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Oxfam-Magasins du monde

Jeunes et climat

2019 Analyses
Jeunes et climat

Que l’on qualifie ce mouvement de révolte, de prise de conscience ou de vague de fond, l’année 2019 restera dans les mémoires comme celle de l’association des mots «Jeunes » et « Climat ». Comme toujours, un certain recul sera nécessaire pour mesurer l’impact de ce mouvement et de ces actions. Cette analyse se contente donc de proposer au lecteur certains axes d’analyse dont seul l’avenir déterminera la réelle pertinence.

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Introduction

« La mobilisation pour le climat est toujours vive », titrait Le Soir à propos de la première manifestation de l’année scolaire 2019-2020, le 20 septembre. Entre 15 et 20.000 personnes ont participé à cette marche, selon le quotidien. Le 24 octobre, les manifestants seront 600. Le décompte est évidemment plus facile à effectuer précisément…

Signe d’un essoufflement ? Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Le 29 novembre – avenir tout proche au moment d’écrire ces lignes – Fridays For Future, le mouvement initié par Greta Thunberg, lance une nouvelle grève mondiale, après celle du 20 septembre. Ce jour-là et les suivants, selon l’organisation, 4500 évènements étaient organisés dans 139 pays, et certains médias citent le chiffre de 400.000 participants, dont 300.000 pour la seule Australie.

L’extension des actions à l’échelle mondiale leur confère certes un caractère extrêmement spectaculaire et symbolique, mais rend évidemment les évaluations chiffrées de plus en plus aléatoires. Si « la police » et « les organisateurs », c’est bien connu, n’utilisent jamais la même calculette, la multiplication des événements et donc leur éparpillement, ne peuvent que démultiplier également la marge d’erreur. Quant à évaluer le pourcentage réel de « jeunes » parmi ces activistes, qu’ils soient d’un jour ou d’une vie, ne rêvons pas.

Qu’importe. L’année 2019 restera dans les mémoires comme celle de l’association de ces deux mots – «Jeunes » et « Climat » – que l’on qualifie ce mouvement de révolte, de prise de conscience ou de vague de fond. Comme toujours, un certain recul sera nécessaire pour en mesurer l’impact. Le présent article fera donc aveu de modestie, en proposant au lecteur certains axes d’analyse dont seul l’avenir (c’est d’ailleurs bien de lui qu’il s’agit !) déterminera la réelle pertinence.

Greta, icône malmenée, manipulée, submergée ?

Bien qu’on n’ait pas osé lui décerner le Nobel, Greta Thunberg aura sans conteste été « la » personnalité de 2019. Inondant les médias telle la vague sur Venise, soit de son propre chef, soit via les innombrables avis, articles, pamphlets et commentaires en tous sens suscités tant par son action que par sa personnalité singulière.

« Notre nouveau conomètre », écrit Claude Semal dans « Imagine », n° 136 de novembre/décembre 2019. On lui laissera la paternité et la responsabilité de cette savoureuse expression, mais il est un fait que nombre de philosophes et chroniqueurs ont rivalisé dans cette course à l’anti-Greta. Certains de façon assez prévisible (Onfray par ce qu’il a toujours été, Bruckner par ce qu’il est devenu), d’autres nettement moins (Bernard Pivot, par un tweet plus maladroit que méchant, a perdu l’estime de pas mal de nostalgiques d’« Apostrophes »).

Ce qui apparaît le plus étonnant, dans ce torrent de critiques (pour ne pas utiliser d’autre terme) à l’égard de la jeune Suédoise, c’est de voir d’indéniables intellectuels, quelle que soit l’opinion qu’on ait de leur pensée, tomber aussi grossièrement dans le piège de l’« ad personam ». Apparence physique, intonation, handicap même… car hurler à l’instrumentalisation du handicap, par un effet boomerang dont de tels virtuoses de la pensée auraient dû se préserver, cela revient quand même à le stigmatiser.

Parallèlement, des fantasmes aux allures informatives apparaissent sur le net, évoquant derrière la jeune Suédoise la main occulte de compatriotes milliardaires, voire d’un « capitalisme vert » aux allures de mafia environnementale. Dernier délire en date, la mise en exergue d’une photo d’une sosie de Greta datant de 120 ans et censée démontrer le caractère étrange de cette créature voyageant dans le temps.

Sur la toile, nombreuses ont été les réactions d’indignation, les réponses structurées, les répliques argumentées. Un contre-tsunami dont ce n’est pas la légitimité qui pourrait finir par poser problème, mais bien l’efficacité en regard du but premier. Non, pour citer Pascal Bruckner dans « Matin première » le 16 octobre dernier, ce n’est pas « La messagère tue le message ». Mais peut-être, en partie à son corps défendant, prend-elle désormais trop de place. Peut-être aussi ne demande-t-elle pas mieux d’en rendre davantage aux enjeux qu’elle défend et au caractère nécessairement collectif qu’ils impliquent.

Pour se forger son opinion (à consulter sur le net) :

  • Michel Onfray : Greta-la-science
  • Pascal Bruckner : La messagère tue le message
  • Bernard Lemal : Greta Thunberg, ange, démon ou le tonnerre qui annonce l’orage ?
  • Laurent De Sutter : « Chère Greta Thunberg, il y a quelque chose de possible »
  • Jean-Pascal Van Ypersele : Greta est la cible « de vieux messieurs qui n’ont pas envie de changer leur vision du monde »

Et une remarquable analyse :

  • Roberto Savio : La campagne contre Greta Thunberg est un indice de la perte des valeurs

Australie, le dernier rivage

En 1957, l’écrivain britannique émigré en Australie, Nevil Shute, écrivait un roman resté surtout célèbre pour son adaptation cinématographique, sortie deux ans plus tard : « Le dernier rivage ». L’Australie y apparaît comme le seul pays épargné par un conflit atomique… mais le nuage radioactif va finir par l’atteindre. Dans cette funeste attente, les habitants s’agitent vainement dans une sorte d’hédonisme désespéré.

C’est un peu l’inverse qui semble se passer depuis plusieurs années. L’Australie se révèle en effet touchée particulièrement violemment par le réchauffement, via une sécheresse catastrophique, de multiples incendies (les plus récents ont amené Sidney au bord de l’asphyxie), des averses torrentielles suivies d’inondations spectaculaires et des menaces de plus en plus inquiétantes pesant sur la grande barrière de corail. Quelques archipels proches de ce continent, quant à eux, sont purement et simplement menacés de disparition.

Du coup, les jeunes Australiens se sentent particulièrement concernés et se révèlent les plus actifs du monde en matière de réchauffement climatique. Déjà en 2007, selon un rapport de l’Australian Childhood Foundation (« Children’s fears, hopes and heroes »), 27 % des 10-14 ans estimaient qu’ils vivraient la fin du monde avant l’âge adulte. Face à un gouvernement conservateur qualifié de particulièrement climatosceptique, des grèves étudiantes ont démarré dès la fin de 2018, rencontrant un succès croissant qui a culminé le 19 septembre dernier par une manifestation monstre de 250 à 300.000 personnes (alors que dans le reste du monde, on évaluait à 100.000 la totalité des autres participants).

L’Australie sera-t-elle « Le premier naufrage » ? Elle constitue en tout cas l’illustration du caractère profondément « Saint-Thomas » de l’humain, qui ne sait se mobiliser réellement qu’à quelques millimètres du guidon.

La grève scolaire, acte de désobéissance civile ?

La revue Kaizen (« changement bon », en japonais), dans son numéro 46 de septembre 2019, consacre un dossier très intéressant à la désobéissance civile climatique : « Désobéir pour la planète », titre qui se retrouve en couverture. Fondée en 2012 par, entre autres, Cyril Dion (l’homme de « Demain », aux côtés de l’actrice Mélanie Laurent), la revue propose diverses approches de la thématique, soulignant en particulier qu’elle se révèle souvent un moyen d’expression choisi en dernier recours par des militants de longue date. Convaincus de l’inefficacité d’actions plus traditionnelles, comme les manifs, pour les avoir maintes fois expérimentées.

Et si, en choisissant la grève scolaire, les étudiants du monde entier s’étaient d’emblée rendu compte que défiler ne suffit pas ? Inaugurée par Greta Thunberg le 20 août 2018, la grève étudiante a été raillée à de nombreuses reprises, tant par des politiques, des dessinateurs d’humour que des internautes. « Seraient-ils si nombreux si c’était un dimanche ? », voilà en gros le contre-message. Auquel les jeunes ont répliqué par la fréquence durable de leur mode d’action, leur volonté spécifique de déranger le monde politique et des slogans du genre « à quoi sert d’aller à l’école si on n’a pas de futur ». Force est de constater une certaine efficacité du mode opératoire, tant par son impact dans les médias que par le désarroi du monde « adulte », les autorités scolaires par exemple, peinant à se définir une ligne de conduite face à ces grèves à répétition.  

Répétons-le, il est difficile d’augurer de la pérennité du mouvement. Mais quoi qu’il en soit, cette militance rafraîchissante s’est structurée au sein d’organisations de jeunes comme « Youth for climate », « Génération Climat » ou « Act for climate justice », et s’est trouvé dès le départ des leaders locaux. Signe des temps sans doute, mais peut-être aussi d’une certaine sensibilité à la problématique, dans la plupart des pays concernés, ce sont surtout des jeunes filles (en Belgique, Anuna De Wever côté néerlandophone et Adélaïde Charlier côté francophone…même si le mouvement se veut tout sauf communautariste).

Le climat, conflit de générations ?

« Vous êtes égoïstes, mal éduqués, manipulés par des gens qui vous utilisent, disant que vous avez une cause noble tout en vous amusant dans le luxe occidental le plus fou ». Cette charmante tirade à destination des jeunes Australiens, que l’on doit au journaliste Alan Jones, mérite sûrement la palme. Mais d’autres ont fait fort dans le même genre. Ainsi un texte qui a tourné sur la toile en recueillant un certain succès : « Tu seras un homme éco-responsable, mon fils ». Morceau choisi : « Avant de protester, mon fils, va à l’école à pied, éteins ton téléphone, lis un livre sur papier recyclé, et mange des sandwichs au concombre (pas de viande, ni de hamburger « énergivores ») au lieu d’acheter des plats préparés. »

Dans le genre plus concis, un tweet de Georges-Louis Bouchez, porte-parole du Mouvement réformateur à l’époque, le 24 janvier, à propos de 35 000 jeunes ayant défilé dans les rues de Bruxelles : « Et ces jeunes ne voyagent jamais avec Ryanair, n’ont pas d’iPhone et n’ont jamais passés (sic) la porte d’un Primark… je suis rassuré ». Et puis, il y a la banane de Greta Thunberg qui a aussi fait beaucoup parler d’elle.

En gros, l’argument classique de la cohérence porté à son paroxysme. Classique parce que, jeune ou adulte, dès qu’un écologiste utilise autre chose que du silex, il en prend pour sa pomme. Paroxysme, parce que souvent l’expression est totalement irrespectueuse vis-à-vis de jeunes qui n’ont quand même pas inventé le monde dans lequel ils sont nés…

Ce paternalisme plutôt injurieux suffit-il pour que l’on taxe la polémique de générationnelle ? Pas à notre avis. L’écologie n’a pas plus d’âge que le climato-scepticisme ou la défense acharnée de la société productiviste.

Et il y a aussi des seniors pour s’excuser publiquement auprès des jeunes de l’état lamentable de l’héritage qu’on va leur laisser. Comble du paradoxe, ce sont la plupart du temps des militants environnementaux de longue date…

La spécificité générationnelle du mouvement des jeunes pour le climat réside sans nul doute dans sa rapidité et son ampleur. Pour le reste, il semble que l’on retrouve chez les 15-25 ans les mêmes clivages que chez leurs aînés. S’il en fallait une preuve, la réaction rencontrée par Anuna De Wever lors du festival du Pukkelpop, en août dernier, atteste que beaucoup de jeunes sont indifférents, sinon hostiles aux actions de sensibilisation au réchauffement climatique (elle a été huée par une partie du public et victime, avec ses amies présentes, de harcèlement, de menaces et de déprédations). L’ignorance climatique, des enquêtes récentes le montrent (Aped : Jeunes et climat, octobre 2019 ; IPSOS, Sondage mondial sur le climat, novembre 2019), est la même quel que soit l’âge. Par ailleurs, au sein de la militance « jeune-écologiste », on retrouve les mêmes différences de sensibilité, les uns visant une transition écologique via une transformation du système, les autres son renversement, avec toute la palette de nuances entre ces deux positions énoncées ici de façon bien entendu trop simpliste.  

Collapsologie, solastalgie, catastrophisme… déprimant, vraiment ?

Avec la menace climatique sont nés quelques néologismes qui ont la cote actuellement.

La collapsologie a fait l’objet de deux analyses d’Oxfam-Magasins du monde précédemment (« Collapsologie : passer de la prise de conscience à la prise en compte de la réalité » et « Éducation permanente ou populaire et collapsologie : deux manières « radicales » de réinterroger notre système économique et ses impacts »). Nous vous y renvoyons pour ce qui est d’une première approche, et à plusieurs ouvrages repris ci-dessous pour un approfondissement. Notons aussi des visions critiques de la collapsologie récentes, notamment : « L’effondrement, parlons-en. Les limites de la collapsologie », par Jérémie Cravatte, ou les positions de Jean-Pierre Dupuy, qui reproche aux collapsologues de poser l’effondrement comme une certitude, et de pointer trop la complexité des systèmes comme élément-clef du domino en cascades annoncé (Le Soir, 30 octobre 2019).

La solastalgie, quant à elle, ou éco-anxiété, fait l’objet de plus en plus d’attention. Dans un texte publié le 4 septembre 2019 sur le site de Médiapart, « Climatologues et citoyens : la déprime de l’apocalypse? », Guillaume Lohest souligne le fait que de plus en plus de scientifiques semblent souffrir de ce type dépression, à force de voir les résultats alarmants de leurs recherches publiés sinon dans l’indifférence, du moins dans une absence de réactions proportionnées. Mais ce mal contemporain frapperait aussi un nombre croissant de citoyens.

Quoi qu’il en soit, derrière les reproches de pessimisme, sinon de catastrophisme exprimés par leurs détracteurs (qui sont souvent ceux qui voient le progrès technologique sauver le monde) aux jeunes activistes climatiques, tous ces mots deviennent souvent les ingrédients d’une grosse soupe à la déprime. Laquelle ne ressemble pas vraiment à l’état d’esprit affiché par les troupes quand elles défilent.

« Je veux que chaque jour vous ayez peur comme moi. Et je veux que vous agissiez ». Cette formule-choc de Greta Thunberg, lors du Forum économique mondial de janvier 2019, illustre à la fois sa différence et son point commun avec la collapsologie. Plutôt que la peur, c’est entre autres le deuil bien vécu qui serait le moteur du changement pour les collapsologues. Mais ce changement ne saurait naître que de l’action, et non d’une contemplation ou d’un repli sur soi dépressifs (malgré la compréhension et le respect que ces attitudes doivent susciter, en particulier chez des scientifiques prêchant dans le désert depuis des décennies).

Certes, faire des enfants ou non constituera vraisemblablement une question plus prégnante pour cette génération que pour les précédentes. Si le nombre de familles à enfant unique a souvent varié dans le passé en fonction des conflits ou des crises, si engendrer des êtres destinés à mourir un jour a pu constituer un problème philosophique pour une minorité, lancer des enfants dans un cadre de vie nettement dégradé, sinon en voie d’anéantissement, deviendra sans nul doute un sujet d’interrogation pour davantage de couples de demain. Il l’est déjà de façon croissante aujourd’hui, si l’on en juge par le foisonnement d’articles à ce sujet sur la toile.

Sans se prononcer sur cette question, dans le fond toute personnelle, on la conclura en laissant la parole à une jeune maman canadienne qui récemment, exprimait merveilleusement ce dilemme dans une lettre à son fils (Geneviève Dorval, « Lettre à mon fils Léon », 11 août 2019) et terminait par ces mots :

« Je vais résister de mon mieux à la destruction du monde par la désobéissance civile. Et finalement, je me fais la promesse d’être pour toi le meilleur exemple possible de courage, de militantisme, de foi en l’humanité et de respect pour l’ensemble du vivant. »

Quelques livres de référence sur la collapsologie :

  • Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle : Une autre fin du monde est possible, Editions du Seuil, 2018.
  • Jean-Marc Gancille : Ne plus se mentir, Rue de l’échiquier, 2019.
  • Aurélien Sarrau : Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Editions Michel Lafon, 2019. 

Bruno Ponchau