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Refusez que Live Nation impose une culture standardisée

Analyses
Refusez que Live Nation impose une culture standardisée

Historique : la résistible ascension de magnats des médias

Au début, une petite radio locale…

Tout commence au Texas, un peu avant le succès de la série « Dallas », sous l’impulsion de deux hommes d’affaires locaux, Lowry Mays et Red McCombs. Le premier est alors banquier, le second a fait fortune dans la vente de voitures. Ils s’associent pour racheter une radio de San Antonio. Trois ans plus tard, ils en achètent une autre. Puis encore une autre. En 1988, la compagnie acquiert sa première télévision, à Mobile, Alabama. En 1992, une loi fort opportune présentée par le gouvernement de George Bush (premier du nom) dérégule le marché des médias. Il était auparavant interdit de posséder plus de deux radios dans une même ère géographique, mais cette limite saute. Clear Channel met les bouchées doubles et se retrouve, en 1995, à la tête de 43 stations de radio et de 16 chaînes de télévision. Ce n’est que le début d’un cycle toujours plus rapide de rachats (encouragés par une nouvelle loi de libéralisation de l’économie des médias, soumise, cette fois, par le gouvernement de Bill Clinton) qui aboutit aujourd’hui au contrôle de plus de 1000 radios sur tout le territoire états-unien, et à un chiffre d’affaire annuel de plus de 3 milliards de dollars dans ce secteur.

… puis le marché publicitaire…

Parallèlement, les dirigeants de Clear Channel se lancent dans l’affichage publicitaire en rachetant en 1997 Eller Media. Très vite, la quête de nouveaux panneaux publicitaires à acquérir les mènent à l’étranger, au Royaume-Uni notamment. Aujourd’hui, Clear Channel assène ses réclames aux citoyens de 25 pays. Aujourd’hui, la multinationale détient la majorité des panneaux publicitaires et autres outils de réclame « outdoor » en Belgique, contrôlant une très large partie de la régie publicitaire de la SNCB (ce qui lui permet de s’implanter dans toutes les gares du pays). L’entreprise possède aussi l’entièreté de la régie publicitaire des transports publics bruxellois, pouvant ainsi à loisir « habiller » les trams et les bus…
C’est par la même magie de la finance que Clear Channel s’impose partout. Sa richesse lui permet de racheter des entreprises. Ces rachats sont immédiatement suivis d’importantes économies d’échelles (beaucoup de radios du groupe diffusent les mêmes programmes, la communication publicitaire s’internationalise, …). Finalement, la valeur du groupe croissant à chaque nouvel achat, la multinationale est capable de lever toujours plus de fonds pour s’emparer d’autres sociétés.

… jusqu’à l’entrée dans le secteur musical

Dans le milieu musical, tout démarre avec l’acquisition de SFX Entertainment en 2001. S’ensuit la prise de contrôle d’un nombre ahurissant d’organisateurs de concerts et de salles de spectacle en très peu de temps, autant aux Etats-Unis qu’en Europe, avec même une préférence marquée pour la Belgique. Outre SFX (qui, à l’époque, détient déjà Rock Werchter), la multinationale rachète sur le territoire belge les plus gros tourneurs-managers : Make It Happen (alors principal concurrent de Rock Werchter) et Sound & Vision (entreprise spécialisée dans la production de concerts francophones).

Naissance d’une « Nation »…

En 2005, la société, devenue gigantesque, est divisée en trois : « Clear Channel Communications » pour l’exploitation des radios, « Clear Channel Outdoor » pour les activités liées à l’affichage publicitaire et « Live Nation » pour la production de spectacles. Cette dernière ne s’éloigne  pas de Clear Channel que par le nom, elle quitte également son Texas natal pour s’établir à Beverly Hills, à proximité d’autres géants de l’industrie du divertissement. La gestion de la nouvelle société est confiée à Michael Rapino, qui organisait déjà des concerts avant que sa société ne soit rachetée par SFX Entertainment et que cette dernière ne soit elle-même revendue à Clear Channel.

… qui n’est indépendante qu’en façade

Juridiquement, Live Nation est indépendante de Clear Channel. D’ailleurs, Michael Rapino et les autres directeurs de la société s’emploient à le faire savoir, pour étouffer les polémiques nées de la taille déraisonnable de Clear Channel. Mais Michael Rapino n’est pas Live Nation à lui tout seul, pas plus que Bill Gates ne résume Microsoft ou encore Steve Jobs, Apple. L’entrepreneur triomphant, le décideur solitaire mais opiniâtre qui, finalement, impose sa vision à tous… Ces nouvelles figures de l’ancestral rêve américain sont des leurres. A ces hauteurs, désormais, rien ne se fait sans l’aval des actionnaires. Et, en l’occurrence, celui des familles des fondateurs de Clear Channel, les Mays (le père et ses deux fils siègent au Conseil d’Administration de Live Nation) et McComb (représentée par sa fille). On est en droit alors de douter d’une effective indépendance de Live Nation vis-à-vis de Clear Channel.
Doit-on condamner Live Nation parce que ses principaux actionnaires sont texans ? Certainement pas. Mais il y a bien d’autres raisons de se défier de cette société : les menaces qu’elle fait peser sur la liberté d’expression, la standardisation musicale à laquelle elle contribue et la conception de la culture qu’elle répand.

Menaces sur la liberté d’expression

Qui contrôle les grands médias, contrôle une partie de l’information et se donne les moyens de manipuler l’opinion publique. Il semble que Clear Channel ne s’en soit pas privée. Nombre des radios du groupe ont relayé les appels à la guerre de George W. Bush. Il faut dire que certaines reprennent les programmes d’information conçus par Fox News, le conglomérat du très va-t-en guerre Rupert Murdoch, également propriétaire du site internet MySpace. Pire : Tom Hicks, l’un des membres du conseil d’administration de Clear Channel dans les années 90 et au début des années 2000, est un proche de George W. Bush. En lui rachetant l’équipe de baseball des Texas Rangers, Hicks a fait de Bush un multimillionnaire. Hicks a également très largement contribué au financement des campagnes électorales du responsable de l’invasion de l’Irak. Mais il a obtenu des contreparties, telles qu’un projet de loi de 2003 poussant encore plus loin la dérégulation du marché des médias.
[highslide](Temoignage de l acteur americain Tim Robbins;Temoignage de l acteur americain Tim Robbins;;;)
« Un quinquagénaire célèbre du rock and roll m’a appelé la semaine dernière pour me remercier des propos que je tiens contre la guerre, puis m’a expliqué pourquoi lui-même ne pouvait parler publiquement dans ce sens de peur des représailles de Clear Channel . « Ils font la promotion de nos concerts » me dit-il. « Ils sont propriétaires de la plupart des radios qui diffusent notre musique. Je ne peux pas critiquer ouvertement la guerre »
Discours au Club national de la presse à Washington, D.C., le 15 avril 2003.
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En Belgique, où Clear Channel ne détient pour l’instant ni radios ni journaux, le danger vient d’ailleurs : Live Nation est en mesure de censurer les artistes qui ne partagent pas les opinions de ses actionnaires. Ceci dit, c’est peut-être faire trop d’honneur aux dits actionnaires que de penser qu’ils font de la politique au sens le plus commun du terme. Ils font avant tout des affaires. Ce qu’on pourrait nommer leur «politique» consiste surtout à appuyer les politiciens qui sont favorables au monde des affaires (ce qu’on trouve dans la plupart des partis) et à en attendre des contreparties. Lorsqu’il s’agit de sommes importantes, faire des affaires avec des personnalités contestataires ne les dérangent pas tant que ça. Ainsi, l’une des agences que Live Nation contrôle en Belgique a organisé beaucoup de concerts de Manu Chao, un chanteur qui écrivait pourtant à propos du « Live 8 » en 2005 : « Il était hors de question pour moi de participer à un évènement benefit où trempent des sociétés comme Clear Channel qui sont, à mon avis, bien loin d’être sincèrement préoccupées par la dette africaine… Je vous suggère d’ailleurs de vous renseigner sur Clear Channel et leurs activités dans le monde de la musique, vous risquez d’être surpris. N’hésitez pas à m’informer de vos trouvailles » [highslide](1;1;;;)La news fut  postée  sur  son  site par  l’artiste  le 6  août  2005.  La version in tégrale  est  disponible  sur http://www.swop.net/2005/08/live-8-fallout-manu-chao.html[/highslide] . Lorsqu’il a appris que son représentant en Belgique travaillait pour Live Nation (depuis le rachat de son entreprise, jusqu’alors indépendante), la colère du musicien a été homérique.
A ce jour, rien ne permet de prouver que Live Nation a fait pression sur des musiciens belges pour leur interdire de prendre position sur des questions de société. Ni que la société en a l’intention. Mais elle en a les moyens. Le silence gêné qu’observent actuellement la plupart des professionnels de la musique à propos du pouvoir grandissant de Live Nation le prouve. Il n’est pas aisé pour un organisateur de concert ou un journaliste musical belge de critiquer ouvertement la multinationale [highslide](2;2;;;)Dans un communiqué de presse daté du 22 novembre 2003, où il annonçait ne plus vouloir et pouvoir travailler avec Clear Channel Entertainment, Fabrice Lamproye (alors responsable de la Sound Station à Liège » évoquait « la complaisance journalistique qui a enrichi ce terreau dans lequel la société Clear Channel est venue planter ses premiers jalons impérialistes. »[/highslide] . En effet, le pays est petit et Live Nation omniprésente. Pour le récalcitrant, « une menace de boycott, arme redoutable dans le domaine, [ramène] les brebis égarées au bercail » [highslide](3;3;;;)Fabrice Lamproye, 22 novembre 2003[/highslide] . Et, ça, c’est déjà une atteinte à la liberté d’expression.

Un risque de standardisation

Entre l’artiste et le public …

Le monde du spectacle vivant est d’une grande complexité. Il se décompose en une multitude d’activités différentes qui constituent parfois autant de métiers. Rien ne se fait, bien sûr, sans l’artiste musicien mais cet artiste a parfois un manager, qui le conseille à propos de ses contrats et de son image en échange d’une partie de ses revenus. Il peut également avoir un tourneur, qui appelle les salles et les festivals pour leur proposer de le prendre en concert. Intervient alors le producteur : celui qui finance le spectacle et l’organise matériellement. Puis le marchand de tickets et l’équipe de promotion.
À ses débuts, l’artiste fait généralement tout lui-même : il trouve la salle, trimballe les instruments dans la camionnette d’un cousin et scotche ses affiches dans les vitrines des sandwicheries. Mais, lorsque sa notoriété grandit, il tend souvent à déléguer le travail à d’autres. C’est alors que Live Nation s’insinue dans la filière, souvent sans tambours ni trompettes. La société a ainsi racheté les actions de plusieurs tourneurs belges (Sound & Visions, Make It Happen, Minerva, On The Rox). Pour la plupart, les patrons des entreprises rachetées se sont vu offrir des postes de « consultant » au sein de Live Nation. Dans les faits, la plupart des artistes travaillent avec ces personnes qu’ils connaissent parfois depuis longtemps, sans avoir appris que les actions avaient changé de main. Si leur manager a été informé de ce changement, il s’est bien gardé d’en parler … Même chose pour un certain nombre de festivals en Belgique : Rock Werchter, TW Classic, I Love Techno ou encore le Pukkelpop

Main basse sur la Belgique !

Live Nation a également très vite compris l’intérêt d’acquérir une partie des capitaux des plus grandes salles belges (sur le modèle de ce qui se pratique au Etats-Unis). La société Music Hall Group, dont Live Nation détient quelques parts, regroupe ainsi Forest National, le Stadsschouwburg d’Anvers et le Capitole à Gand. Cette prise de participation est renforcée par le fait que les anciens dirigeants de Make It Happen, désormais « consultants » de Live Nation, ont eux aussi des intérêts dans Music Hall Group. Autre salle importante de Belgique, le Sportpaleis d’Anvers est à compter au rang des très nombreuses filiales de Live Nation. Quant aux tickets, ils sont pour la plupart vendus par la multinationale (via Go For Music).
Au final, Live Nation contrôle les plus grandes scènes belges. Le pays est d’ailleurs le deuxième plus gros marché étranger de la multinationale, ex aequo en cela avec les Pays-Bas mais loin derrière la Grande-Bretagne [highslide](4;4;;;)Tel que présenté à la page « where we make our money » du document « Investor and analyst Day presentation » produit le 15/11/07 par Live Nation, http://phx.corporate-ir.net/phoenix.zhtml?c=194146&p=irol-irhome[/highslide] .  Du côté des artistes, la plupart des « grosses pointures » passe par elle. Les groupes émergents, lorsqu’ils atteignent une taille suffisante, sont à leur tour appelés à signer avec Live Nation. Pour les organisateurs de concert qui les ont accompagné jusque là, la perte est terrible : c’est lorsqu’ils deviennent rentables que ces groupes leur sont ravis. Résultat : au sommet, la concurrence n’existe pratiquement pas. En 2003, quelques voix se sont élevées suite aux différentes absorptions qu’opérait Live Nation. Certains parlaient alors d’ « abus de position dominante » [highslide](5;5;;;)« Concerts : abus de situation dominantes ? », le Ligueur, 5 novembre 2003[/highslide] , sans pour autant qu’aucune instance (tel le conseil de la concurrence) ne soit saisie…
 

Priorité aux poids lourds

 
Les premiers effets de ce quasi monopole se font déjà sentir en termes de programmation. Les salles et festivals qui appartiennent en tout ou partie, directement ou indirectement, à Live Nation donnent la priorité aux artistes dont les concerts sont gérés par la firme. Il suffit pour s’en assurer de comparer la programmation du Sportpaleis d’Anvers et la liste des artistes Live Nation. Ceux qui souhaitent préserver leur indépendance n’ont qu’à aller jouer ailleurs !
On notera au passage que les artistes dont Live Nation s’occupe directement sont finalement bien peu nombreux. Il s’agit avant tout d’artistes reconnus, au style bien établi. Pour ne citer que quelques poids-lourds du show-business international : les Rolling Stones, Joe Cocker, U2, Police, … Beaucoup ont profondément et durablement marqué l’histoire de la musique populaire. Mais, peu tentée d’expérimenter de nouvelles sonorités, la plupart se contente aujourd’hui de reproduire la formule qui a fait leurs succès.
Quelle influence cela a-t-il sur la carrière des artistes qui ne font que débuter mais qui, si on leur donne leur chance, pourraient à leur tour changer l’histoire de la musique populaire ? Il est déjà certain qu’il leur sera difficile d’obtenir l’attention des médias. Les artistes que Live Nation fait tourner dans des conditions toujours plus extravagantes auront déjà accaparé les meilleures pages des magazines, les rares places disponibles dans la playlist des radios commerciales et les trop courtes chroniques culturelles des télévisions. Par ailleurs, en ces temps de crise, le budget culturel des amateurs de musique n’est pas illimité. Conditionné à penser que l’événement du mois est le passage éclair de telle ou telle superstar étrangère dans la très grande salle de la ville, le mélomane risque de consacrer toutes ses économies à ce concert. Son budget étant ensuite épuisé, le petit club voisin qui programme de nouveaux talents ne devra probablement pas compter sur sa venue.
[highslide](Rock Werchter ?;Rock Werchter ?;;;)
Né en 1974 à l’initiative de son toujours actuel patron Herman Schuermans (également dirigeant de Live Nation Belgique), le festival rassemble aujourd’hui plus de 250.000 personnes en 3 jours. Le festival appartient aujourd’hui à Live Nation et compte parmi ses sponsors Coca-Cola, Randstad ou encore Toyota. Cela ne suffit visiblement pas à remplir les caisses puisque les places sont parmi les plus élevées du pays (75 € par jour et 165 € les 4 jours). En 2001, interrogé sur la rareté de certains artistes en Belgique (Rock Werchter exigeant généralement l’exclusivité de ses artistes : leur contrat leur interdit de se produire ailleurs sur le sol belge le même été), Herman Schuermans pouvait observer qu’ « il ne faut pas perdre de vue que nous vivons dans un monde capitaliste. C’est peut-être un peu direct, mais c’est la réalité ».
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Marchandisation à marche forcée

Un nouveau modèle …

La menace que Live Nation fait peser sur l’univers musical est d’autant plus grande que son appétit est sans limite. La multinationale ne souhaite pas se contenter de produire des concerts et de vendre des tickets. Elle s’intéresse également aux autres revenus des artistes. D’abord, le plus naturellement du monde, à ce qu’on appelle le « merchandising » : les t-shirts, casquettes et badges qui se vendent à la fin des concerts. Mais aussi aux enregistrements des artistes, qu’il s’agisse d’enregistrements en public (c’est Live Nation qui a commercialisé le DVD « A bigger bang » des Rolling Stones) ou en studio. Une maison de disques a même été fondée [highslide](6;6;;;)La direction en a été confiée à Bob Ezrin, le producteur de « The wall » des Pink Floyd [qui a dû oublier de quoi le disque et le film parlaient exactement][/highslide] .
Madonna a officialisé cette extension du domaine d’intervention de la multinationale en signant avec elle, en octobre 2007, un contrat qui rapporte à l’artiste plus de 100 millions de dollars mais qui donne à Live Nation des droits sur ses concerts, ses trois prochains albums, son merchandising, son nom et son image. Ce modèle totalisant (tous les revenus du musicien, ou presque, passent par un intermédiaire unique) est amené à devenir la marque de fabrique de la société qui, très fière de ce nouveau concept, promet à ses actionnaires un chiffre d’affaire en constante progression. Et, en effet, ce chiffre augmente de plus de 40% par an depuis 2005, pour dépasser fin 2007 les 4 milliards de dollars annuels.  [highslide](7;7;;;)« Investor  and  analyst  Day  presentation » 15/11/07    Live  Nation, http://phx.corporate-ir.net/phoenix.zhtml?c=194146&p=irol-irhome[/highslide]
Par là, Live Nation entend « simplifier » le circuit en contrôlant un maximum la « chaîne » artistique. Ecrasant ainsi de potentiels concurrents mais surtout dans un seul but : la réduction des coût et la maximisations des profits. [highslide](8;8;;;)Annoncé tel quel dans « Investor  and  analyst  Day  presentation » 15/11/07    Live  Nation[/highslide]
En réduisant ainsi le nombre de leurs interlocuteurs, les artistes réduisent bien évidemment leur liberté d’action. Mais ils acceptent également de devenir une marque, déclinable sur toutes sortes de support, du t-shirt au livre d’images, en passant par le string, la boucle d’oreille et – pourquoi pas ? – la barre de céréales.
[highslide](Vous avez dit ticket ?;Vous avez dit ticket ?;;;)
Pourquoi Live Nation s’intéresse-t-elle à une activité aussi terne que la vente de tickets ? D’abord parce que c’est une façon assez simple de gagner de l’argent sans trop en dépenser : le vendeur du ticket perçoit en général 10% du prix de la place sans parfois réaliser d’autre prestation que de tenir un site internet à jour. Ensuite parce que cela permet de vendre immédiatement un produit qui ne sera parfois consommé que quelques mois plus tard. Ainsi, les billets de Rock Werchter sont mis en vente début mars alors que le festival n’a lieu qu’en juillet. Vous en connaissez beaucoup, vous, des activités économiques qui permettent de lever des fonds importants (et de jouer en bourse avec, voire de racheter des entreprises) avant même d’avoir fait les principales dépenses ?
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Une certaine conception de la musique

Une part importante des revenus de Live Nation reste cependant liée à la publicité. Ou plus précisément, pour employer les termes de la multinationale, au « sponsorship ». L’image des musiciens est vendue à des entreprises en mal de notoriété. Les artistes sont transformés en hommes-sandwichs et les scènes en panneaux publicitaires ambulants, finalement assez proches de ceux que Clear Channel loue aux alentours des gares et autres arrêts de bus.
Le procédé est également à rapprocher de celui des radios que contrôle Clear Channel : il s’agit ni plus ni moins de vendre aux annonceurs un public comme une radio commerciale leur vend de l’audience. Quitte à diviser arbitrairement ce public pour mieux plaire aux sponsors. Ainsi, Rock Werchter réunit un troupeau de jeunes de moins de trente ans quand TW Classic s’adresse en priorité aux quadragénaires et aux quinquagénaires [highslide](9;9;;;)« TW Classic. Un festival d’été canon pour tous ceux qui se sentent bien dans leur peau, voilà la ligne de conduite de cet événement. » [http://fr.livenation.be/about/][/highslide] .
C’est toute une conception de la musique qui se dessine ici. Pour Live Nation, la culture est nécessairement marchande. Peu importe que la majorité du public soit laissée de côté par les prix prohibitifs des billets. La culture se doit également d’être terriblement formatée. Au fond, elle est un moyen (notamment publicitaire) plus qu’une fin.
Finalement, le prix des tickets de concert Live Nation n’est pas « tout compris ». Il vampirise en quelque sorte le travail du secteur associatif qui forme les musiciens, leur donne leurs premières occasions de s’exprimer et promeut leur travail. Sans salles municipales de répétition où se forger un style, sans clubs de 100 places pour les programmer à leurs débuts, sans radios associatives pour leur tendre un micro fraternel, la poignée d’artistes belges qui remplissent aujourd’hui les plus grandes salles auraient-ils fait la carrière qu’on leur connaît ?
[highslide](Incontournable ?;Incontournable ?;;;)
« Qui va faire mieux que Clear Channel ? Bullshit ! » s’énervait Arno devant la caméra de la RTBF. Journaliste musical au Soir, Thierry Coljon nous expliquait en 2003 que « l’artiste est très responsable. Chaque artiste va réagir différemment, les artistes ont une conscience, un Bono, un Neil Young, sont des gens qui ont une conscience mais ils n’ont pas le choix, c’est-à-dire que si ils veulent un succès mondial, il n’y a pas d’autre solution que Clear Channel… ». Devant cette affirmation sans appel, on peut objecter que certains artistes de renommée internationale ont tout de même choisi de ne pas passer par le circuit « incontournable de Live Nation », sans pour autant être lésés dans leur carrière. On pourra citer Calexico, Moby, Radiohead… De même il existe encore en Belgique quelques strucures indépendantes de booking-managment qui peuvent tout à fait réaliser un travail efficace.

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Parce qu’une autre culture est possible

Des alternatives existent !

Si vous vous contentez des journaux télévisés pour vous informer sur la vie artistique du pays, cela vous aura peut-être échappé… mais il existe des dizaines de tourneurs, de festivals et de salles de concert qui échappent encore au contrôle de Live Nation en Belgique. Chaque grande ville de notre pays compte notamment plusieurs clubs pouvant accueillir de 50 à 500 personnes. Si la multinationale ne s’y intéresse pas, c’est a priori simplement parce que les sommes en jeu y sont bien trop faibles pour elle. C’est pourtant dans ces salles que naît la culture populaire qui nous unit.
C’est vrai, il est impossible aujourd’hui de se produire dans une très grande salle en Belgique sans passer d’une façon ou d’une autre par Live Nation. Mais est-ce vraiment cela que l’on recherche quand on va à un concert : la prestation sans âme d’un groupe de musiciens aveuglés par les lumières, qui ne perçoivent de l’immense foule qui leur fait face que les applaudissements ? Ne préféreriez-vous pas que les artistes que vous aimez se produisent cinq fois dans une salle moyenne, au son chaleureux, plutôt qu’une fois dans un stade ? Et les musiciens, n’y trouveraient-ils pas une façon moins standardisée de pratiquer leur métier ? N’est-il pas temps d’enrayer la course au gigantisme, à l’argent vite gagné, et de revenir à de véritables échanges humains ?

Des artistes responsables ? Des mélomanes engagés ?

Nous n’appelons pas au boycott des artistes dont la carrière ou les concerts sont gérés par Live Nation. Leur talent doit passer avant l’économie. Mais rien ne vous interdit de leur demander directement à la fin de leurs concerts (dans le respect et avec tact) ou sur le forum de leur site web, s’ils ont bien réfléchi à ce que risque de devenir la culture entre les mains de pareilles sociétés. Nombre de ces artistes ne semblent en effet pas être informés de ce qui se cache derrière la multinationale. Nous n’appelons pas non plus au boycott des salles et des festivals que Live Nation contrôle. Nous vous invitons seulement à prendre l’habitude de vous demander ce qu’il se passe dans les plus petites salles. C’est là que vous pourrez voir pour une somme tout à fait raisonnable des musiciens qui n’ont pas peur d’innover. Et ce sont elles qui méritent votre soutien. Il existe en Belgique de nombreux festivals et lieux indépendants dont le principal but est de nous faire découvrir les nouveaux talents d’ici et d’ailleurs. Le festival Esperanza’h, par exemple, prône l’ouverture culturelle, la diversité et des valeurs de solidarité. Un festival à visage humain et accessible. Citons également deux circuits de clubs qui se sont mis en place, Club Plasma (côté Wallon) et Club Circuit (côté Flamand). Les tickets y sont très raisonnables (entre 8 et 10 €) et la programmation très souvent de qualité.