé la culture maraîchère en saison sèche, rendue possible par le réseau d’addiction d’eau et un système d’arrosage goutte à goutte. N’Dem a également développé des activités d’élevage et de culture de l’aloé vera.

Une attention particulière pour l’environnement

Même si aujourd’hui, une part importante de sa production textile est encore faite avec du coton conventionnel, N’Dem a un projet de développement d’une filière complète de coton bio. Actuellement, N’Dem achète du coton bio à des cotonniers de Koussanar, au Sud du Sénégal. L’égrenage est fait sur place par les cotonculteurs et la Sofidex, société basée à Dakar. Dans un premier temps, la filature a été assurée à Dakar de manière industrielle par la CCV (la Cotonnière du Cap Vert) qui n’est plus prête à l’assurer tant que les quantités ne seront pas plus importantes. Il est en effet trop coûteux de lancer une filature séparée pour de petites quantités. N’Dem est donc à la recherche de collaborations pour la filature. N’Dem tente également de diversifier ses sources d’approvisionnement en coton bio, entre autres au Mali où les unités de transformation du coton font défaut.
Avec la fin de la sécheresse ces dernières années, N’Dem espère pouvoir replanter du coton (qui a besoin de pluies abondantes). En 2011, l’expérience sera tentée. Cultiver, égrener, filer, tisser : toute la chaîne serait sur place. Un partenaire américain leur a apporté une dizaine de rouets artisanaux que les femmes utilisent pour filer le coton bio disponible actuellement.
En matière de techniques de production, N’Dem a déployé une série d’alternatives respectueuses de l’environnement. C’est ainsi que le centre de métier a développé une gamme de teintures naturelles, à base de plantes récoltées et d’argile. Ces teintures biologiques ont demandé de longues recherches pour arriver à fixer la couleur (finalement avec du niébé, variété de haricot). Certaines couleurs nécessitent cependant l’utilisation de teintures chimiques non toxiques, répondant aux normes internationales.
Les artisans du centre des métiers réalisent aussi des produits en patchwork, avec les bouts de tissus récupérés et un système de filtrage des eaux usées par le processus de teinture est en place pour ne pas affecter la nappe phréatique. Le défi actuel est l’entretien de ce système et à terme le développement d’un nouveau système qui permettrait de récupérer l’eau
Plus globalement, N’Dem a développé un biocombustible avec le centre de recherche de Gembloux (avec des coques d’arachides récupérées dans une usine locale et de l’argile) et fait la promotion du reboisement (plantation d’arbres autour de l’école, centre de santé, centres des métiers et sur des places publiques ainsi que du maraîchage biologique pendant la saison sèche).

Participation des femmes, un défi à relever

Même si les femmes sont à la base du projet et représentent 60 % des artisans, elles restent minoritaires parmi les cadres. La raison principale vient du fait que pour être chef d’atelier, il faut être alphabétisé. On ne trouve d’ailleurs pas à N’Dem de femme alphabétisée n’exerçant aucune responsabilité. Même si les femmes sont consultées pour toute décision, leur formation reste un objectif majeur, d’autant que l’alphabétisation pour adultes réalisée jusqu’ici n’a pas donné de bons résultats.
Valérie Vandervecken, responsable Partenariat Sud