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Le commerce équitable : un outil concret pour la réalisation des OMD

Analyses
Le commerce équitable : un outil concret pour la réalisation des OMD

En ce début de XXIe siècle, la pauvreté et le sous-développement demeurent des maux toujours présents pour une large part de l’humanité. Les causes de ces problèmes sont de natures très différentes selon les régions touchées. En septembre 2000, les Etats membres de l’ONU se sont réunis et ont convenu de huit objectifs à atteindre avant 2015. Il s’agit des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Cette analyse vise, dans une première partie, à dresser une présentation succincte de ces objectifs et à observer l’avancement des progrès réalisés. La seconde partie cherchera quant à elle à montrer en quoi le commerce équitable (CE) et les OMD sont compatibles et dans quelle mesure le CE constitue un outil pour la réalisation des OMD.

Les objectifs du millénaire pour le développement

Les OMD ont été adoptés en l’an 2000 lors du sommet du millénaire qui s’est déroulé au siège de l’ONU à New-York. Ils sont au nombre de huit :

  • OMD1 : réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim d’ici 2015
  • OMD2 : assurer l’éducation primaire pour tous
  • OMD3 : promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
  • OMD4 : réduire la mortalité infantile
  • OMD5 : améliorer la santé maternelle
  • OMD6 : combattre le VIH, le paludisme et d’autres maladies
  • OMD7 : préserver l’environnement
  • OMD8 : mettre en place un partenariat pour le développement


Pour chaque objectif, des indicateurs ont été définis. Ces cibles chiffrées ont pour but de pouvoir observer l’évolution des progrès et de connaitre de manière claire les objectifs visés.
Le but de cette analyse n’étant pas de présenter de manière exhaustive l’intégralité des OMD et des indicateurs qui leur correspondent, nous nous pencherons plus particulièrement sur les OMD 1, 2 et 7, dans la mesure où ils correspondent aux domaines dans lesquels l’impact du commerce équitable est le plus évident.
Le premier OMD est de réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté et la faim d’ici 2015. On désigne par « extrême pauvreté » les personne vivant sous le seuil de 1$ / jour. Ceci constitue un objectif chiffré. La seconde cible à atteindre pour cet OMD est le plein emploi et un travail décent pour chacun.
Le second OMD se donne pour cible d’offrir un accès universel à l’éducation primaire. Autrement dit, que chaque enfant puisse entamer et terminer un cycle d’école primaire.
L’OMD7 vise quant à lui à préserver l’environnement. Les cibles sont : intégrer le développement durable dans les politiques nationales, inverser la tendance à la déperdition des ressources, réduire la perte de biodiversité, réduire de moitié le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à un système d’assainissement de base et améliorer les conditions de vie d’au moins 100 millions de personnes vivant dans des taudis.
La plupart des indicateurs prennent comme référence l’année 1990 pour fixer les objectifs à atteindre.

Un bilan des progrès réalisés

Concernant le premier OMD, la cible consistant à réduire de moitié la proportion de personnes extrêmement pauvres est en passe d‘être atteinte au niveau mondial en 2015. Ceci s’explique en grande partie par la croissance économique spectaculaire de la Chine au cours de la dernière décennie. Cependant, certaines régions n’ont pas connu de réels progrès et ont même vu leur situation se dégrader.
C’est notamment le cas en Afrique subsaharienne, où l’on estime qu’entre 1990 et 2005, 100 millions de personnes sont venues augmenter le nombre de ceux que l’on considère comme extrêmement pauvres.
Les projections prévoient qu’en 2015, plus d’1 milliard de personnes vivront toujours sous le seuil de 1$ / jour.

Tableau 1: proportion de personnes vivant avec moins d’1$/jour (ONU, 2009)

Région/Année
1990
1999
2005
Afrique du Nord
4.5
4.4
2.6
Afrique subsaharienne
57.4
58.2
50.7
Amérique latine et Caraïbes
11.3
10.9
8.2
Asie de l’Est
60.1
35.6
15.9
Asie occidentale
2.2
4.1
5.8
Asie du Sud-Est
39.2
35.3
18.9
Pays les moins avancés (PMA)
63.3
60.4
53.4

La seconde cible de cet objectif est d’atteindre le plein emploi et d’offrir un travail décent à chacun. Dans les pays en développement (PED), des progrès ont été accomplis dans ce sens. La proportion de travailleurs vivant avec moins d’un dollar par jour est passée de 47% en 1997 à 28% en 2005. Mais, là encore, des disparités subsistent. Les progrès ont principalement été observés en Chine et en Asie du Sud-Est. L’Asie occidentale et l’Afrique subsaharienne n’ont de leur côté pas connu d’amélioration, avec respectivement 25% et 64% de travailleurs sous le seuil d’1$/jour.
La crise économique a eu des effets pervers, avec non seulement une augmentation du chômage, mais aussi une hausse du nombre de travailleurs pauvres. Les populations les plus défavorisées – qui ne disposent ni d’épargne, ni de protection sociale – étant contraintes d’accepter n’importe quel emploi disponible pour pouvoir survivre.

Source: ONU, Rapport sur le suivi des OMD 2009

Le second OMD est d’assurer un accès universel à l’éducation primaire.
Ici aussi, on peut voir que des progrès ont été réalisés. Dans les PED, on est passé de 83 à 87% d’enfants scolarisés entre 2000 et 2007. Presque toutes les régions ont connu des progrès dans ce domaine, notamment du fait d’une augmentation des dépenses d’éducation dans beaucoup de pays.
Même si des améliorations ont été réalisées, la tendance risque de s’inverser du fait de la poussée démographique. En effet, le rythme d’augmentation de la population sera probablement supérieur à celui des dépenses d’éducation. Conséquence : la somme allouée par tête va mécaniquement diminuer.
L’ONU, dans son rapport annuel 2009 sur le suivi des OMD, estime que malgré les progrès réalisés, le rythme semble trop lent pour que les objectifs soient atteints en 2015.
Là encore, l’Afrique est le continent le plus défavorisé : sur les 72 millions d’enfants qui n’ont jamais vu une salle de classe, la moitié est issue d’Afrique subsaharienne.
L’OMD7 vise à préserver l’environnement. Les résultats sont, ici aussi, loin d’être flatteurs. L’échec des négociations de Copenhague sur le climat en décembre 2009 en est un exemple flagrant. Les émissions de gaz à effets de serre sont toujours en augmentation au niveau mondial. Les objectifs de maintenir la biodiversité sont loin d’être atteints (seuls 12% de la surface de la terre bénéficiaient d’une certaine protection en 2008) [ONU, 2009]. Des progrès dans l’utilisation de l’eau sont encore à accomplir, particulièrement dans l’agriculture, qui aspire 70% de la consommation mondiale. Parallèlement, l’accès aux systèmes d’assainissement et à l’eau potable, surtout dans les zones rurales, doit lui aussi être largement amélioré.
Au vu des résultats à mi-parcours, on peut penser que les objectifs sont en bonne voie pour les pays d’Asie de l’Est et d’Afrique du Nord.
En revanche, les progrès réalisés semblent trop lents pour permettre d’atteindre la totalité des objectifs en Amérique latine.
En Afrique subsaharienne et dans l’ensemble des PMA, on peut supposer que les OMD ont peu de chances d’être couronnés de succès.

Commerce équitable et réalisation des OMD

Les objectifs du Millénaire se sont fixés comme date butoir l’année 2015. On sait d’ores et déjà que ceux-ci ne seront pas tous atteints et ce pour différentes raisons : influence de la crise économique, non respect des engagements pris par les Etats du Nord sur leur aide publique au développement (voir encadré et annexe), peu ou pas d’avancées lors des conférences sur les questions climatiques…
[highslide](Les Etats de l UE et l aide publique au developpement;Les Etats de l UE et l aide publique au developpement;;;)
Les Etats de l’UE s’étaient engagés à consacrer pour 2010 0,56% du revenu national brut [RNB] à l’aide au développement. On constate qu’à l’heure actuelle, une bonne partie des membres de l’UE n’a toujours pas tenu ses engagements [voir tableau annexe 2]. A l’horizon 2010, l’objectif est de verser 0,7% du RNB. Le rapport annuel d’AidWatch montre que l’aide apportée en 2009 a été artificiellement gonflée en y intégrant 1,4 milliard € d’annulation de dettes, 1,5 milliard € pour l’accueil d’étudiants étrangers et 0,9 milliard € pour l’accueil et le rapatriement des réfugiés. Ces montants ne sont pas réellement des aides directes au développement. Si on les enlève du total, les chiffres réels de l’aide au développement de l’UE ne s’élève qu’à 0,38% du RNB européen.
Source : Concord
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Dans ce contexte, nous allons tenter de voir en quoi le commerce équitable – bien qu’il ne puisse évidemment constituer une solution à tous les problèmes – participe à la réalisation de ces objectifs.
Pour cela, nous nous baserons sur plusieurs études d’impact réalisées sur les activités d’organisations partenaires d’Oxfam-Magasins du monde.
Sur le plan de la lutte contre la pauvreté, l’ensemble des études montre que les revenus des producteurs connaissent une hausse avec l’entrée dans une filière équitable. Le commerce équitable vise à garantir des prix supérieurs à ceux du marché et des revenus décents pour les travailleurs de la filière. Une étude de Becchetti et alii sur deux groupes de producteurs d’artisanat au Pérou, dont un qui travaille avec l’organisation de commerce équitable Minka, a été réalisée à ce propos. Les résultats des tests économétriques mettent en évidence une corrélation entre le nombre d’années d’affiliation au CE et l’augmentation des revenus des producteurs.
Une autre étude réalisée par Undugu au Kenya apporte des résultats similaires. Dans ce cas, c’est à l’aide d’un sondage auprès des producteurs que les réponses ont été obtenues. Les personnes sondées déclarent avoir connu des améliorations de leurs revenus, de leur alimentation et de leur logement, mais aussi de leur accès aux services d’éducation et de santé.
Des distinctions peuvent être établies entre les artisans qui avaient déjà une activité avant le CE et les populations qui étaient complètement exclues de toute activité économique. Pour les premiers, le CE est un moyen de se renforcer et de réaliser des investissements productifs. Pour les seconds, le CE permet d’assurer un revenu minimum vital et de sortir de situations d’extrême pauvreté.
Dans les deux cas, le CE permet une amélioration substantielle des conditions de vie et une sortie de l’extrême pauvreté.
Sur le plan de l’accès à l’éducation, le CE semble aussi jouer un rôle. Les études mettent en évidence que l’investissement en capital humain progresse avec le nombre d’années d’affiliation au commerce équitable (Becchetti et alii, 2007). Autrement dit, avec l’entrée dans le CE, les enfants des producteurs bénéficient d’un meilleur accès aux structures d’éducation. L’étude de l’organisation Sasha sur des producteurs d’artisanat en Inde met aussi en évidence cet effet. Avec la hausse des revenus liés au CE, l’investissement dans l’éducation croît. Parmi les enfants de 175 producteurs qui ont répondu aux questions posées, 96% ont suivi un cycle d’éducation primaire et 26% ont complété un cycle d’éducation secondaire.
Sur le volet environnemental, le commerce équitable propose des standards exigeants. Les OGM sont évidemment proscrits. Les critères imposent la mise en place de plans de gestion de l’eau et des sols. L’utilisation de produits chimiques est soumise aux contraintes des principaux traités internationaux. Le recours à des intrants doit être réduit et la conversion à terme à une agriculture biologique est encouragée. Les exigences du commerce équitable impliquent donc le passage à de meilleures pratiques. Ici encore, la prime de CE permet la réalisation de projets visant à améliorer l’accès à l’eau ou le financement d’équipements d’assainissement. L’installation par l’organisation ACP d’un système de traitement des eaux usées issues de la teinture des tissus au Népal ou l’aménagement de puits en sont des exemples concrets. La mise en place d’actions de sensibilisation et d’éducation à l’environnement constitue un autre levier pour des organisations de commerce équitable au Sud. C’est notamment ce que réalise Pushpanjali en Inde auprès des producteurs d’artisanat et de la population locale.

Conclusion

Le commerce équitable, depuis ses débuts, poursuit des objectifs similaires à ceux des OMD.
Il participe au développement de manière directe (juste rémunération des producteurs, présence de standards environnementaux, prime pour des projets de développement…) et indirecte (action de sensibilisation et d’éducation à l’environnement, plus grand accès à l’enseignement…).
A cinq ans de l’échéance, les objectifs du Millénaire peinent à être réalisés. Ceci s’explique notamment par le faible engagement des Etats les plus riches à tenir leurs promesses concernant l’aide au développement. Les chefs d’Etats et de gouvernements du monde entier doivent se réunir en septembre pour discuter des mesures à prendre pour atteindre les OMD en 2015.
Le CE ne peut évidemment pas prétendre être un substitut à l’action des gouvernements ni être la solution à l’ensemble des problèmes liés à la pauvreté. Cependant, de part ses objectifs et les résultats tangibles qu’il présente, le CE se place légitimement comme un outil concret dans l’optique de la réalisation des OMD.
Romain Gelin
Stagiaire service politique

Bibliographie:

  • CNUCED, « Profil statistique des Pays les Moins Avancés », 2005
  • CONCORD & Aid Watch report, “Penalty against poverty, more and better EU aid can score millennium development goals”, 2010
  • ONU, « Rapport 2008 sur le suivi des OMD »
  • ONU, « Rapport 2009 sur le suivi des OMD »
  • Setboonsarng,S., “Can Ethical Trade Certification Contribute to the Attainment of the Millennium Development Goals? A Review of Organic and Fair-trade Certification”, ADBInstitute – Discussion paper n°115, août 2008

Etudes d’impact:

  • Becchetti, Costantino & Portale, “Human capital, externalities and tourism: three unexplored sides of the impact of FT affiliation on primary producers”, 2007
  • Erhart, D., « Etude « partenaire du sud » : du commerce équitable au Sénégal. Description du projet de développement intégré de l’association des villageois de Ndem » – Artisans du Monde, décembre 2007.
  • Sasha & Sarba Shanti Ayog, “Fair trade impact assessment” June 2008-April 2009
  • Undugu Society of Kenya, “Report on baseline evaluation of fair trade – Impact of USK interventions on the livehoods of producers and artisans”, décembre 2008

Annexes

Annexe 1 : Carte des PMA

Source : CNUCED, 2005
Annexe 2 : Les Etats de l’UE-15 et l’aide publique au développement

Source: CONCORD & Aid Watch report, “Penalty against poverty, more and better EU aid can score millennium development goals”, 2010