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Oxfam-Magasins du monde

Quand un T-shirt et une paire de baskets deviennent symboles de la mondialisation

Analyses
Quand un T-shirt et une paire de baskets deviennent symboles de la mondialisation

Au commencement, un pari un peu fou : mobiliser les consommateurs de fringues et de chaussures pour défendre de bonnes conditions de travail et le respect des droits des travailleurs des usines de production. Dix ans plus tard, la campagne Vêtements Propres a non seulement réussi à accroître l’attention sociale et éthique des consommateurs, mais elle a également fait bouger des choses concrètement pour des milliers de travailleurs en lutte dans leur usine. Le dixième anniversaire de la Campagne Vêtements Propres est l’occasion pour Oxfam-Magasins du monde de revenir sur 10 années de mobilisation et de campagnes, 10 années de relations avec les syndicats et 10 années de négociations avec les entreprises.

Émergence des Droits économiques et sociaux

Nous sommes au cœur des années ’90, une période où les politiques ne jurent que par la dérégulation économique totale. Les entreprises multinationales sont de plus en plus puissantes et se déresponsabilisent de leurs chaines de production par l’entremise de la sous-traitance massive dans des pays à bas salaires. Si des Droits fondamentaux [highslide](1;1;;;)

Les 8 conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail : La liberté syndicale et la protection du droit syndical (87), le droit d’organisation et de négociation collective (98), l’abolition du travail forcé (29 et 105), la discrimination (111), l’égalité de rémunération (100), l’âge minimum pour le travail (138) et les pires formes du travail des enfants (182). Pour en savoir plus : www.ilo.org[/highslide] des travailleurs existent bel et bien, le rapport de force syndical, très défavorable aux travailleurs, ne permet pas de les faire respecter.

Un peu partout dans le monde les consommateurs découvrent alors le scandale des « sweatshop », des ateliers où les travailleurs sont exploités à la limite de l’esclavage pour produire les biens que nous consommons. Les travailleurs sont forcés de travailler jusqu’à 16h par jour, 7 jours sur 7 pour gagner un salaire de misère. L’usine est surchauffée et bruyante. Pourtant, pas de pause autorisée ni d’eau potable. Au contraire, harcèlement, insécurité et manque d’hygiène règnent en maître dans ces ateliers sortis d’un autre âge. Face à cette situation, des campagnes en faveur des Droits économiques et Sociaux émergent un peu partout. Les consommateurs du nord, suivis par les travailleurs de la distribution, se rendent solidaires des travailleurs du Sud. La mobilisation se concentre alors de plus en plus sur des filières de production, qui réunissent d’un bout à l’autre de la chaine les travailleurs de la production, les travailleurs de la distribution et les consommateurs.

En Belgique, Oxfam-Magasins du monde lance la campagne «Made in dignity» pour une Autre Mondialisation qui donnera naissance deux ans plus tard en 1996 [highslide](2;2;;;)Et oui, nous fêtons les 10 ans de la Campagne Vêtements Propres avec quelques mois de retard ![/highslide] , à la Campagne Vêtements Propres. Deux rencontres ont dicté ce choix. Tout d’abord celle de Gérard Fonteneau, syndicaliste dans le secteur « habillement-cuir-textile » et représentant au Bureau International du Travail, qui souligne l’importance de soutenir les luttes des travailleurs du textile dans le Sud. La rencontre de deux femmes ensuite, Esther et Ineke, qui ont lancé la Clean Clothes Campaign aux Pays-Bas. Elles construisent un réseau international dans le secteur textile et cherchent des partenaires en Europe.

Développer de nouvelles solidarités et mobiliser les consommateurs

La Campagne Vêtements Propres rassemble dès le départ une quarantaine d’associations (ONG, consommateurs et syndicats). Elle met en œuvre des solidarités « nouvelles » et internationales entre les consommateurs et les travailleurs, entre travailleurs de la production et travailleurs de la distribution. L’idée est simple : plus les consommateurs exigent le respect des droits des travailleurs de la production, plus ceux-ci seront en mesure de défendre eux-mêmes leurs droits. Utiliser le pouvoir des consommateurs pour renforcer celui des travailleurs.

Cette idée généreuse ne va pourtant pas de soi. Dire qu’au départ, les syndicats belges étaient méfiants, voire réticents, serait certes exagéré. Ces organisations de travailleurs regardaient pourtant avec distance cette initiative qui s’impose sur leur terrain, celui de la défense des travailleurs, se demandant comment se positionner, comment l’interpréter. Réelle opportunité pour renforcer leur lutte ou énième tentative pour affaiblir un mouvement des travailleurs déjà en perte de vitesse ? Cette question se pose toujours au sujet de la « Responsabilité Sociale des Entreprises ». Est-ce une politique qui renforce la place des travailleurs dans le rapport de force capital/travail ou est-ce une politique totalisante des entreprises qui vise à éviter le dialogue et la négociation collective avec ces travailleurs ?

La Campagne, par la mise en réseau des différents acteurs, casse donc les carcans habituels. Elle participe à la construction d’alternatives et de nouvelles formes d’action naissent alors. En 1998, 12.000 chaussures de sport sont renvoyées à Adidas, déversées sur son parking à Bruxelles. Le motif invoqué ? Un défaut de fabrication. Il manque les droits fondamentaux des travailleurs. La même année, le « tribunal international permanent des peuples » juge des marques pour leur responsabilité  dans des cas de violation des droits des travailleurs. Des entreprises comme Nike, Levis, Disney, Adidas, etc. sont appelées à la barre des accusés. Seul H&M répond présent. Ce tribunal est l’occasion de rassembler à Bruxelles des travailleurs venu du monde entier plaider leur cause sur base de dossiers conséquents.

La mobilisation des consommateurs se construit sur base de campagnes publiques et d’actions mobilisatrices. Comme par exemple lors des Jeux Olympiques d’Athènes de 2004, où la Campagne Vêtements Propres relaie la pétition internationale qui demande aux grandes marques de sport et au Comité Olympique International d’agir en faveur des Droits Humains dans la production des équipements de sport. Grâce à l’appui massif des bénévoles d’Oxfam-Magasins du monde, 91.806 signatures sont récoltées en Belgique ! Les grandes marques de sport ont réagi, ouvertes à une démarche sectorielle. Reste à convaincre le mouvement olympique à appliquer sa charte, y compris envers ceux et celles qui produisent les équipements de sport. Des avancées ont été annoncées alors pour les JO de Pékin en 2008. À surveiller donc …

L’année 2005 marque un tournant dans la mobilisation de la Campagne Vêtements Propres. Suite à l’effondrement de l’usine Spectrum au Bangladesh (voir plus loin), la campagne va mobiliser consommateurs et travailleurs de la distribution pour interpeller Carrefour sur sa responsabilité. Les consommateurs font pression publiquement sur la chaine de distribution par l’envoi de courriers et via des manifestations. Les travailleurs, se mobilisent en interne et portent l’interpellation au cœur de la concertation sociale, au conseil d’entreprise.

La Campagne Vêtements Propres permet de mettre en relation les travailleurs de la production et de la distribution d’une même filière. Des employés de Carrefour Belgique se rendent au Bangladesh et témoignent de la situation sur place. Des ex-ouvriers de Spectrum viennent en Belgique pour témoigner et interpeller Carrefour. C’est une avancée indéniable dans un monde globalisé. La lutte pour le respect des droits et l’amélioration des conditions de travail dépasse les frontières.

Responsabiliser les entreprises

Les entreprises multinationales sont à la fois les symboles, les acteurs dominants et les principales accusées des dérives de la mondialisation. Les multinationales du secteur textile sont donc une cible de choix de
la campagne Vêtements Propres. Mais à côté de la mobilisation publique, la campagne s’est également montrée capable de négocier avec elles. Pousser, tirer, dénoncer, conseiller, négocier : tout est bon, pourvu qu’on avance !

Des codes de conduite …

La Campagne Vêtements Propres vise dans un premier temps à responsabiliser les multinationales vis-à-vis de leurs propres chaines de production, de leurs fournisseurs et de leurs chaines de sous-traitance. Elle exige l’adoption d’un code de conduite et d’un système de vérification multipartite, c’est-à-dire un système de vérification qui s’appuie sur une concertation entre des représentants des employeurs, des travailleurs et d’ONG. Il s’agit de renforcer les organisations de défense des travailleurs par l’instauration d’un dialogue social là où il n’y en a pas.

Et ça marche ! En 15 ans de campagne internationale, les principales marques de vêtements ont adopté un code de conduite et font partie d’un système de vérification indépendant et multipartite. Par exemple, des entreprises comme Adidas, Asics, H&M, Nike, Puma ou Reebok participent à la Fair Labor Association (FLA), un système de contrôle multipartite émanant du mouvement universitaire aux Etats-Unis.

Si les marques se sont montrées réactives et ont avancé, la grande distribution est par contre toujours à la traine. D’un côté, elle utilise des pseudo-politiques éthiques comme paravent, évacuant ainsi leur responsabilité. De l’autre côté, la concentration du secteur aux mains de quelques géants mondiaux et la financiarisation de l’économie, où la rémunération du capital prend le pas sur la rémunération du travail, renforcent le pouvoir des quelques centrales d’achats déjà toutes puissantes. La pression exercée sur les fournisseurs et sous-traitants, comme sur le personnel, n’en est que plus intense et les pratiques d’achat plus destructrices.

… aux pratiques d’achats !

Les entreprises ont donc géré de manière plus ou moins sérieuse  ces nouveaux risques d’image. Ce n’est évidemment pas suffisant. La question du respect des droits des travailleurs et des moyens qui y sont accordés doit devenir centrale au sein de l’entreprise. La Campagne Vêtements Propres vise alors à faire modifier les pratiques d’achats identifiées comme les causes principales des violations des droits des travailleurs. Les engagements pris dans les codes de conduite doivent être suivis de faits et d’impacts concrets. La Campagne Vêtements Propres continue donc à dénoncer les pratiques qui mènent à l’exploitation des travailleurs. Elle continue également à négocier des avancées avec les entreprises :

  • Triumph International quitte la Birmanie. Après une campagne internationale menée en Belgique par la Campagne Vêtements Propres, Triumph annonce, le 28 janvier 2002, qu’il quitte la Birmanie, déclarant « qu’il est impossible de faire des affaires en Birmanie sans soutenir directement le pouvoir militaire ».
  • 151 travailleurs haïtiens ont été réengagés suite à l’appel urgent lancé en juillet 2004 vis-à-vis de Levi’s et Grupo M, son principal fournisseur dans les Caraïbes. Après 6 mois de négociations, un accord a été signé entre la direction et les travailleurs. Le syndicat Sokowa est reconnu dans l’usine.
  • En 2004, Adidas accepte de payer plus par paire de chaussures produite par son fournisseur exclusif indonésien, le fabricant PT Panarub, pour permettre un plan d’amélioration des conditions de travail dans cette usine occupant 10.000 travailleurs. Une délégation syndicale est reconnue dans l’usine.
    Pourtant, en 2005, 33 travailleurs syndiqués sont renvoyés de l’usine et Adidas annonce de possibles réductions de commandes pour cause de qualité insuffisante. Un appel urgent est en court pour soutenir les travailleurs.
  • L’usine thaïlandaise Gina Form, qui produisait pour Calvin Klein, Gap et Victoria Secret, a fermé ses portes le 20 octobre 2006 laissant sans emploi ses 1500 travailleurs. Soutenus par la pression nationale et internationale, les travailleurs ont pu obtenir, après négociations, une indemnité supérieure au minimum légal équivalent à 3 mois et 3 semaines de salaire.
  • Un fonds d’indemnisation des victimes de Spectrum est créé et financé par certaines entreprises clientes de ce fournisseur. Le 11 avril 2005, l’usine bangladaise Spectrum s’effondre faisant 64 morts et 84 blessés. Deux ans plus tard, Inditex, KarstadtQuelle, New Wave Group, Scapino et Solo Invest se sont engagées à participer à un fonds d’indemnisation des victimes. Carrefour et Cotton Group, deux autres clients de Spectrum, ne financent pas ce fonds.

Ces quelques exemples montrent l’impact qu’a eu la Campagne Internationale. Ils montrent également la fragilité d’avancées certes concrètes et importantes, mais aussi ponctuelles et ciblées. Une démarche sectorielle est dès lors nécessaire afin de diminuer les impacts néfastes de la concurrence à tout crin que se livrent les multinationales. C’est dans cette optique que la Campagne internationale, depuis les Jeux Olympiques de 2004, a pris comme cible le Comité Olympique International. C’est dans cette optique également que les fédérations belges du textile et de la mode (Creamoda et Fédération Belge de l’Entretien du textile) ont été invitées à intégrer le projet pilote d’une « Fair Wear Foundation » belge.

Développer une offre de vêtements propres : La Fair Wear Foundation

Après avoir développé une demande de vêtements propres, la campagne veut développer une offre. C’est dans cette optique qu’en 2006,  les organisations membres de la Campagne Vêtements Propres et de la Schone Kleren Campagne (en Flandre) créent un projet pilote belge de vérification multipartite dans le secteur des vêtements de travail avec la collaboration de la Fair Wear Foundation.

La Fair Wear Foundation certifie que les entreprises qui en sont membres adoptent et respectent son code de conduite. Pour y arriver, elle développe un réseau permanent d’organisations partenaires dans les pays producteurs. Elle travaille également en étroite collaboration avec des syndicats et des ONG. La Campagne Vêtements Propres est en effet convaincue que l’amélioration durable des conditions de travail passe par l’implication non seulement des employeurs locaux mais aussi des syndicats, des gouvernements et des ONG dans les pays où les vêtements sont produits.

Voici donc un bilan impressionnant pour 10 années d’activités. La clef de la réussite ? Sans doute ce savant mélange de mobilisation, d’actions et de concertation qui a permis de fédérer les organisations de travailleurs, les associations de consommateurs et les ONG. Sans doute également cet équilibre entre campagne de pression et le temps de la négociation qui a donné toute sa crédibilité envers les consommateurs, les autorités et les entreprises.

Jean-Marc Caudron
Département Actions

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