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Régulation publique et régulation privée du commerce équitable

Analyses
Régulation publique et régulation privée du commerce équitable

Le commerce équitable : un monde sans état

Qu’est-ce qui se cache derrière le prix et les emballages des produits que nous consommons quotidiennement ? La question mérite évidemment d’être posée, dans un contexte de globalisation ultralibérale caractérisé par la recherche du profit maximum dans les délais les plus courts.

Face aux graves dérives inhérentes aux lois du marché, le commerce équitable constitue une alternative fondée sur des pratiques justes de partenariat commercial. Le commerce équitable, parti de l’initiative de quelques pionniers animés par des valeurs de solidarité et de justice, a atteint une notoriété importante et même un certain succès commercial. On constate en effet que de plus en plus de consommateurs se tournent régulièrement ou occasionnellement vers les produits du commerce équitable.

Qu’est-ce qui prouve que ces produits sont réellement issus du commerce équitable ? Aujourd’hui, les garanties ne dépendent que d’acteurs privés. Si ceux-ci ont été constitués pour répondre à des objectifs légitimes, la nature presque exclusivement privée du commerce équitable pose la question de la place éventuelle des pouvoirs publics, garants du bien commun, dans la régulation du commerce équitable.

Des initiatives privées, avec ou sans label

La certification FLO-Max Havelaar du commerce équitable relève d’une initiative purement privée. Des garanties sont offertes, grâce notamment à un contrôle indépendant, mais tout se passe sans l’intervention des pouvoirs publics. De même que dans la filière dite labellisée du commerce équitable, la filière intégrée [highslide](1;1;;;)Sur ces filières, voir, entre autres, l’analyse « Les structures internationales du commerce équitable », qui propose un tour d’horizon des principales organisations internationales de commerce équitable.[/highslide]  appartient uniquement à la sphère privée : des organisations – généralement du Nord – achètent des produits à des organisations de producteurs du Sud en mettant en œuvre des principes définis par elles-mêmes. Quant aux pouvoirs publics, ils interviennent principalement en achetant des produits, en reconnaissant publiquement les effets bénéfiques du commerce équitable et en soutenant symboliquement ou financièrement ses acteurs.

[highslide](Definition de notions-cles;Definition de notions-cles;;;)

Source : Petit mémento juridique du commerce équitable. Repères pour y voir plus clair, Plate-Forme pour le Commerce Equitable (France).

La certification : confiée à un organisme tiers, accrédité et impartial, elle atteste qu’un produit ou un service est conforme aux spécifications d’un cahier des charges donné.
La labellisation : consiste à attribuer à un produit ou à un service un signe de qualité attestant d’un avantage pour le consommateur.
La reconnaissance : identification par les pouvoirs publics d’un acteur (personne morale ou physique) veillant au respect de conditions ou de critères donnés. En France, la Commission Nationale du Commerce Equitable (CNCE) est chargée de délivrer une reconnaissance aux organismes garantissant le respect des critères du commerce équitable.
La normalisation : consiste, comme son nom l’indique, à élaborer des normes. Son rôle est de garantir des niveaux de qualité, de sécurité, de fiabilité, d’efficacité et d’interchangeabilité de produits ou d’organismes. L’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) remplit cette tâche à l’échelle internationale.
L’accréditation : vérification des compétences d’un organisme par un organisme tiers.

Exemple pour mieux comprendre : FLO-Max Havelaar labellise des produits issus du commerce équitable certifiés par l’organisme indépendant FLO-CERT. FLO-CERT a été accrédité par une tierce partie comme respectant les exigences de la norme ISO 65, norme de qualité internationale pour les organismes de certification. La norme ISO 65 a été définie au sein de l’Organisation Internationale de Normalisation. Enfin, FLO-Max Havelaar fait partie des acteurs reconnus par la CNCE dans le cadre de la loi française.

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De leur côté, les acteurs du commerce équitable collaborent pour mieux définir leurs activités. L’année 2009 a vu aboutir un document important pour le secteur du commerce équitable : la « Charte des Principes du Commerce équitable  [highslide](2;2;;;)Le texte de la Charte peut être consulté sur la page suivante :
http://fairtrade-advocacy.org/images/stories/publications/FTAO_charter_of_fair_trade_FINAL_FR_V2.pdf[/highslide] ». Comme son nom l’indique, la Charte reprend une série de principes qui font la spécificité du commerce équitable. L’intérêt principal de la Charte réside dans le fait que sa rédaction est le fruit d’une longue collaboration entre FLO et WFTO, soit les deux principales plateformes internationales du commerce équitable, l’une de la filière labellisée, l’autre de la filière intégrée. Si elle n’apporte pas de grande nouveauté par son contenu, la Charte est la preuve formelle qu’une série de principes sont acceptés dans le secteur du commerce équitable, que ce soit dans la filière labellisée ou dans la filière intégrée.

Ces principes sont globalement identifiés depuis longtemps par la plupart des acteurs du commerce équitable. Les entreprises qui ont recouru abusivement à l’appellation « commerce équitable » ont pu le constater. Ainsi, en 2005, le négociant de café Efico a dû affronter la mobilisation des organisations belges de commerce équitable contre son label « Fair & Free Trade », dont les critères ne correspondaient pas à ceux du commerce équitable. Face à la mobilisation, Efico a fait marche arrière.

Pourtant, Efico ne faisait rien d’illégal en prétendant que son café était « équitable et libre ». Le commerce équitable n’étant pas régulé par les pouvoirs publics, aucun obstacle légal n’empêche d’utiliser les termes « commerce équitable », « équitable », « fair trade »…, pour tout et n’importe quoi. Le seul risque que courent les usagers malhonnêtes de ces termes est de se mettre à dos les acteurs du commerce équitable, dont le pouvoir d’influence n’est pas négligeable, comme l’a montré le cas d’Efico. Cependant, face à l’éventualité de devenir de facto les justiciers du commerce équitable distribuant les bons et les mauvais points, les organisations belges de commerce équitable ont demandé en 2005 à l’Etat fédéral d’établir un cadre légal clair, afin notamment de faciliter la compréhension du paysage du commerce équitable par les consommateurs. Mais, comme les faits l’ont montré, la question est loin d’être simple en pratique.

Le casse-tête de la reconnaissance légale

L’exemple de la France, premier pays à avoir reconnu légalement le commerce équitable, tend à confirmer que la reconnaissance légale est une question très complexe. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, on attend encore sa mise en œuvre, alors que la loi a été votée en 2005 et que le décret d’application de la loi a été publié en 2007.

La trajectoire suivie en Belgique par la question de la reconnaissance légale du commerce équitable n’incite pas à davantage d’optimisme. Les organisations de commerce équitable, dont Oxfam-Magasins du monde et Oxfam-Wereldwinkels
, auraient vu d’un bon œil l’établissement d’un cadre légal sur le commerce équitable. Dans ce but, un important travail d’étude et de plaidoyer a été mené par ces organisations. Finalement, il faut bien reconnaître que la définition d’un cadre légal sur le commerce équitable est peu probable à moyen terme, tant pour des raisons politiques que techniques.

Est-ce regrettable ? Probablement, ne serait-ce qu’en raison du travail fourni pour finalement en rester au même point. Est-ce grave ? Difficile à dire. La reconnaissance légale du commerce équitable n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’atteindre des objectifs donnés. S’il apparaissait que les objectifs visés ne peuvent pas être atteints par l’outil législatif, voire qu’une loi aurait finalement un effet contre-productif pour le commerce équitable, mieux vaudrait se contenter du cadre actuel, avec ses imperfections. C’est en tout cas le conseil donné par certains acteurs de l’agriculture biologique.

La régulation du bio par l’Union européenne : un exemple à (ne pas) suivre ?

Les labels sur l’agriculture biologique se retrouvent sur une grande partie des produits du commerce équitable. Ainsi, approximativement un tiers des produits alimentaires d’Oxfam-Fairtrade sont certifiés bio. Dans certains pays, comme l’Autriche, la proportion de produits équitables certifiés bio est même nettement plus grande. Pourtant, à l’heure actuelle, les deux certifications répondent à des logiques très différentes. Alors que le commerce équitable est régulé de manière privée, l’agriculture biologique est réglementée par l’Union européenne, donc par un acteur public. Depuis 1992, c’est en effet une législation européenne qui régule l’agriculture biologique.

A l’origine, comme c’est encore le cas du commerce équitable, la définition des cahiers des charges pour un mode d’agriculture respectueux de l’environnement relevait d’une initiative exclusivement privée. En effet, à partir de la fin des années 1960, ce sont des producteurs, des consommateurs et des militants écologistes qui ont constitué des associations visant à promouvoir et développer l’agriculture biologique. Face à la multiplication des initiatives aux cahiers des charges différents, mais aussi face aux abus qu’entraînait l’absence d’une définition unique, l’Union européenne a décidé d’intervenir et de définir précisément des cahiers des charges pour le bio. Il n’est donc plus permis d’utiliser l’appellation « bio » à tort et à travers. Dans son principe, l’harmonisation de la définition du bio n’est pas une mauvaise chose. Mais l’intervention de l’UE a aussi eu pour conséquence une perte de contrôle par les acteurs du secteur. Ces derniers ont ainsi vu leur propre invention échapper à leur influence et même subir des transformations qu’ils ne souhaitaient pas.

Pour certains, l’exemple de la trajectoire de la certification bio doit avoir un effet dissuasif pour les acteurs du commerce équitable. Ces derniers devraient donc continuer à s’autoréguler (filière intégrée) ou à proposer une certification pour les produits commercialisés par les acteurs commerciaux classiques (filière labellisée). En tant que forme de régulation privée, c’est la labellisation qui retiendra notre attention dans la suite de cette analyse. Caractéristique de cette forme de régulation privée : elle a permis à des acteurs économiques diversifiés (grandes entreprises, ONG, PME, coopératives, etc.) de participer au commerce équitable et a ouvert les portes de la distribution à grande échelle de certains produits du commerce équitable

Le business de la certification privée

En parlant de « business », notre intention n’est pas de décrédibiliser la certification. Nous tenons simplement à préciser que si la certification permet d’apporter aux consommateurs des garanties face à des enjeux de société, elle est aussi une activité commerciale, qui coûte de l’argent à certains et en rapporte à d’autres. C’est somme toute normal, vu l’expertise et l’ampleur des moyens que nécessite une certification crédible et impliquant souvent des acteurs à une échelle internationale. Mais cette caractéristique de la certification privée a des conséquences qui posent certaines questions. En voici quelques unes qui nous semblent pertinentes.

Un risque de pression sur les critères

La plupart des certifications impliquent une relation de clientèle, qui peut entraîner une forme de dépendance. Pour continuer à exister ou à grandir, le certificateur a évidemment besoin de certifier. Il n’a donc pas intérêt à perdre ses clients, puisque ceux-ci lui permettent d’être financièrement viable. La question à se poser ici est celle de l’équilibre de la relation entre l’organisme certificateur et ses clients. Certains exemples illustrent les risques de dérives qui peuvent accompagner des relations déséquilibrées. Ainsi, il semblerait que l’ONG Rainforest Alliance ait accepté de revoir les critères environnementaux de son label à la baisse, suite à la pression exercée par son principal client, la multinationale Chiquita [highslide](3;3;;;)GENDRON, Corinne et al., Quel commerce équitable pour demain ? Pour une nouvelle gouvernance des échanges, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 2009, p. 207.[/highslide] . Rappelons au passage que Rainforest Alliance ne travaille pas dans le commerce équitable, mais propose une initiative qu’on peut classer dans le commerce « éthique » ou « durable ». Mais le commerce équitable ne serait pas épargné par les velléités d’entreprises voulant bénéficier de l’image d’un label sans devoir en assumer toutes les contraintes. C’est ce que suggère une enquête sur les pratiques de plusieurs chaînes britanniques de la grande distribution, qui fait état de pressions exercées par ces chaînes sur les critères de commerce équitable de FLO afin de les adapter au modèle plus rentable des grandes plantations [highslide](4;4;;;)SMITH, Sally, For love or money? Fairtrade business models in the UK supermarket sector, Paper prepared for the 3rd Fair Trade International Symposium, 14-16 May 2008, Montpellier, http://www.ids.ac.uk/index.cfm?objectid=AC08BFB1-D003-4227-5FCDD08A5993A613, p. 9.[/highslide] .

Une relation qui va et qui vient

Le cas actuel de Cadbury, géant britannique de la confiserie, est illustratif du risque d’instauration d’une relation de dépendance entre le certificateur et ses clients. En 2009, Cadbury annonce que sur les marchés britanniques et irlandais, sa barre de chocolat « Dairy Milk », produit phare du groupe, sera désormais fabriquée en utilisant uniquement du cacao équitable certifié par FLO. Conséquence de ce choix, qui concerne 300 millions de barres de chocolat par an [highslide](5;5;;;)Telegraph.co.uk, Chocolate lovers can feel less guilty after Dairy Milk goes Fairtrade, 22 juillet 2009, http://www.telegraph.co.uk/earth/agriculture/food/5880978/Chocolate-lovers-can-feel-less-guilty-after-Dairy-Milk-goes-Fairtrade.html[/highslide]  : le volume de cacao équitable exporté par le Ghana a été multiplié par trois, de 5 000 à 15 000 tonnes par an [highslide](6;6;;;)Ibidem.[/highslide] ! Et l’impact sera encore plus grand quand, conformément à ce que le groupe a annon
cé, Cadbury achètera du cacao équitable pour ses barres vendues sur d’autres marchés (Australie, Nouvelle-Zélande et Canada).

On ne peut évidemment que se réjouir de voir le commerce équitable atteindre un tel volume. Malheureusement, la suite de l’histoire pourrait être moins rose. Après de longues semaines de négociations en coulisses, Cadbury a été acheté par l’américain Kraft Foods, pour la somme colossale de 13 milliards d’euros [highslide](7;7;;;)Trends.be, Kraft avale Cadbury au prix fort, 19 Janvier 2010, http://trends.rnews.be/fr/economie/entreprises/12-1634-50010/kraft-avale-cadbury-au-prix-fort.html#.[/highslide] . Or, Kraft n’a jamais eu une approche favorable au commerce équitable. D’ailleurs, pour certains de ses produits, la multinationale a préféré se tourner vers la certification de Rainforest Alliance, essentiellement axée sur les pratiques environnementales [highslide](8;8;;;)Ainsi, le chocolat Côte d’Or, qui appartient au groupe Kraft Foods, n’incorporera plus que du cacao labellisé Rainforest Alliance d’ici fin 2012. http://www.rainforest-alliance.org/news.cfm?id=kraft_cocoa_fr[/highslide] .

Concernant Cadbury, la question est aujourd’hui ouverte : le nouveau propriétaire Kraft Foods va-t-il mettre un terme à l’achat de cacao équitable et remplacer les cahiers des charges de FLO par ceux, nettement moins exigeants sur le plan social, de Rainforest Alliance ? La décision ne dépend que de Kraft, qui jugera selon ses propres critères et objectifs. En ne devant donc tenir compte d’aucune obligation légale. Mais peut-être ce choix sera-t-il influencé par les prises de position en faveur du maintien de la certification équitable de la barre Dairy Milk de quelques… parlementaires britanniques [highslide](9;9;;;)The Guardian, Cadbury takeover raises doubts over Kraft’s business ethics, 20 janvier 2010[/highslide] . Des mandataires publics élus démocratiquement sont donc en train de demander à une multinationale le maintien d’une certification privée. Quel sera le pouvoir d’influence d’une poignée de parlementaires sur un groupe dont les revenus annuels s’élevaient à 42 milliards de dollars [highslide](10;10;;;)Information donnée par Kraft Foods sur son site Internet: http://www.kraftfoodscompany.com/assets/pdf/2008_Kraft_Fact_Sheet.pdf[/highslide] avant la prise de contrôle de Cadbury ? Si l’action de ces parlementaires a certainement un fondement légitime, la situation a tout de même quelque chose de paradoxal et souligne bien les ambigüités et les risques inhérents aux systèmes de certification privés.

L’atout commercial de la certification et la dépendance des producteurs

Nous venons de voir que les organismes certificateurs sont dépendants de leurs clients, spécialement quand ceux-ci pèsent lourd économiquement. Mais une relation de dépendance peut aussi exister à l’avantage des certificateurs, lorsque le rapport de force leur est favorable. Cela peut notamment être le cas avec les organisations de producteurs.

La certification constitue un plus pour les produits ou les organisations certifiés. Autrement dit : quand un produit reçoit un label correspondant à une certification connue et reconnue, il a de bonnes chances de mieux se vendre. Exemple récent : la certification par FLO de l’huile d’olive produite par une coopérative palestinienne. Au moment de l’annonce du lancement du produit labellisé, en février, FLO signalait déjà que les consommateurs étaient « désireux de soutenir le produit »[highslide](11;11;;;)FLO, Fairtrade olive oil launches to success, http://www.fairtrade.net/722.html#c4559[/highslide] . Plusieurs mois après, les résultats commerciaux sont révélateurs de l’atout que peut représenter la certification équitable. Une société britannique impliquée dans la commercialisation d’huile d’olive palestinienne a ainsi vu ses ventes progresser de 30% en 2009 [highslide](12;12;;;)The National, Palestinian olive oil makes a splash in UK, 6 décembre 2010, http://www.thenational.ae/apps/pbcs.dll/article?AID=/20091206/BUSINESS/712069912/1055/rss[/highslide] . La certification pourrait même produire davantage de bénéfices si les discussions en cours avec plusieurs chaînes de supermarchés débouchent sur un accord qui permettra à l’huile d’olive de prendre une place dans les rayons de la grande distribution britannique [highslide](13;13;;;)Ibidem.[/highslide].

Auparavant, des produits du commerce équitable comme le café ou le cacao ont connu des trajectoires similaires à celle qui se profile pour l’huile d’olive. Pour tous ces produits, l’impact de la certification est considérable : un produit jusque-là distribué à une échelle modeste et dans des réseaux spécialisés se voit ouvrir les portes de la grande distribution.

C’est précisément grâce à cet atout commercial que le certificateur a la possibilité d’exercer un certain pouvoir sur les producteurs. On imagine aisément qu’une « décertification » aurait des conséquences très sérieuses pour les organisations de producteurs : lorsqu’un produit perd sa certification, il se trouve de facto exclu des grands canaux de distribution. Ceci constitue un problème pour les producteurs, mais aussi pour d’autres acteurs de la filière commerciale, dont les importateurs. Ainsi, suite à des tensions avec l’organisme qui certifiait sa production de sucre équitable, une organisation de producteurs du Sud a décidé de ne plus faire appel aux services de ce certificateur. Conséquence : confrontée à la difficulté d’expliquer la différence (ou l’absence de différence) entre le produit certifié (avant) et le produit désormais privé de certification (après), un importateur européen a choisi de remplacer le sucre de cette coopérative par celui – certifié – d’une autre coopérative.

Cela peut sembler contradictoire avec l’un des principes centraux du commerce équitable : l’établissement et le maintien de relations de partenariat sur le long terme. Selon ce principe, il ne peut être question d’arrêter une relation commerciale du jour au lendemain. Dans le cas mentionné, l’argument commercial du label a apparemment été décisif pour mettre un terme à une relation entre partenaires.

Pour conclure : choisir en fonction des objectifs poursuivis

Cette analyse a montré l’absence des pouvoirs publics dans la régulation du commerce équitable, secteur contrôlé depuis ses origines par des acteurs privés.

L’arrivée et la place croissante prise par de grandes multinationales dans le commerce équitable indiquent que la certification privée a peut-être atteint des limites qui seront indépassables dans le cadre d’un marché dérégulé. Toutefois, une éventuelle régulation par les pouvoirs publics devrait apporter des réponses convaincantes en faveur des producteurs, et non se contenter de se fonder sur une sorte de consensus mou entre les différentes parties prenantes du commerce équitable (ONG, petites, moyennes et grandes entreprises, associations de consommateurs, etc.). Si cette dernière option était privilégiée, la régulation par les pouvoirs publics entraînerait très probablement un recul des exigences attachées au commerce équitable.

Comme on l’aura compris, sur le sujet complexe de l’articulation entre régulation publique et
systèmes de garantie privés, de nombreuses questions restent sans réponse. Et les réponses elles-mêmes sont loin d’être simples. Dans cette analyse, nous n’avons pas cherché à opposer la certification privée à la régulation par les pouvoirs publics, qui ne sont en fait que des outils devant permettre d’atteindre des objectifs donnés. Les questions principales se situent à ce niveau. Pour répondre, les acteurs du commerce équitable devront savoir quel est leur objectif premier : conquérir des parts de marché, quitte à parfois accepter des concessions dans des rapports de force économiques, ou proposer un modèle commercial alternatif crédible, permettant précisément de questionner l’injustice des pratiques commerciales dominantes.

François Graas
Service politique