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Artisanat et identité culturelle : un défi à la mondialisation

Analyses
Artisanat et identité culturelle : un défi à la mondialisation

L’identité culturelle est-elle la caractéristique et le moteur principal du travail de l’artisan, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne ? Cette analyse montre qu’à travers le processus créatif et les chances de vivre de leur métier, des artisans qui à priori n’auraient rien à voir entre eux, de par leur éloignement géographique et culturel, ont plus de points communs qu’on ne le pense.

Les artisans du Sud vivent-ils des situations différentes des artisans du Nord ?

Bernadette, céramiste belge, fabrique des objets utilitaires et décoratifs

D’une étude réalisée en 2008 à l’issue d’une mission d’Oxfam-Magasins du monde au Pérou [[highslide](1;1;;;)L’étude « Les artisans au Nord et au Sud, qui sont-ils ? » est consultable sur le site www.omdm.be[/highslide]] et basée sur des interviews d’artisans belges et péruviens, il ressort que les situations vécues par les artisans des deux pays sont assez semblables, avec quelques différences liées plutôt au développement économique de chacun des pays qu’à la nature même des activités artisanales.

Un statut socio-économique souvent précaire

Les artisans belges comme les artisans péruviens subissent les effets de l’industrialisation et de la production de masse qu’elle implique. Les artisans belges répondent à cette situation en se positionnant sur un créneau particulier : l’artisanat d’art et la restauration du patrimoine, leur permettant de travailler la plupart du temps sur des pièces uniques, tandis qu’au Sud les artisans n’ont pas d’autre choix que de continuer à produire en espérant trouver de nouveaux débouchés, s’ils veulent maintenir leur savoir-faire artisanal. Pour ce qui est des revenus de l’artisanat, tant au Nord qu’au Sud, ils restent faibles et sont généralement un complément à une autre activité.
[highslide](Le temoignage de Cecilia, de Minka, organisation partenaire d Oxfam-Magasins du monde au Perou;Le temoignage de Cecilia, de Minka, organisation partenaire d Oxfam-Magasins du monde au Perou;;;)
Un des principaux objectifs de Minka est de reconnaître l’identité culturelle de nos artisans, de renforcer leurs organisations et d’accroître leur estime de soi. Nous croyons que le commerce équitable ne se limite pas simplement à « vendre plus » ou à « plus d’argent pour les artisans ». Le commerce équitable se doit d’être avec eux et de voir quels sont leurs besoins. Payer un meilleur prix pour leur produit ne suffit pas si les artisans restent en marge du système, et si leurs droits politiques et culturels ne sont pas respectés. D’autre part, la culture ne se reflète pas seulement dans les conceptions et les techniques traditionnelles. Il est très important que les valeurs qui ont soutenu leur civilisation et leur culture depuis des siècles, ne soient pas perdues. Ces valeurs sont utiles pour le Pérou et pour la planète. Le commerce équitable signifie pour nous qu’il faut se joindre à peuples indigènes pour défendre leurs principes et leurs valeurs. Voici un exemple: l’amour et le respect de la Pacha Mama [Terre Mère]. Pour cet amour, personne ne serait capable de couper un arbre ou de tuer un animal inutilement. Nous sommes les enfants de la Terre, une partie de celleci. Si les « conquistadores » avaient respecté et partagé ce principe fondamental, il n’y aurait ni pollution ni changement climatique… Chez Minka, nous souhaitons que tous les produits que nous vendons soient clairement identifiés comme venant du Pérou. Cette marque distinctive peut venir d’une matière première typique comme la laine d’alpaga, d’une technique artistique particulière comme certaines formes de tissage ou encore de motifs et dessins indigènes. Nous tâchons aussi d’utiliser ces éléments identitaires d’une façon discrète, pour ne pas tomber dans des travers ethniques et limiter nos chances de ventes.
Témoignage recueilli par Elisabeth Piras, mars 2010
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En Belgique, il n’y a pas de reconnaissance légale du statut d’artisan d’art et ils sont peu organisés collectivement. Dans les pays du Sud, on parle de secteur informel, donc pas ou peu reconnu par les pouvoirs publics.

Pablo fabrique à Lima des instruments de musique traditionnels, destinés à la vente à l’étranger mais aussi à la vente locale pour les fêtes qui sont nombreuses au Pérou

Par contre en ce qui concerne la promotion de l’artisanat, il semble que les organisations de promotion soient plus nombreuses au Nord qu’au Sud. Elles aident les artisans en faisant la promotion de leurs métiers et des activités de l’artisanat à travers des salons, des visites et de la publicité. L’étape de la commercialisation reste cependant un gros problème pour beaucoup d’entre eux, tant au Nord qu’au Sud, même si certains s’en sortent mieux. Les débouchés et les ventes restent un point épineux.

Identité culturelle ou création personnelle ?

Si les savoir-faire, à forte valeur ajoutée manuelle dans les deux cas, se transmettent de génération en génération, et sans grande modification des techniques, les artisans belges ne mettent pas autant en avant que leurs homologues péruviens une identité culturelle particulière. Travaillant plutôt individuellement ou avec l’aide d’une ou deux personnes, ils préfèrent parler d’un style qui leur est propre que d’une identité reliée à une appartenance culturelle. A ce titre, les artisans actifs dans la restauration du patrimoine, qui sont très attachés au respect de l’identité du produit d’origine, font figure d’exception.

Les matières premières, en amont de la chaîne

Magali, vitrailliste à Bruxelles, réalise des créations contemporaines et des restaurations du petit patrimoine

Les artisans belges et péruviens travaillent dans une chaîne de production dont ils maîtrisent presque toutes les étapes, ce qui constitue une garantie de qualité. En Belgique cependant, les artisans ont peu de contrôle sur les matières premières (origine, coût, transport, etc.), alors qu’au Pérou ils sont beaucoup plus proches de leurs matières premières, naturelles, puisque celles-ci proviennent directement du sol où ils vivent, des animaux qui les entourent ou des végétaux qui poussent dans leur environnement proche.
Il faut cependant se garder de généraliser cette situation à l’ensemble des pays du Sud, car les artisans ne contrôlent pas toujours l’origine des matières premières, qui peuvent parfois venir de très loin. Cela peut notamment être le cas du coton. Ainsi, au Guatemala, la concurrence déloyale du coton nord-américain subsidié par les pouvoirs publics a mis fin à la production nationale de coton. Aj Quen, organisation partenaire d’Oxfam-Magasins du monde active dans le tissage, n’a donc pas d’autre choix que d’acheter du coton importé des Etats-Unis. Un projet en cours pourrait permettre à Aj Quen d’utiliser du coton équitable et bio en provenance d’Argentine, mais cet exemple montre qu’au Sud aussi, la problématique des matières premières est loin d’être simple.

Protection des expressions culturelles

Hector, à Cuyo Chico au Pérou, s’inspire de sa culture inca pour la réalisation de ses ocarinas

La distinction entre produits artisanaux authentiques et copies industrielles n’est pas toujours aisée. Sur les marchés des pays du Sud, les deux se mêlent sans toujours apporter la possibilité au consommateur néophyte de distinguer le vrai du faux.
[highslide](Le temoignage d Anne Nzilani, de l organisation kenyane Bawa la Tumaini;Le temoignage d Anne Nzilani, de l organisation kenyane Bawa la Tumaini;;;)
Nous avons la chance de disposer d’un Musée fondé par le gouvernement dont le rôle est de collecter, préserver, étudier, documenter et présenter l’héritage culturel et naturel du Kenya. Il s’agit, par là, de prendre connaissance des richesses culturelles et naturelles de notre pays, de les apprécier et d’en tirer profit tout en les respectant afin de garantir leur continuité. Beaucoup de gens ont ainsi eu l’opportunité de se rendre compte d’où ils viennent et de comprendre où ils se trouvent aujourd’hui. Parallèlement, le gouvernement organise des expositions qui permettent aux organisations de commercialisation de promouvoir leurs produits et de susciter l’intérêt pour la diversité de notre culture. En effet, les 42 peuples qui vivent au Kenya se distinguent tous par des produits uniques. Par ailleurs, la plupart des matières dont sont faits les bijoux de Bawa la Tumaini se trouvent dans notre Musée ; elles sont effectivement utilisées depuis des siècles. En développant de nouveaux modèles de bijoux, nous faisons référence à notre tradition, que ce soit au niveau des matières premières (perles, os, corne, etc.), des couleurs, des formes ou des dessins inspirés d’empreintes d’animaux.
Propos recueillis par Elisabeth Piras, janvier 2010
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L’OMPI, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, une institution spécialisée des Nations Unies, a pour mandat de gérer les questions de propriété intellectuelle reconnues par les États membres des Nations Unies.
[highslide](Une loi au Panama pour proteger les molas;Une loi au Panama pour proteger les molas;;;)
Les femmes Kuna, originaires des îles San Blas, au Panama, ont développé vers la fin du XIXème siècle, un art textile en réaction à l’arrivée des Blancs. Elles ont exprimé leur différence en ajoutant sur un vêtement de type occidental qui leur a été imposé ou qu’elles voulurent imiter une pièce de tissu cousue sur leur corsage, la mola. Ces molas sont des pièces de tissus de plusieurs couches de couleur différentes, cousues selon une technique « d’appliqué inversé ». Les femmes Kunas continuent à les fabriquer pour leur propre usage vestimentaire et visent bien souvent la virtuosité technique. Dans les années 50, les étrangers ont découvert les molas et se sont mis à les acheter et, pour certains, les collectionner. Dans les années 80, la vente des molas devint la principale source de revenus pour les femmes Kunas. La demande de la part des touristes a inévitablement influencé les motifs, le style et la qualité. Des imitations de qualité médiocre, cousues par des femmes non autochtones ou produites en masse au Panama ou ailleurs, ont mis en péril l’artisanat des femmes Kunas en nuisant à la réputation de qualité et au prix de vente du produit authentique. C’est dans ce contexte que le gouvernement panaméen a travaillé dans les années 90 avec les communautés Kunas pour trouver des moyens de protéger les molas authentiques des copies illicites. Le Panama est l’un des rares pays au monde à avoir promulgué une loi pour protéger les expressions culturelles traditionnelles et les savoirs qui s’y rapportent. Dorénavant, les artisanes pourront coudre les étiquettes d’un label d’authenticité sur les pièces des molas qu’elles réaliseront pour la vente. Si un label d’authenticité ne suffira pas à empêcher la vente de copies, il aura au moins l’avantage d’attirer l’attention du consommateur sur un produit de qualité qu’il pourra acheter à un prix juste.
Source : site de l’OMPI , www.wipo. int
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Pour l’OMPI, il est important de protéger légalement les expressions culturelles traditionnelles et la propriété intellectuelle dans l’artisanat, car : « les expressions culturelles traditionnelles font partie intégrante de l’identité culturelle et sociale des communautés autochtones et locales; elles incarnent le savoir-faire et les compétences et permettent la transmission des valeurs et des croyances fondamentales » [[highslide](2;2;;;)http://www.wipo.int/about-wipo/fr/what/[/highslide]].
Vincente, à Cuyo chico (Pérou), va chercher avec des habitants du village, la terre à très haute altitude dans les montagnes pour avoir une belle qualité

Selon l’OMPI, « les instruments de propriété intellectuelle (tels que les marques de certification;  les marques collectives;  les indications géographiques;  le droit d’auteur; la concurrence déloyale) sont, ou pourraient être, mieux utilisés par les artisans et les organisations de l’artisanat au bénéfice de leurs intérêts.  Par ailleurs, de nouvelles formes de protection de la propriété intellectuelle applicables aux savoirs traditionnels et aux expressions culturelles traditionnelles pourraient aussi être utiles ».

Conclusion

Les produits d’artisanat valorisent des techniques et des savoir-faire rattachés à des cultures, des traditions ou à la transmission d’un patrimoine qui, avec la mondialisation, la concurrence et la contrefaçon auraient tendance à disparaître. Mais les artisans doivent pouvoir garder la maîtrise de leur processus de production pour que la partie créative reste bien vivante. La demande des consommateurs ne doit pas les contraindre à ne faire que de la reproduction en grand nombre et uniquement selon leur goût, ce qui les éloignerait d’une production créative et à taille humaine.
Les artisans doivent être soutenus par leurs Etats, tant pour leur statut que la promotion de leur métier ou encore les ventes, afin qu’ils puissent vivre dignement de leurs activités.

Pablo à Lima (Pérou) va choisir, dans sa région d’origine, les cannes de bambou qui lui serviront pour fabriquer les flûtes de pan ou quenas

Enfin, les organisations de commerce équitable en permettant à des artisans de vivre de leur métier, ont un rôle primordial à jouer pour renforcer la valorisation des savoir-faire et des cultures dans l’artisanat.
Véronique Porot
Service mobilisation

[highslide](L outil de l indication geographique, l exemple du Kalamkari en Inde;L outil de l indication geographique, l exemple du Kalamkari en Inde;;;)
La technique indienne de « block printing » [tampons en bois sculpté], appelée Kalamkari, dans l’état d’Andhra Pradesh en Inde a obtenu en 2009 le statut d’indication géographique protégée. Il s’agit d’une forme de brevet qui se réfère à un pays ou un lieu, et à une qualité déterminée, apportant ainsi un caractère distinctif au produit réalisé.
Source : Valoriser la tradition en créant des emplois. Ex Aequo n°29. Mars 2010
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