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Oxfam-Magasins du monde

Commerce équitable et revenus agricoles

Analyses
Commerce équitable et revenus agricoles
  • Dans le commerce conventionnel, les revenus des agriculteurs sont souvent très instables et très faibles (1)
  • L’alternative du commerce équitable assure au contraire des revenus stables et décents à ses partenaires producteurs (2)
  • L’alternative politique de commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde entend oeuvrer en faveur de revenus plus stables et plus décents pour les agriculteurs sur le marché conventionnel (3)

1. Le commerce conventionnel

Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), trois quarts des pauvres vivant avec moins de 1 dollar par jour (près de 1,2 milliard d’individus) sont des ruraux, et la majorité des victimes de la faim dans le monde sont des paysans des pays en développement, c’est-àdire des producteurs et vendeurs de nourriture (Mazoyer, Roudart, 2005). Autrement dit, une bonne partie de celles et ceux qui nous nourrissent ne mangent pas à leur faim. Surprenant ? Pas tant que cela lorsque l’on sait qu’à l’échelle mondiale, au Sud comme au Nord, les revenus d’une majorité de paysans sont souvent très instables et précaires.

Des prix internationaux très instables

Les prix mondiaux des produits de base agricoles fluctuent de manière considérable. Non seulement d’une année à l’autre, mais aussi au cours d’une même année, d’un mois à l’autre, d’une semaine à l’autre ou même d’un jour à l’autre. L’instabilité est particulièrement élevée pour les produits tropicaux tels que le café ou le cacao, par exemple (FAO, 2004). Entre 1983 et 1997, hors inflation, les prix mondiaux du cacao et du café robusta ont connu des variations allant respectivement, de 60 % à 170 % et de 40 % à 195 % de leur moyenne au cours de cette période (ECA, 2003).

L’instabilité des prix est très problématique pour les agriculteurs qui y sont les plus directement exposés. Elle crée un climat d’insécurité socio-économique les incitant à adopter diverses stratégies handicapantes à plus d’un titre. Ainsi, même lorsqu’ils sont très pauvres, elle les incite souvent à économiser le peu d’argent qu’ils peuvent, histoire de pouvoir parer à d’éventuels coups durs. Cela ruine toute perspective d’investissement dans l’augmentation de la productivité de l’exploitation. Du coup, l’exploitation est de plus en plus marginalisée sur le marché, parfois jusqu’à la faillite pure et simple. En outre, la volatilité des prix encourage le producteur à réduire certaines dépenses essentielles, comme celles dédiées à l’alimentation, à l’éducation des enfants ou aux soins de santé.

Des baisses de prix colossales

Si les prix de plusieurs matières premières agricoles sont aujourd’hui en hausse, les produits de base agricoles ont vu dans leur ensemble leurs prix réels (inflation prise en compte) chuter de manière phénoménale au cours des dernières décennies. Entre 1980 et 2005, les prix mondiaux annuels du sucre, du coton-fibre, du café et du cacao ont chuté de 68.5 à 77.6 % (Koning, Robbins, 2005). Entre 1977 et 2001, les prix réels de 19 produits alimentaires dont le blé, le riz, le soja, le sucre, les bananes, le café robusta, les autres cafés, les fèves de cacao et le thé ont baissé en moyenne de 3,3% par an. En un siècle, le prix réel du sucre a été divisé par trois (Mazoyer, 2002).

Une spirale d’endettement insoutenable

La qualité de revenus d’un agriculteur ne dépend pas seulement des prix de vente. Elle dépend aussi des coûts de production. Or, ceux-ci ont souvent tendance à augmenter, parfois de manière dramatique. En Inde, par exemple, des coûts de production élevés contribuent à l’endettement massif de producteurs par dizaines de milliers. Les causes de cet endettement sont évidemment multiples. Parmi celles-ci figurent sans nul doute les dépenses croissantes consacrées par les paysans aux achats de pesticides chimiques. Les mauvaises herbes et autres organismes « nuisibles » développant une résistance aux produits sensés les éliminer, l’agriculteur se voit en effet contraint d’en utiliser des quantités croissantes, alourdissant au passage la facture. D’autant que le prix unitaire des pesticides a lui aussi fréquemment tendance à augmenter. Combinée à des prix de vente régulièrement en baisse ainsi qu’à d’autres difficultés, cette escalade de coûts incite nombre d’agriculteurs (dont un grand nombre de cotonculteurs), à mettre fin à leurs jours, le plus souvent en ingérant les pesticides dans leurs champs. Selon Sharad Pawar, ministre de l’agriculture indien, 112.000 agriculteurs se seraient ainsi suicidés entre 1993 et 2003. Un chiffre selon toute vraisemblance largement en dessous de la réalité (Manière de voir/Le Monde Diplomatique, 2007). ·

Une part minime du prix final aux paysans

Les chaînes agroalimentaires sont caractérisées par des rapports de force très déséquilibrés entre acteurs. Négociants, entreprises fournisseuses d’intrants, firmes transformatrices et, plus encore, chaînes de supermarchés détiennent un pouvoir de marché bien plus important que les paysans et les travailleurs agricoles, beaucoup plus nombreux, fragmentés et de bien plus petite taille. Cette dissymétrie a d’importantes répercussions sur la part du prix de vente au détail perçue par les agriculteurs ou les travailleurs agricoles. Car lorsqu’il s’agit de négocier les prix et autres conditions des transactions, les acteurs dominants profitent souvent de leur position dominante pour réduire au maximum leurs coûts… Un petit caféiculteur, par exemple, ne perçoit typiquement que 0,5 % du prix de vente final au consommateur (Robbins, 2005).

2. L’alternative du commerce équitable

À son échelle, le commerce équitable rémunère décemment les producteurs.

Des prix d’achat équitables

Le commerce équitable Oxfam-Fairtrade paie un juste prix aux producteurs. Ce prix couvre les coûts de production et permet à ces producteurs et à leurs familles de vivre dignement : satisfaire leurs besoins fondamentaux et envisager l’avenir plus sereinement. Les coopératives caféières reçoivent ainsi au minimum 1,26 dollars US pour une livre d’arabica. C’est plus que les coûts de production (entre 0,70 et 0,80 dollar US dans les pays concernés) et que le montant nécessaire pour permettre par exemple aux enfants d’aller à l’école (autour de 1 dollar US dans ces même pays). Lorsque les cours mondiaux dépassent ce prix minimum, le prix du commerce équitable leurs est en outre toujours supérieur d’au moins 5 cents US la livre.

Même quand les cours sont élevés, le prix équitable demeure donc avantageux2. Quoi qu’il en soit, sur les marchés internationaux de matières premières agricoles, les périodes de bas prix ont été bien plus fréquentes que les périodes de hausse au cours de ces dernières décennies. En pareil cas, le juste prix du commerce équitable prend évidemment toute son ampleur. Les producteurs de la coopérative haïtienne Recocarno, partenaire d’Oxfam Fair Trade, en savent quelque chose. En août 2002, par exemple, le prix équitable pour une livre d’arabica était presque le triple du prix mondial, alors situé à 43 cents US la livre… Contrairement aux intermédiaires présents sur le marché conventionnel qui abusent de leur position dominante pour réduire au minimum les prix payés aux producteurs, le commerce équitable développe avec ses partenaires une relation saine, durable, respectueuse de leurs besoins et de leur développement (De Boeck, 2002).

Un producteur de café membre de Recocarno :

« Avant la récolte, alors que les fruits ne sont pas encore rouges, le
s spéculateurs nous attendent déjà sur nos parcelles, pour acheter le café. (…) Ils nous proposent des prix extrêmement bas pour notre café. Avant, j’étais obligé d’accepter leurs prix. J’avais besoin d’argent. Je n’avais pas le choix. Maintenant, je vends mon café à la coopérative. Les spéculateurs continuent à venir dans les ‘jardins café’, lors des récoltes. Ils attendent, mais moi, je ne leur vends plus rien. Et je suis bien content de ne plus dépendre d’eux
»

(De Boeck, 2002)

Un producteur de la coopérative Ceibo, partenaire d’Oxfam-Fairtrade, en Bolivie

« La garantie d’un prix minimum nous donne la stabilité. Nous, les producteurs [de cacao], ne sommes pas totalement soumis à la loi de l’offre et de la demande. Nous savons que nous serons payés au moins 69 dollars le quintal. Cette garantie nous permet de planifier sur le long terme, de faire des investissements, de développer une aide technique, …»

(Pérez Suerio, 2006)

Une prime pour le développement

Par ailleurs, pour un certain nombre de produits, le commerce équitable octroie une prime Fair Trade. L’octroi de cette prime est conditionné à sa gestion transparente par la coopérative. Il suppose aussi que les choix de son affectation soient le fruit de décisions démocratiques par ses membres. La prime peut être utilisée à des choses très diverses. Par exemple : améliorer les services de santé, acheter du matériel médical, ouvrir des boutiques communautaires pour la vente de produits de base alimentaires à des prix raisonnables, développer des infrastructures scolaires ou créer de nouvelles opportunités pour les enfants dans le domaine de l’éducation (Pérez Suerio, 2006).

Des coûts de production qui n’explosent pas

Des revenus équitables ne nécessitent pas seulement des prix de vente décents. Ils impliquent aussi que les coûts de production soient maintenus dans des limites raisonnables. C’est l’une des raisons pour lesquelles le commerce équitable insiste sur le recours à des pratiques culturales respectueuses de l’environnement, ces pratiques évitant aux agriculteurs des dépenses excessives en intrants (pesticides de synthèse, semences transgéniques). Concrètement, les producteurs du commerce équitable pratiquent souvent la culture en « lutte intégrée ». Dans ce mode de culture, l’adoption de méthodes naturelles, adaptées aux écosystèmes locaux, est privilégiée pour protéger les récoltes des dégâts causés par divers organismes. Parallèlement, le recours aux pesticides chimiques est réduit au minimum, parfois totalement. En outre, le commerce équitable encourage l’agriculture biologique lorsque c’est possible.

Des prix stables

Le commerce équitable, c’est aussi l’assurance de prix stables, comme l’illustre l’exemple du sucre brut, outre celui du café arabica mentionné plus haut. Cette stabilité est importante pour les producteurs et contraste avec l’extrême volatilité des prix internationaux.

Un préfinancement et des contrats à long terme

Le commerce équitable garantit également des commandes régulières et paient 50% du montant à l’avance.Les producteurs peuvent ainsi bénéficier de revenus garantis entre deux récoltes. Ils ne sont plus obligés de s’endetter pour démarrer la production.

3. L’alternative politique de commerce équitable d’Oxfam-Magasins du monde

Mais la démarche du commerce équitable défendue par Oxfam-Magasins du monde ne se limite pas à vendre des produits équitables. Elle consiste tout autant à interpeller le politique en vue de réguler adéquatement les marchés, le commerce international et les pratiques des multinationales, ainsi qu’à interpeller ces mêmes multinationales pour les contraindre à respecter les critères d’un développement durable, au Sud comme au Nord. À plusieurs reprises, Oxfam-Magasins du monde a oeuvré en ce sens en faveur de prix plus stables et décents pour les paysans des quatre coins du globe. Exemple parmi d’autres, le 24 janvier 2003, Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam-Magasins du monde remettaient ensemble à Douwe Egberts une pétition signée par 130.000 consommateurs, demandant notamment à l’entreprise de payer à un prix plus juste les producteurs de café.

Plus récemment, à la veille des élections législatives belges 2007, Oxfam-Magasins du monde interpellait les principaux partis démocratiques francophones sur, entre autres, la souveraineté alimentaire. Parmi les demandes adressées figurait la reconnaissance internationale du droit à adapter l’offre à la demande sur les marchés, pour des prix plus stables et décents des produits de base agricoles. Il s’agissait notamment de soutenir une proposition introduite en ce sens à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) par le Groupe Africain (41 Etats-membres). Une proposition à ce jour soutenue directement ou indirectement par plus de 1500 organisations agricoles et ONG de tous continents, au travers d’une position commune émise à l’initiative d’Oxfam-Magasins du monde dans le cadre d’un réseau international.

Stéphane Parmentier

Références

  • De Boeck G. (2002). Café Commerce. La bourse ou la vie. Oxfam-Magasins du monde, 66 p.
  • ECA (Economic Commission for Africa). (2003). Minimizing the Impact of Commodity Shocks in Africa for Debt Sustainability. ECA, 17 p.
  • FAO (Food and Agriculture Organization). (2004). La situation des marchés des produits agricoles 2004. FAO, 56 p.
  • Koning N., Robbins P. (2005). Where There’s a Will There’s a Way : Supply Management for Supporting the Prices of Tropical Export Crops. In IIED (International Institute for Sustainable Development), ICTSD (International Centre for Trade and Sustainable Development). Agricultural Commodities, Trade and Sustainable Development. IIED, ICTSD, p. 181-200
  • Pérez Suerio V. (2006). A la rencontre des producteurs. In FLO (Fairtrade Labelling Organizations), IFAT (International Fair Trade Association), NEWS! (Network of European Worldshops), EFTA (European Fair Trade Association). (2006). Du commerce oui, mais différemment. Succès & défis du commerce équitable. FLO, IFAT, NEWS !, EFTA, p. 49-65
  • Les échos (2007). Arabica à New York. [24/10/07]. Disponible <http ://bourse.lesechos.fr/bourse/matieres/details_matieres.jsp?Code=KC&Place=RMSETR& Codif=TSB&Secteur=AGROALIMENTAIRE>
  • Manière de voir/Le monde Diplomatique. (2007). Réveil de l’Inde. N°94.
  • Mazoyer M. (2002). Mondialisation libérale et pauvreté paysanne. Quelle alternative ? In CETRI (Centre Tricontinental). Question agraire et mondialisation. Alternatives Sud Vol. IX. L’Harmattan, p. 5-26.
  • Mazoyer M., Roudart L. (2005). Introduction. In Mazoyer M., Roudart L. (direction). La fracture agricole et alimentaire mondiale. Nourrir l’humanité aujourd’hui et demain. Universalis, p. 7-12.
  • Robbins P. (2005). Supply-side measures for raising low farm-gate prices of tropical beverage commodities.South Centre, 53 p.