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Le commerce équitable : toujours plus pour toujours mieux ?

Analyses
Le commerce équitable : toujours plus pour toujours mieux ?

Les produits labellisés équitables : toujours plus ?

La filière labellisée [highslide](1;1;;;)Deux grandes filières coexistent dans le commerce équitable: la filière labellisée et la filière intégrée. Pour en savoir plus, voir l’analyse « Les structures internationales du commerce équitable »[/highslide] du commerce équitable est caractérisée par l’ambition du « toujours plus » : plus de produits, plus de producteurs, plus de transformateurs, plus de distributeurs et plus de consommateurs. Cette ambition est affichée sans ambigüité dans la nouvelle stratégie globale de FLO, plateforme internationale regroupant les principales organisations de labellisation du commerce équitable, dont Max Havelaar [highslide](2;2;;;)Making the Difference. The Global Strategy for Fairtrade, consultable sur le site www.fairtrade.net[/highslide] .
Dans cette analyse, nous nous intéresserons à deux dimensions du « toujours plus ». Nous commencerons par nous interroger sur le fait que de plus en plus de multinationales participent directement au commerce équitable, ainsi qu’à d’autres systèmes de certification.
Ensuite, nous nous intéresserons à l’émergence de standards de commerce équitable pour un nombre croissant de produits, qui devrait à terme donner lieu à une diversité importante de produits portant le même label.
Enfin, nous conclurons en suggérant que s’il existe bien plusieurs commerces équitables, il est important de veiller à ne pas s’égarer sur des chemins qui, malgré leur attractivité, ne mènent peut-être pas tous vers une plus grande équité commerciale.

Le commerce équitable de masse des multinationales

L’année 2009 a confirmé l’entrée de grandes multinationales dans le système du commerce équitable. Cette tendance est globale, mais le Royaume-Uni apparaît comme une terre particulièrement propice au développement et à la distribution de produits labellisés équitables (par la Fairtrade Foundation, homologue britannique de Max Havelaar). C’est en tout cas ce que suggèrent plusieurs faits récents :

  • La certification équitable du cacao des barres chocolatée « Dairy Milk », produit vedette de la multinationale britannique Cadbury, avec approximativement 300 millions de barres écoulées chaque année au Royaume-Uni [highslide](3;3;;;)Telegraph.co.uk, Chocolate lovers can feel less guilty after Dairy Milk goes Fairtrade, 22 juillet 2009[/highslide] .
  • Dans le même rayon, les consommateurs britanniques ont pu découvrir la certification équitable des barres de chocolat « Kit Kat », un produit de la multinationale suisse Nestlé. Chaque année, approximativement un milliard de ces barres « aux quatre doigts » sont vendues au Royaume-Uni [highslide](4;4;;;)BBC News, Kit Kat biscuits to go Fairtrade in the new year, 7 décembre 2009, http://news.bbc.co.uk[/highslide] .
  • Début 2010, la chaîne de supermarchés Sainsbury’s s’autoproclame premier distributeur mondial de produits issus du commerce équitable. Les chiffres avancés par Sainsbury’s sont impressionnants : la chaîne se vante de proposer plus de 800 produits certifiés équitables dans les rayons de ses supermarchés [highslide](5;5;;;)Source : Sainsbury’s, http://www2.sainsburys.co.uk[/highslide] . A titre de comparaison, signalons que sur tout le marché belge, la barre de 1 000 produits certifiés par Max Havelaar a été atteinte en 2008 [highslide](6;6;;;)Source : Max Havelaar Belgium, http://www.maxhavelaar.be[/highslide] .

Cette tendance ne se limite pas aux îles britanniques et concerne en fait la plupart des pays du Nord. Ainsi, la chaîne états-unienne Starbucks est devenue en 2009 le premier acheteur mondial de café certifié équitable [highslide](7;7;;;)Source : Starbucks, http://www.starbucks.fr[/highslide] . Avec plus de 17 000 « salons de café » dans 49 pays et un statut de premier torréfacteur et revendeur mondial de café, Starbucks est lui aussi un véritable poids lourd du commerce international.
Si les quelques chiffres cités sont impressionnants, ces exemples ne sont que quelques-uns des plus récents d’un mouvement amorcé il y a déjà plusieurs années. Il s’agit en effet du passage du commerce équitable à l’étape du « mainstreaming », c’est-à-dire à une distribution de produits via les principaux canaux du commerce conventionnel. Autrement dit : plus besoin de se rendre dans un magasin spécialisé, comme un Magasin du monde, pour trouver des produits issus du commerce équitable, puisque les produits équitables ont aujourd’hui une place dans les supermarchés.
Les implications de cette évolution dépassent largement la question de la facilité pour les consommateurs de trouver des produits issus du commerce équitable. On se trouve en effet face à une différence fondamentale de conception du commerce équitable par rapport au commerce conventionnel. Alors que le commerce équitable s’est construit, sous l’impulsion d’ONG, en marge du commerce conventionnel, le commerce équitable labellisé est de plus en plus à l’intérieur même du système commercial conventionnel.
Mais les multinationales qui décident de prendre part au commerce équitable sont-elles réellement motivées par la volonté de changer, même progressivement, les pratiques commerciales d’un système dont elles sont les principaux acteurs ? Quelle que soit l’importance des motivations éthiques dans le choix de multinationales d’entrer dans le commerce équitable, il semble que des considérations purement commerciales interviennent. Ainsi, le commerce équitable n’est pas seulement un argument publicitaire pour les chaînes de grande distribution, mais « un segment sur lequel il faut se positionner sous peine de perdre des clients » [highslide](8;8;;;)ALLEMAND, Sylvain, SOUBELET, Isabelle, Idées Reçues. Le commerce équitable, Editions Le Cavalier Bleu, 2008, p.60.[/highslide] . Signe de cette transformation : dans l’étude sur les initiatives des supermarchés en matière d’éthique publiée au mois d’avril dans sa revue, l’association de consommateurs Test-Achats a inclus dans ses critères l’offre de « produits labellisés éthiques ». Avec des résultats variables selon les chaînes, du bonnet d’âne d’Aldi au bulletin jugé acceptable de Delhaize. Les entreprises sont donc jugées en fonction de leur offre de produits équitables ou éthiques et se doivent d’être présentes, même de manière très partielle, sur le segment de l’éthique pour satisfaire un maximum de consommateurs.
Autre signe du besoin commercial des grandes marques de se positionner sur la dimension éthique : le nombre croissant d’entreprises faisant certifier leurs produits dans d’autres systèmes, moins exigeants, que le commerce équitable. C’est le cas du torréfacteur Sara Lee et de sa filiale Douwe Egberts. Bien que le leader du marché belge soit un ennemi déclaré du commerce équitable, au point d’attaquer en justice des pouvoirs publics faisant le choix du commerce équitable dans leur consommation quotidienne, il a ressenti le besoin de donner certaines garanties éthiques aux consommateurs, en recourant aux services du certificateur durable UTZ Certified.
Rainforest Alliance est un autre certificateur éthique non équitable qui a le vent en poupe. Profitant sans doute de l’attention croissante portée aux enjeux environnementaux, le label à la grenouille fait des bonds de plus en plus grands, grâce à des collaborations avec Lipton, Kraft, Chiquita ou encore Mars, pour ne citer que quelques uns des plus importants. Détail révélateur sur la stratégie des multinationales, la certification « durable » d’une partie du cacao de Mars a été communiquée la même année que la certification équitable des barres chocolatées Kit Kat et Dairy Milk. Et comme Mars a les pieds bien sur terre, le premier marché sur lequel un produit certifié de la multinationale américaine a été distribué (la barre chocolatée Galaxy) est le marché britannique. Décidément, les barres chocolatées occupent beaucoup les certificateurs. Quant au marché britannique, il fait figure d’eldorado pour ces mêmes certificateurs.

De beaux labels, une réalité parfois moins belle

De plus en plus de multinationales se convertissent à l’équitable. Tout va donc pour le mieux, ou tout ira bientôt beaucoup mieux, pourrait-on être tenté de croire. Nestlé, dont les effets meurtriers de la promotion du lait en poudre dans des pays où l’eau potable fait défaut sont connus, fait du commerce équitable. Même Lidl s’y est mis – et représente une part non négligeable des ventes de produits équitables en Belgique – alors que la chaîne allemande a la réputation d’offrir des conditions de travail lamentables à ses employés et d’être peu regardante sur les conditions de travail dans les usines de ses fournisseurs. Sont-ils donc enfin sur le bon chemin ? Ah, si les choses étaient si simples…
Le fait de proposer aux consommateurs des produits issus du commerce équitable n’empêche nullement Nestlé de continuer à vendre du lait en poudre à des populations n’ayant pas accès à l’eau potable. Et la création de la gamme « Fairglobe » par Lidl n’empêche pas non plus l’un des deux géants allemands du hard-discount (avec Aldi) d’exploiter ses propres travailleurs et de mettre ceux de ses sous-traitants sous pression, entre autres dans le domaine de l’industrie textile, comme l’a notamment montré le rapport « Cash » [highslide](9;9;;;)Disponible sur le site de la campagne « Meilleur Marché » : http://www.meilleurmarche.be[/highslide] , publié dans le cadre de la campagne « Meilleur Marché ».
Comme souvent, les choses ne sont ni complètement blanches, ni complètement noires. Si elle profite sans doute à certaines organisations de producteurs du Sud, l’entrée de multinationales dans le commerce équitable ne doit pas masquer les pratiques de ces mêmes entreprises qui ont des conséquences sociales et environnementales néfastes. Pour ce qui concerne spécifiquement le commerce équitable, s’il n’est pas évident d’évaluer dès aujourd’hui l’ensemble des conséquences de l’entrée dans le commerce équitable d’un nombre croissant de multinationales, il faudra rester attentif aux éventuelles transformations qui en découleront. Les multinationales accepteront-elles de jouer le jeu, complexe mais extrêmement riche, du partenariat sur le long terme avec des petites organisations de producteurs, ou chercheront-elles à transposer autant que possible leurs pratiques habituelles (pression sur les coûts, sur les délais, mise en concurrence des fournisseurs, etc.) au système du commerce équitable ? Afin de saisir l’évolution du commerce équitable et d’identifier les possibles risques pour un concept créé pour changer les règles du commerce international, il faudra assurément être en mesure de répondre assez rapidement à cette question.
Kit Kat, Greenpeace et l’huile de palme, ou les paradoxes de la certification du produit d’une multinationale…
Même dans le cas de produits certifiés équitable, garder une approche de consommation critique est nécessaire. L’exemple de Kit Kat illustre bien les tensions inhérentes à la croissance effrénée de la certification des produits de multinationales. Dans le Kit Kat britannique, ce sont le cacao et le sucre qui sont certifiés. Or, dans une barre Kit Kat, il n’y a pas que du cacao et du sucre… Il y a en effet d’autres composants. Notamment de l’huile de palme, dont la production cause une déforestation massive des forêts tropicales humides de Malaisie et d’Indonésie.

Face à ce désastre écologique, l’ONG Greenpeace a lancé une action appelant les citoyens à demander à Nestlé de « donner un break » aux forêts tropicales d’Indonésie, en n’achetant plus d’huile de palme issue de la déforestation. Symbole de la situation paradoxale à laquelle peut mener le fonctionnement de la certification équitable : la barre de Kit Kat utilisée dans le film largement diffusé par Greenpeace pour soutenir son action était apparemment britannique, vu que le label de commerce équitable de FLO-Max Havelaar était bien visible sur son emballage… Attention, donc : quand un ingrédient d’un produit composé est certifié équitable, cela ne concerne pas les autres ingrédients du produit. Par ailleurs, la question de savoir si un produit mélangeant des ingrédients équitables et des ingrédients inéquitables peut réellement être appelé un produit du commerce équitable reste ouverte.

De nouveaux produits labellisés

Parallèlement à l’arrivée de grandes entreprises dans le commerce équitable, on assiste à un élargissement de la gamme de produits certifiés, vers des horizons de plus en plus éloignés de ceux pour lesquels les premières certifications ont été créées. La vocation originale du système mis en place par Max Havelaar et les autres organisations de labellisation membres de FLO était de s’appliquer aux produits agricoles. Ainsi, le label Max Havelaar a été conçu à la fin des années 1980 pour améliorer la situation des producteurs de café d’Amérique centrale. Plus de 20 ans après, la gamme de produits certifiés s’est élargie considérablement, en incluant un nombre de plus en plus grand de produits agricoles. Les critères de commerce équitable pour le café ont ainsi été rejoints par des critères de commerce équitable pour le thé, le cacao, le sucre, les bananes, le coton, le miel, les fruits, le vin, le riz mais aussi pour les fleurs, pour les épices et… pour les ballons de sport ! Ce dernier produit, qui ne concerne en rien des pratiques agricoles, indique que la tendance à l’augmentation du nombre de standards de commerce équitable ne se limite pas à l’agriculture.
Alors qu’ils ont pendant plusieurs années fait figure d’ « exception non-agricole », les ballons de sport pakistanais certifiés par FLO-Max Havelaar devraient bientôt être rejoints dans le catalogue des standards de commerce équitable par d’autres produits tout aussi éloignés du travail des paysans. En fait, les ballons ne sont déjà plus seuls : FLO a récemment annoncé avoir développé une certification équitable de l’or et des « métaux précieux associés », en collaboration avec l’ « Alliance for Responsible Mining ». D’autres projets sont en germe, à des stades plus ou moins avancés. Il y a quelques mois, Transfair USA, organisation nord-américaine de labellisation membre de FLO (l’homologue nord-américain de Max Havelaar) a également dévoilé un projet de certification équitable de vêtements en coton, qui concerne donc une filière essentiellement industrielle.
Dans l’absolu, améliorer la rémunération et les conditions de travail et de vie des mineurs et des travailleurs de l’industrie textile est une excellente idée. Mais est-on sûr que le modèle du commerce équitable est transposable avec tous ses avantages à tous les secteurs économiques ? Et les acteurs qui ont développé une certification pour les produits agricoles sont-ils à même de construire une certification crédible dans des domaines très éloignés de leur expertise d’origine ? Ainsi, la certification du coton équitable (la matière première) et la certification de produits textiles en coton issus de chaînes très complexes (le produit fini) relèvent de logiques bien différentes. Malgré toute l’expertise qu’il a pu acquérir dans son domaine d’activité, un bon contrôleur de pratiques agricoles ne devient pas du jour au lendemain un bon contrôleur de pratiques industrielles ou minières. Pourtant, le label qui figure sur les produits est le même. Les consommateurs attendent donc légitimement le même niveau de garantie et des pratiques similaires, ce qui n’est pas complètement possible, en raison de la nature profondément différente des filières visées.
Voir FLO s’intéresser à des produits si nombreux et si divers pose beaucoup de questions sur la nature et le devenir du commerce équitable. Il faut en tout cas espérer que l’élargissement du champ d’action du principal certificateur de commerce équitable ne mènera pas à une dilution d’un concept d’abord imaginé pour soutenir des producteurs du Sud, mais aussi pour sensibiliser les citoyens et interpeller les décideurs économiques et politiques sur la nécessité d’établir des règles commerciales plus justes.

Tous les mêmes ?

« Le commerce s’est donné une image « sociétable » de la grande distribution qu’il n’a pas toujours eue », déclare le directeur d’un supermarché de la chaîne française E. Leclerc dans le reportage « Equitable à toutprix » [highslide](10;10;;;)Reportage d’Hubert Dubois diffusé en mai 2009 sur la chaîne France 5.[/highslide] .
Selon lui, les acteurs du commerce équitable auraient donc renoncé à mettre en cause les pratiques de la grande distribution et seraient enfin devenus des partenaires commerciaux sérieux. Peut-être cela est-il vrai pour certains acteurs. Mais certainement pas pour tous. Le commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde n’est pas le commerce équitable de Lidl ou de Nestlé. Contrairement aux organisations pionnières du commerce équitable, qui se positionnent résolument sur le champ politique, les multinationales ne s’engagent pas dans des actions visant à modifier profondément les règles d’un commerce international où elles tiennent le haut du pavé. Elles disposent bien au contraire des services de lobbyistes nombreux et compétents qui influencent dans le mauvais sens l’évolution des règles commerciales. Dans leur action vers les pouvoirs politiques, ces lobbyistes ne réclament pas, par exemple, la fin des Accords de Partenariat Economique entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), nettement défavorables à ces derniers. Ils ne sont pas non plus intervenus pour proposer des solutions durables à la crise alimentaire qui a explosé en 2008 et ne réclament pas le changement radical de pratiques commerciales rendu nécessaire par les changements climatiques.
De même, le mainstreaming de la distribution des produits de commerce équitable n’a pas entraîné une croissance comparable des activités d’éducation et de sensibilisation aux inégalités créées par le commerce international. Au-delà même de la question de la volonté d’éduquer et de sensibiliser, on peut douter de la possibilité de mener de telles actions entre deux rayons de supermarchés ou via un site de vente en ligne…
Ces quelques exemples montrent par l’absurde qu’il n’y a pas un, mais plusieurs commerces équitables. Tandis que certains acteurs sont dans une logique de « toujours plus », qui ressemble à une conquête bien illusoire du monde, d’autres sont dans une logique de partenariat et d’action au Sud comme au Nord pour changer les règles du commerce conventionnel de manière à les rendre plus équitables. Alors que les premiers présentent presque le commerce équitable comme « la » solution à tous les problèmes, les autres sont capables de réfléchir sur leur propre modèle, voire de le remettre en question afin d’atteindre au mieux les objectifs d’équité qui ont animé les fondateurs du commerce équitable. Dans un tel contexte, il apparaît indispensable de veiller à ce que les objectifs et les pratiques du commerce équitable ne soient pas remplacés par ceux du « commerce de l’équitable ».
François Graas
Service politique