fbpx
Oxfam-Magasins du monde

Le travailleur chinois, jouet de la crise

Analyses
Le travailleur chinois, jouet de la crise

Peluches, jeux de construction, figurines, puzzle et autres jeux de société redeviennent à la mode chaque fin d’année. Et 2008 ne fait pas exception. Si la crise frappe le pouvoir d’achat, elle épargne le « budget jouet » des ménages belges. Les parents, grands-parents et autres acheteurs ne regardent pas trop le contenu de leur portefeuille au moment d’offrir un petit plaisir à leurs petits chérubins.

Mais le conte de fée mercantile s’arrête ici. Derrière le décor étoilé et heureux à la Walt Disney, les coulisses du jouet révèlent en effet de mauvaises conditions de travail, l’utilisation de produits toxiques ou encore le dur impact de la crise financière sur une industrie vouée à l’exportation. Ce tableau nettement moins enchanteur conduit systématiquement à la même conclusion : ce sont les travailleurs, principalement chinois, qui produisent nos jouets qui en payent le prix.

Un marché très lucratif

Le marché du jouet est en constante progression : il croît de 5 à 7% par an et pèse, au niveau mondial, 67 milliards de dollars. Ce marché fructueux se répartit essentiellement entre l’Amérique du Nord (36%), l’Europe (29%) et l’Asie (24%). Ces dix dernières années, le marché européen a connu pour sa part une croissance annuelle de 10 %.

Ce marché immense est approvisionné principalement par la Chine, devenue en quelques années l’atelier à jouets de la planète. Aujourd’hui, le pays produit plus de 60% des jouets vendus à travers le monde, soit une production annuelle qui représente près de 20 milliards de dollars. Les usines sont concentrées dans la province du Guangdong. On compterait en Chine de 8 000 à 20 000 fournisseurs. C’est donc un secteur très fragmenté. Il représenterait au total 4 millions d’emplois [highslide](1;1;;;)Peuples Solidaires, Campagne jouet 2008. Kit d’information.[/highslide] .

Faillites et fermetures d’usines : les travailleurs chinois dans la tourmente

La crise dans le secteur du jouet est dramatique pour le sud de la Chine. Wang Zhiguang, vice-président de l’Association de l’Industrie du Jouet de Dongguan (une ville de la province du Guangdong), a déclaré au Gangzhou Daily que «sur 3.800 usines à jouets situées à Dongguan, pas plus de 2.000 d’entre elles vont survivre aux prochaines années». Selon le China Daily [highslide](2;2;;;)In China Daily, Quotidien, 17 octobre 2008.[/highslide], plus de la moitié des 7000 fabricants chinois de jouets ont mis la clef sous la porte au cours des sept premiers mois de l’année 2008, surtout les plus petits. Ils subissent directement la baisse des commandes. Mais on retrouve également parmi les victimes certaines usines appartenant aux plus grands fabricants de jouets du monde (Smart Union Group et Hejun Group) qui fournissent entre autre Mattel, Hasbro et Disney.

Les causes de cette crise, toujours selon Mr Zhiguang, sont la diminution des marges due à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, couplée à un rétrécissement des marchés d’exportations. L’industrie chinoise du jouet paye entre autre ses déboires de 2007. En effet, suite aux multiples cas de jouets Made in China qui ont du être retirés de la vente pour des raisons de sécurité, les Etats-Unis et l’Union européenne ont augmenté leurs exigences. Le coût des contrôles qualité a dès lors grimpé de 25% pour les fabricants.

Mais l’augmentation des coûts des fournisseurs n’est pas liée qu’à la qualité. Ils doivent aussi supporter financièrement le poids de la mise en conformité de leurs usines vis-à-vis des codes de conduite de leurs clients. Une enquête [highslide](3;3;;;)HKCIC, « Unfair trade for unfit toys ». Summary of interviews with Hong Kong Toy manufacturers on buying practices,, January-February 2003[/highslide] menée début 2003 auprès de 21 entreprises de production de jouets de Hong Kong et de Chine continentale décrit un transfert toujours plus grand de responsabilité des grandes marques vers les fournisseurs. Ces derniers doivent répondre à de plus en plus de standards éthiques. Or, aucune des sociétés occidentales ne supporte les coûts additionnels encourus pour la mise en conformité des usines vis-à-vis de leur code de conduite. Au contraire, les fournisseurs doivent sans cesse diminuer leur prix, raccourcir leur délai de livraison, répondre au plus près à la saisonnalité de la demande (50% du chiffre d’affaires du secteur est réalisé en novembre et décembre) et prendre en charge de plus en plus d’opérations. Ces pratiques et cette double pression (éthique et commerciale) ont un impact négatif important sur les marges des fournisseurs. Ils sont dès lors incapables de se conformer correctement aux exigences des codes de conduite de leurs clients. Les politiques de responsabilité sociale des entreprises déployées par les grandes marques aboutissent au contraire à affaiblir un peu plus encore la situation de leurs fournisseurs.

Résultat, des milliers d’employés se retrouvent confrontés à la fermeture de leurs usines sans savoir que faire. Bon nombre d’entre eux descendent dans la rue pour réclamer leurs salaires impayés. Certains patrons ont en effet mis à l’abri les actifs de valeur, puis ont disparu… La majorité des travailleurs des usines de jouets sont des travailleurs migrants. Ils viennent de régions rurales pauvres. Leurs familles ont besoin de leur contribution économique. Souvent peu instruits, ils n’ont qu’une perspective de travail limitée. Les journées de travail sont longues et les salaires très faibles. En cas de problèmes, les travailleurs migrants, contrairement aux résidents, n’ont pas droit aux aides au logement, à l’éducation, à la formation, aux soins médicaux et aux prestations sociales. La perte d’un emploi peut donc rapidement tourner au drame pour ces personnes.

La crise exacerbe l’hostilité vis-à-vis des mesures favorisant les droits des travailleurs

Les propriétaires d’usines et les investisseurs étrangers se plaignent également des nouvelles lois du travail, supposées fournir aux travailleurs une meilleure protection. Ils prétendent qu’elles font augmenter « leurs coûts de production » et les rendent responsables du marasme actuel. Ils font donc pression sur les autorités et sur leurs travailleurs afin d’éviter les augmentations de coûts supposées être induites par l’application de la nouvelle loi du travail.

Dans les usines, les conditions de travail restent globalement mauvaises et dangereuses. Si, depuis une dizaine d’années, les campagnes de mobilisation ont un impact concret positif sur la sécurité et sur les conditions physiques de travail, les avancées sont limitées. La pression exercée par les distributeurs et les marques de jouets sur les fournisseurs continue d’avoir un impact négatif sur les conditions de travail et la sécurité des travailleurs.

Bienvenue dans le monde merveilleux de Disney [highslide](4;4;;;)Peuples Solidaires, Bienvenue dans le monde (aps si) merveilleux de Disney. Rapport d’enquête sur les conditions de travail chez des sous-traitants de Disney en Chine, Octobre 2008.[/highslide]

Disney a fait rêver des générations d’enfants depuis sa création en 1923. Avec 35,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2007, cette multinationale est  aujourd’hui l’un des plus grands groupes de divertissement au monde. Et pourtant, à en croire les conditions dans lesquelles travaillent les ouvriers chinois qui fabriquent ses produits, le « monde merveilleux  » de Disney semble avoir viré au cauchemar…

Dans une série de six rapports publiés entre 2005 et 2007, la Sacom, une association d’étudiants et d’universitaires de Hong Kong qui milite pour la défense des droits des travailleurs, révèle la réalité des usines et dénonce la passivité de Disney face à des violations systématiques des dro
its des travailleurs.

Les conditions de travail chez deux sous-traitants de Disney, Tianyu Toys et Yonglida

Jusqu’à 15 heures de travail par jour

Tianyu Toys impose une journée de travail de 12 à 15h. Il n’est pas rare que la journée finisse à minuit. Le secteur du jouet est caractérisé par une haute saisonnalité. 60 % des ventes de jouets sont réalisés à l’occasion des fêtes de fin d’années, provoquant un pic de production les mois précédents. Pendant la saison haute, lorsque les commandes affluent, les ouvriers ne sont même pas autorisés à prendre de jours de repos. Chez Yonglida, des conditions similaires ont pu être observées, et les ouvriers manquent tous de sommeil.

Des salaires de misère

Chez Tinayu Toys, une ouvrière en charge de la couture finale des peluches « Winnie l’ourson » gagne à peine 1 centime d’euro par pièce fabriquée. Pour atteindre des salaires à peu près soutenables, les ouvriers sont contraints de faire de nombreuses heures supplémentaires. La direction impose en outre des quotas de production, et si les ouvriers ne les atteignent pas, ils ne sont tout simplement pas payés.

« Pendant la saison basse , je gagne à peine 48 à 58 euros par moi, ce qui est bien en dessous du salaire minimum légal qui est de 67 euros par mois. L’hébergement et la nourriture me coûtent 12,6 euros, ce qui correspond à peu près au quart de mon salaire, automatiquement déduit de ma paye. Le reste me suffit à peine pour vivre… ».

Des conditions de travail dangereuses

Dans l’atelier « peinture » de Tianyu Toys, les ouvriers souffrent de la chaleur insoutenable qui règne dans les locaux. Les ventilateurs restent généralement éteints, pour « préserver la qualité de la peinture et du produit fini ». Les ouvriers disent souffrir de graves maux de tête et d’estomac tant ces odeurs sont insupportables.

Des dortoirs insalubres

Chez Yonglida, les ouvriers dorment dans des dortoirs exigus et surpeuplés. Chaque dortoir accueille ainsi entre 8 et 16 ouvriers. L’odeur dans les toilettes communes est abominable et les locaux sont infestés de rats et autres vermines

En théorie, Disney exige de tous ses fournisseurs qu’ils respectent son code de conduite. Cependant, les graves violations des droits des travailleurs, découvertes chez 10 de ses fournisseurs dans le sud de la Chine, constituent une preuve tangible que, soit Disney ne vérifie pas vraiment l’application de son code de conduite, soit il n’encourage pas suffisamment ses fournisseurs à le respecter, sauf lorsque des violations sont dénoncées publiquement par des tiers.

Jouets au plomb : les travailleurs en première ligne [highslide](5;5;;;)Crabbé C., Les jouets chinois ont du plomb dans l’aile, Autre Quotidien, novembre 2007.[/highslide]

Aimants mal fixés, peinture au plomb… des millions de jouets fabriqués en Chine ont dû être rappelés par Mattel en 2007.  Suite à cette succession de scandales consuméristes, le lobby des consommateurs européen (BEUC – Bureau Européen des Unions de Consommateurs) a demandé le renforcement des contrôles de qualité et de sécurité. Selon lui, le système actuel reposerait trop sur l’engagement volontaire des entreprises. Si les défauts de ces jouets Made in China représentent un danger pour la santé de nos enfants, les premiers exposés aux produits toxiques sont les travailleurs qui manipulent ces produits toxiques et qui vraisemblablement continuent à le faire sans aucune information ni protection.

Il est difficile de quantifier l’ampleur du problème en Chine : les statistiques sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n’existent pas. Mais la pointe de l’iceberg révélée par des enquêtes qualitatives ou de rares mobilisations de travailleurs relayées internationalement montrent qu’il y a de quoi s’inquiéter. Absence de matériel de protection et d’information des travailleurs, main écrasée par la presse, doigts coupés sont souvent reportés par des travailleurs interrogés. Peu d’entre eux parlent d’intoxications. Et pour cause, leurs effets sont souvent insidieux ou ne se révèlent qu’à moyen ou long terme, alors que la plupart des personnes exposées ont cédé la place à une main-d’œuvre plus jeune et se sont dispersées pour rejoindre leurs régions d’origine.

Les examens médicaux annuels, pourtant obligatoires, sont souvent inexistants. Mais des cas graves sont cependant progressivement révélés. C’est le cas par exemple de l’épidémie de silicose, une affection pulmonaire chronique causée par l’inhalation de poussières de silice, chez les travailleurs de la joaillerie. Autre cas, l’intoxication au cadmium de 400 travailleurs de Gold Peak, l’une des plus grandes entreprises mondiales de piles et de batteries destinées entre autres aux jouets. Le cadmium, qui persiste dans le corps humain jusqu’à trente ans après l’exposition, peut provoquer des nausées, étourdissements ou douleurs, de sérieux dommages aux reins, aux poumons ou aux os, voire des cancers. Nombre des travailleurs intoxiqués ont accepté de quitter l’usine contre un engagement d’indemnisation de la part de l’entreprise devant leur permettre de payer leur traitement.

Mais Gold Peak n’a pas tenu ses promesses. Malgré la forte mobilisation des anciens ouvriers des usines de Gold Peak, soutenue par plusieurs organisations de défense des droits des travailleurs de Hong Kong, la direction de Gold Peak refuse toujours, cinq ans après les faits, d’indemniser les ouvriers intoxiqués et d’engager des négociations sérieuses avec les travailleurs.

Le problème : les pratiques d’achat

En réponse aux multiples scandales et aux campagnes d’interpellation, les entreprises du secteur ont adopté des « codes de bonne conduite » censés garantir des conditions de travail décentes dans l’industrie du jouet.

Le Conseil international de l’industrie du jouet (ICTI) a tenté d’harmoniser ces démarches en adoptant un code de conduite pour l’ensemble de ses membres. Aujourd’hui, les plus importantes fédérations nationales de fabricants de jouets, y compris les fédérations européenne et américaine, l’ont adopté. Ce code de conduite a probablement contribué aux améliorations constatées dans l’industrie du jouet. Mais il comprend encore de nombreuses limites et faiblesses. Sa mise en œuvre et son contrôle ne s’appuient pas sur la participation des organisations de travailleurs. Il manque totalement de transparence vis-à-vis des travailleurs comme des consommateurs. Enfin, il ne prend pas en compte l’impact des pratiques d’achat des distributeurs et des marques sur les conditions de travail et la capacité des fabricants à appliquer le code de conduite.

Pourtant, c’est bien la pression exercée par les multinationales comme Hasbro, Mattel ou Disney sur leurs fournisseurs pour qu’ils livrent les jouets dans des délais toujours plus courts et à des prix toujours plus bas, qui conduit à des violations du droit du travail. Les employeurs qui souhaitent respecter la loi sont souvent mis hors circuit. Les multinationales préfèrent passer leurs commandes chez des fournisseurs qui offrent les prix les plus bas, au détriment des conditions de travail et de la sécurité de leurs travailleur

Vous pouvez agir

Depuis des années, la Campagne Vêtements Propres interpelle les grandes marques de jouets afin de les amener à assumer leur responsabilité. Régulièrement, la Campagne Vêtements Propres relaie sur son site internet – www.vetementspropres.be – des appels urgents sur des cas précis de violations de droits des travailleurs dans l’industrie du jouet.

La Campagne Vêtements Propres met également à votre disposition des outils et dossiers pédagogique
sur ce sujet. Une autre manière de passer un moment ludique et agréable. Enfin, à l’occasion de la fin d’année, rappelons-nous que les grandes marques de jouets ne sont pas les seules sur le marché. Les jouets Made in dignity d’Oxfam-Magasins du monde et les jouets de seconde main sont des alternatives qui se basent sur le respect et l’émancipation des travailleurs et qui refusent la surconsommation.

Caudron Jean-Marc
Campagne Vêtements Propres
www.vetementspropres.be