
Campagne on-line de l’organisation Fashion Revolution pour une transparence accrue dans la fabrication des vêtements
1. Introduction
Marre des fringues « kleenex » qui polluent et qui exploitent, voire qui tuent ? Face au scandale des « Rana Plaza and co. », de nombreux consommateurs décident de passer à l’action en s’habillant de manière plus respectueuse des travailleurs et de l’environnement. Les solutions passent notamment par le vêtement éthique / équitable / local, le seconde main (customisé ou pas)1, ou même la location2.
Mais quiconque s’y est déjà frotté peut témoigner de la difficulté à acheter un vêtement éthique, équitable ou de manière plus générale durable. En comparaison avec le secteur alimentaire par exemple, dans lequel des marques (ex. Oxfam, Ethiquable) ou labels (ex. Fairtrade) « phares » permettent de s’y retrouver relativement facilement, l’habillement est plus complexe : de nombreux labels (éthiques, équitables, biologiques,…, couvrant tout ou partie des chaines textiles) coexistent et se mélangent allègrement avec logos et marques indépendantes, et ce dans la plus grande confusion. Selon « l’Eco-Textile Labelling Guide 2014 », il existerait ainsi plus de 60 labels et standards durables dans le seul secteur textile.
Cette analyse a pour objectif de clarifier les garanties existantes en matière d’habillement durable, afin de faciliter le choix des consommateurs. Nous examinerons pour cela quelques standards plus en détail : l’initiative éthique Fair Wear Foundation (FWF), le label de textile biologique GOTS (Global Organic Textile Standard), les standards coton et textile de Fairtrade international, et enfin, le système de garantie équitable WFTO. Ces standards ont été choisis en fonction de critères de notoriété, de leur spécificité vis-à-vis du secteur textile, ainsi que leur proximité avec les principes du commerce éthique et équitable.
2. Éthique, équitable, durable, biologique : quézako ?
Tout d’abord, il peut sembler utile de rappeler quelques concepts, notamment les différences entre commerces éthique, équitable, durable et biologique.
Le commerce éthique concerne principalement les conditions de travail dans les centres de production industriels conventionnels. Il couvre ainsi surtout les relations employeur / employés au sein des entreprises, cherchant à faire respecter les droits fondamentaux du travail, tels que définis notamment par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) (ex. conditions de santé et de sécurité, absence de travail forcé ou des enfants)3. De nombreux labels de commerce éthiques concernent donc le secteur du textile industriel, secteur intensif en main d’œuvre s’il en est.
Les standards / initiatives volontaires du secteur privé4
Les initiatives volontaires (ou standards) du secteur privé sont des principes divers et normes auxquels une entreprise accepte volontairement de se plier dans le cadre de ses activités. De manière générale, elles encadrent le comportement des firmes et de leurs partenaires commerciaux (fournisseurs et éventuels sous-traitants), dans un ou plusieurs domaines du développement durable : économique (ex. pratiques commerciales), social (ex. droit du travail) ou environnemental (ex. polluants). Mais les standards varient également en fonction des secteurs (ex. habillement), des zones géographiques (ex. pays en voie de développement), des structures de gouvernance (ex. multi-parties prenantes) et des systèmes de suivi (ex. tierce partie). Parfois, ces standards peuvent consister en de simples principes de bonne conduite. Ils sont alors généralement dénommés « codes de conduite » et rattachés à des politiques plus globales de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les standards les plus connus des consommateurs sont les labels (produits), un cas spécifique dans lequel un logo est apposé sur le produit afin d’informer le consommateur du respect du cahier des charges5.
Historiquement, le commerce équitable couvre quant à lui principalement les conditions de l’échange commercial avec des petits producteurs indépendants (agricoles ou artisanaux). Comparé au commerce éthique, aux critères essentiellement sociaux, il se concentre donc sur les aspects de développement économique et d’organisation collective des petits producteurs et artisans du Sud (ex. prix minimum, prime de développement, fonctionnement démocratique). Avec le temps, il a cependant inclus de plus en plus de critères sociaux et environnementaux, notamment avec l’arrivée de nouveaux standards tels qu’Ecocert équitable ou Naturland Fair (concurrents du label historiquement monopolistique Max Havelaar / Fairtrade). Certains labels équitables ont par ailleurs élargi leurs activités aux plantations (dans lesquelles des grands propriétaires emploient une large main d’œuvre) ainsi qu’à d’autres secteurs tels que l’extraction minière ou le textile industriel (voir les standards de Fairtrade International et FT USA plus bas), atténuant ainsi la frontière entre commerce éthique et équitable.
Le commerce durable est un concept plus général, qui tente d’inclure toutes les composantes de la durabilité – économique, sociale et environnementale. Ses promoteurs mettent par exemple en avant la création de valeur économique, la protection des ressources environnementales, la transparence et l’imputabilité, etc.6. Englobant en apparence les notions de commerces équitable et éthique, ses critères sont en réalité beaucoup plus vagues et souvent peu exigeants. Au final, les labels de commerce durable (ex. Better Cotton Initiative, Cotton Made in Africa) sont des systèmes surtout adaptés au modèle d’affaires des multinationales.
Enfin, le terme de biologique concerne historiquement et majoritairement l’agriculture. En opposition à l’agriculture industrielle, l’agriculture biologique exclut les intrants chimiques (engrais de synthèse ou pesticides) et les OGM, tout en exigeant des modes de production favorables à la biodiversité, à la fertilité des sols et aux cycles biologiques. La certification GOTS (Global Organics Textile Standard) permet néanmoins d’étendre le concept aux produits textiles, en garantissant l’origine biologique des fibres (ex. coton) et en exigeant le respect de critères sociaux et environnementaux sur les étapes de production et de transformation textile ultérieures.
3. Fair Wear Foundation
À seigneur tout honneur, nous commencerons notre tour d’horizon des labels textiles par l’une des plus anciennes tentatives de régulation privée. La Fair Wear Foundation (FWF) est une ONG créée en 1999 aux Pays-Bas à l’initiative de plusieurs parties prenantes, dont la Clean Clothes Campaign (CCC), des syndicats et des marques. Via son standard éthique du même nom, elle vise à instaurer des conditions de travail décentes dans le secteur de l’habillement de tous les pays où ses entreprises membres se fournissent7. Les fournisseurs (uniquement des usines de confection) doivent pour cela respecter une série de critères basés essentiellement sur les normes de l’OIT et de la DUDH8. Différents instruments sont utilisés : des audits d’usines, des enquêtes sur les marques elles-mêmes9, un système de plaintes pour les parties prenantes internes et externes, l’obtention d’informations via des ONG ou des syndicats locaux, ainsi que des programmes d’éducation des travailleurs.
On le voit, l’approche de la FWF est assez spécifique et se distingue des standards éthiques plus classiques sur plusieurs points :
- Contrairement au SA8000 par exemple, qui fait reposer sur les fournisseurs la totalité des responsabilités et des coûts de mise aux normes, l’objectif est ici de s’adresser aussi et avant tout aux marques. L’idée est que même si elles n’emploient pas directement de travailleurs, leurs pratiques jouent souvent un grand rôle dans les violations du droit du travail (ex. délais de livraison très courts). Cette approche globale de FWF pour responsabiliser tous les acteurs de la chaine, y compris les acheteurs, permet en théorie de trouver des solutions plus durables.
- La démarche se veut également plus souple, dans un esprit d’amélioration continue des pratiques. Il ne s’agit donc pas ici de certifier des chaines parfaites mais de garantir que l’entreprise est en recherche d’amélioration constante pour appliquer un maximum de normes de l’OIT.
- La FWF est bien implantée localement, grâce à de nombreuses et étroites collaborations avec les ONG, les syndicats, les industries et les autorités publiques. Cela lui permet d’obtenir davantage d’information (et de meilleure qualité) que la moyenne sur les conditions réelles de travail au sein des usines, notamment via des auditeurs plus compétents (cf. bonne connaissance de la langue, du contexte, entretiens avec les travailleurs en dehors des usines, etc.).
- Elle offre également un programme de formation assez complet, qui vise à dépasser le système des audits via le renforcement des travailleurs et la création de relations de travail plus ouvertes et collaboratives. L’idée est aussi ici de limiter les problèmes d’absentéisme et de rotation du personnel, avec toutes les conséquences sociales et économiques que cela entraine habituellement.
- Les rapports annuels, les rapports des suivis de performance des marques, ainsi que le suivi des plaintes sont disponibles librement sur le site internet de la FWF, ce qui démontre un niveau relativement élevé de transparence.
- La FWF ne s’affiche pas comme un label produit, mais comme la garantie que l’entreprise membre développe une démarche de progrès dans ses pratiques d’approvisionnement. Un produit d’une marque membre de FWF n’est donc pas garanti en tant que tel. Néanmoins, une marque est autorisée à communiquer sur son appartenance à la FWF via un label sur le produit quand 60% de ses fournisseurs sont vérifiés10.
Du côté plus négatif, ces différentes spécificités de l’approche de FWF en font un système assez lent, notamment pour la recherche et la collaboration avec les partenaires locaux. Mais de nouveau, le but n’est pas ici d’obtenir immédiatement une chaine 100% éthique. On pourrait également critiquer le fait que, comme chez d’autres standards, les entreprises peuvent améliorer leur image alors même que tous les critères ne sont pas nécessairement atteints, en particulier sur la question du salaire vital (voir plus bas l’analyse du standard textile de Fairtrade).
En Belgique11
De nombreuses entreprises membres de la FWF écoulent leurs produits en Belgique. Sept d’entre elles sont des entreprises belges. Elles sont actives dans le secteur de la mode, du vêtement promotionnel et du vêtement de travail.
- Bel-Confect– vêtements de travail – membre FWF depuis 2016
- Claudia Sträter(FNG Group) – vêtements de mode – membre FWF depuis 2015
- Bel&Bo– vêtements de mode – membre FWF depuis 2014
- JBC– vêtements de mode – membre FWF depuis 2015
- Mayerline– vêtements de mode – membre FWF depuis 2010
- Stanley & Stella– vêtements promotionnels – membre FWF depuis 2011
- B&C– vêtements promotionnels – membre FWF depuis 2009
Les autres reproches faits à la démarche incluent sa limitation à l’étape de confection12, ainsi que l’absence d’indépendance des audits. En effet, la FWF forme elle-même ses auditeurs à ses critères et à son code de conduite. Au contraire du standard SA8000 par exemple, qui fait faire les audits par des organismes professionnels indépendants et agréés selon la norme IS065 (évaluation tierce partie), ce qui améliore en théorie la crédibilité. En théorie car du fait des nombreuses fraudes ou manipulations, l’hétéro-vérification, c’est-à-dire l’implication d’organisations locales, semble avoir plus d’impact sur le long terme, en plus d’être souvent moins coûteuse13. Enfin, on peut aussi se poser des questions sur l’utilisation du terme de « fair » dans le nom de l’initiative, étant donnée son approche plus éthique (droits fondamentaux des travailleurs dans un contexte industriel) qu’équitable (même si comme on le verra plus bas, la différence entre les deux approches tend à s’estomper).
En résumé, la FWF est une initiative multipartite spécialisée dans le textile dont l’approche est assez originale à plusieurs points de vue : son but non lucratif, l’équilibre des parties prenantes, sa démarche de progrès axée sur les marques, son système d’hétéro-vérification plutôt performant et crédible, sa transparence, etc. Du point de vue du consommateur, l’idée ici n’est pas d’acheter un produit « clean », mais bien d’encourager une marque à améliorer les conditions de travail dans les usines de confection participant à ses filières d’approvisionnement. Il est cependant peu probable que tous les consommateurs puissent faire la différence avec des standards plus classiques, en particulier du fait de la présence d’un label sur les produits.
4. Global Organics Textile Standard
Une autre piste pour s’habiller plus durablement est de choisir le textile biologique. Comme expliqué précédemment, le principe est ici d’étendre la certification biologique, qui s’applique initialement aux fibres agricoles (ex. coton), aux étapes de transformation ultérieures (le fil, le tissu et in fine les vêtements). Concrètement, cela signifie qu’un produit textile étiqueté « GOTS » :
- contient au moins 95 % de fibres biologiques certifiées (ou 70 % dans le cas d’une étiquette « composé de fibres biologiques ») ;
- et que ces fibres ont été transformées selon une série de critères sociaux (conventions de base de l’OIT14) et environnementaux (essentiellement l’interdiction ou la limitation de produits chimiques nocifs tels que métaux lourds ou les formaldéhydes, ainsi que les aspects de gestion des déchets, de l’eau, etc.).
À première vue, le système GOTS se révèle donc assez complet puisque combinant matières premières durables avec des étapes de transformation plus écologiques et respectueuses des droits des travailleurs.
Mais si l’on se met à la place d’un consommateur préoccupé essentiellement par les problématiques sociales, il se révèle in fine assez faible. Les critères sociaux du GOTS ne constituent en effet qu’un ajout à un cahier des charges axé historiquement en priorité sur l’environnement. En matière purement de protection des travailleurs, nous sommes donc ici dans une approche orientée plutôt sur la diminution des risques. Formulé de manière plus caricaturale : l’idée est de ne pas se retrouver avec un reportage sur le travail des enfants dans l’usine fournissant ses tee-shirts !
Cet aspect de « minimum syndical » sur les critères éthiques est renforcé par la difficulté pour un auditeur de se spécialiser à la fois sur le social et l’environnemental, les méthodes de vérification pouvant être assez différentes (ex. respectivement des entretiens avec des travailleurs vs. des analyses chimiques d’échantillons prélevés aléatoirement). On peut donc supputer qu’un auditeur GOTS, lors de son inspection des conditions de travail d’une usine, se retrouve vite à simplement « cocher des cases »15.
Enfin, un autre aspect qui tend potentiellement à diminuer l’exigence des critères du GOTS est le fait qu’il soit une norme d’harmonisation. A l’image du secteur alimentaire et de son label européen, le GOTS correspond en effet au « dénominateur commun » de plusieurs standards nationaux aux cahiers de charges différents, notamment l’Organic Trade Association aux Etats-Unis, Demeter en Europe ou encore la Soil Association au Royaume-Uni. Si la démarche permet une reconnaissance accrue auprès des consommateurs (B2C) et facilite les échanges entre les acteurs du secteur (B2B), elle produit comme souvent une forme de nivellement par le bas des critères16.
En dépit de ces différentes faiblesses au niveau social, le GOTS présente une spécificité intéressante, en particulier quand il est combiné avec des standards aux critères éthiques / équitables plus élevés : il oblige tous les opérateurs, depuis la post-récolte jusqu’à la confection, à séparer leur production certifiée biologique. Même si cela représente des contraintes manufacturières et donc un coût certain, cela permet d’assurer la traçabilité tout au long de la chaine. Contrairement à un standard tel que FWF (voir plus haut), le consommateur qui achète un vêtement GOTS peut donc être certain que le produit lui-même est couvert par un minimum de garanties sociales et environnementales.
5. Fairtrade International 17
5.1 Standard coton
Principal certificateur équitable, on pourrait penser que Fairtrade (anciennement FLO18) couvre depuis longtemps le secteur textile. Il n’en est rien, l’organisme n’y est présent que depuis 2005 et seulement de manière limitée dans un premier temps, puisqu’uniquement sur l’étape de production de coton. Cette certification coton est très similaire aux autres matières premières agricoles, puisqu’elle assure un prix minimum (variable selon les variétés et régions), une prime de développement, un préfinancement et le respect d’une série de critères sociaux (droit du travail principalement, sur la base de conventions de l’OIT) et environnementaux (interdiction des OGM, limitations des pesticides, pratiques agro-écologiques, culture pluviale, etc.).
Plusieurs études ont démontré un impact significatif du système, en particulier en matière d’organisation collective et démocratique des producteurs (qui leur permet notamment d’obtenir de meilleurs prix)19. Du côté négatif, la principale critique, en plus des faibles volumes certifiés20, concerne le caractère trompeur du label sur le produit : s’il indique bien « coton certifié », il a été démontré que la plupart des consommateurs pensent acheter un vêtement entièrement équitable. Or ce que Fairtrade demande aux autres opérateurs de la chaîne utilisant le coton équitable (filage, tissage, confection, etc.) est très basique : seulement « faire des efforts » pour respecter 11 conventions de l’OIT21, et ce avec des systèmes de vérification très variables22.
5.2 Standard textile
Afin de pallier ces défauts, Fairtrade a lancé courant 2016 un nouveau standard textile, après de nombreuses recherches et consultations. Ce standard complète la couverture équitable de la chaine en ajoutant au standard coton ci-dessus23 une certification sur toutes les étapes postérieures, de l’égrenage du coton jusqu’à la confection, y compris les sous-traitants. Les marques sont elles aussi incluses, puisqu’elles doivent entre autres établir des contrats justes, fiables et prévisibles pour faciliter les investissements à long terme dans l’amélioration des conditions de travail.
En plus de ce niveau de couverture assez unique, le standard inclut des critères assez développés en matière de liberté d’association et de négociation collective, ainsi qu’un processus de transition en 6 ans vers un salaire vital24. Un système de plaintes permet également aux travailleurs ou à des tierces parties de signaler des violations du droit du travail de manière directe et anonyme. Les autres critères sont relativement classiques et communs à la plupart des codes du commerce éthique (critères sur la sécurité, le travail forcé ou des enfants, la discrimination, etc.).
Des acteurs tels que Peter Williams, représentant d’Oxfam Grande-Bretagne au sein du WRAC (« Workers’ Rights Advisory Committee » de Fairtrade), estiment que ce nouveau standard est « crédible et capable d’initier la construction de chaines équitables à grande valeur d’exemplarité ». D’autres acteurs ont des positions plus critiques, en particulier la Clean Clothes Campaign (CCC), qui juge par exemple la période transitoire de six ans vers un salaire vital « irresponsable vis-à-vis des travailleur(se)s » et « tromperie des consommateurs ». Pour l’ONG, cela constitue un « avantage marketing indu » permettant à une marque de se revendiquer équitable avant même de devoir payer un salaire vital25. Elle est plus généralement très critique envers les audits sociaux, sur lesquels Faitrade fait reposer une grande partie de son système. Ces audits ne donnent selon elle que des instantanés d’une situation et sont donc totalement inefficaces sur des chaines aussi complexes que celles de l’industrie textile. La réponse de Fairtrade est que son système intègre une approche novatrice en matière d’assurance pour pallier les faiblesses les plus courantes du modèle d’audit (ex. amélioration de la compétence des auditeurs, renforcement de la participation des travailleurs au processus, etc.).
Au final, Oxfam-Magasins du monde (OMM) préfère retenir les éléments positifs de ce standard textile et de son programme de développement associé. Il constitue selon nous une avancée importante vers l’amélioration des droits des travailleurs du textile par l’introduction d’éléments innovants en matière de salaire vital, d’empowerment des travailleurs et de fiabilité des audits. Du fait de son lancement très récent, il n’est par contre pas encore possible d’acheter en Belgique des produits bénéficiant de cette certification.
6. Système de garantie WFTO
En attendant, la seule garantie équitable s’appliquant à des produits textiles existants est celle de la WFTO (World Fair Trade Organisation)26. Son approche est un peu différente des systèmes de certification classiques. Au lieu de fournir à une marque lambda un service de labellisation produit sur différentes étapes de la chaine, le système WFTO offre une garantie « organisation » à des acteurs spécialisés équitables. Ces derniers se fournissent généralement en produits équitables de manière plus directe que les acteurs conventionnels et souvent auprès de collectifs organisés d’artisans (et moins fréquemment auprès d’usines aux relations employeur / employés classiques)27.
C’est ce que l’on appelle la filière intégrée, dans laquelle la plupart des organisations sont de faible taille et ont comme business principal le commerce équitable. On retrouve le plus souvent dans cette filière des marques textiles de niche, spécialisées uniquement dans le vêtement équitable ou biologique (ex. People Tree au Royaume-Uni / Japon, Altromercato en Italie, EZA en Autriche ou Oxfam Intermon en Espagne). Quant à la distribution, elle se fait généralement au travers de réseaux alternatifs du type magasins du monde (ex. Oxfam-Magasins du monde en Belgique ou Artisans du Monde en France).
Les principales caractéristiques distinctives du système de garantie WFTO sont :
- Les critères, basés sur les dix principes du commerce équitable de la WFTO28, sont très axés processus, c’est-à-dire qu’ils permettent aux membres de s’améliorer de manière continue.
- Le système de contrôle utilisé se veut à la fois crédible et abordable, en se basant sur un mélange d’évaluations internes et externes : rapports d’auto-évaluation, audits externes, visites / évaluations par d’autres membres WFTO et mécanisme de surveillance / plaintes (« Fair trade accountability watch »). Les coûts des audits sont limités grâce un système associant la fréquence des contrôles aux performances passées des organisations, ceci afin de garder l’outil accessible à un maximum d’organisations29.
- La plupart du temps de petite taille et impliquées historiquement / philosophiquement dans le commerce équitable, les organisations partenaires du Sud sont proches de leurs publics bénéficiaires, ce qui assure une forme de légitimité et de garantie quant à la qualité sociale des produits.
- Enfin, une nouveauté de la nouvelle version de ce système de garantie est l’introduction d’un système de labellisation produit, c’est-à-dire la possibilité d’apposer le logo WFTO sur l’emballage du produit. Ce système permet aux vendeurs et partenaires membres WFTO de mieux communiquer leur engagement équitable, ainsi que de donner aux produits et producteurs un accès aux canaux de commercialisation conventionnels30.

Les différentes composantes du système de garantie WFTO
Le système de garantie WFTO se distingue donc des autres systèmes de certification textile essentiellement par sa spécialisation « organisations équitables », et de manière corrélée, sa souplesse et son caractère peu onéreux. Ces propriétés le rendent clairement intéressant pour des chaines aussi longues et complexes que les chaines textiles31. Si on le compare avec le standard textile de Fairtrade par exemple32, il est sans doute moins crédible au niveau des contrôles, mais on peut considérer que ce manque de fiabilité est compensé par l’engagement équitable de ses organisations membres.
Au Sud, cela signifie souvent plus de participation et d’empowerment des travailleurs (ex. gouvernance démocratique), gage par exemple de meilleures conditions de travail ou de l’absence de sous-traitance. Au Nord, cela peut amener davantage de réactivité et/ou d’innovation, certaines PME (petites et moyennes entreprises) étant par exemple à la pointe en matière de gestion des approvisionnements, de relations avec les fournisseurs, de qualité sociale des produits (ex. forme de commerce direct, visites régulières, programmes de support).
L’offre en vêtements équitables en Belgique
Aujourd’hui, l’offre en vêtements équitables en Belgique est relativement faible et dispersée, seuls quelques magasins spécialisés33 commercialisant des gammes relativement limitées et typées de produits. Certaines initiatives visent cependant le développement de l’offre, tel le programme Gent Fair Trade de la ville de Gent (historiquement un centre industriel textile très important) : ateliers de sensibilisation, soutien aux entrepreneurs, organisation annuelle d’une « Fair fashion fest », animation de groupes de bénévoles, etc. Au milieu des années 2000, Oxfam-Magasins du monde (OMM) avait elle-même développé une collection de vêtements équitables. Dénommée « Kutim » et rattachée à la gamme plus large de produits artisanaux « Made In Dignity » (MID), cette collection n’a pas perduré. Néanmoins, la démarche a permis à OMM de développer une certaine expérience, notamment en matière de suivi et d’évaluation (un système d’audit externe avait été rajouté au système de garantie de la WFTO, à l’époque fondé quasi uniquement sur l’auto-évaluation des partenaires34).
Cette filière n’est néanmoins pas exempte de défis. On peut citer par exemple le caractère parfois « typé ethnique » des vêtements équitables, les coûts de production souvent élevés (cf. économies d’échelles limitées, en lien avec des modes de production peu ou pas du tout industrialisés) ou encore le faible niveau de garantie sur certaines étapes de fabrication35.
Mais c’est surtout dans le domaine des salaires que les principes de WFTO se heurtent aux réalités de terrain. En théorie, le prix équitable payé et négocié aux organisations de producteurs doit permettre à ces derniers de percevoir un salaire vital. Mais des enquêtes ont montré que les salaires sont la plupart du temps bien plus proches des salaires minimums légaux que des salaires vitaux36. Les organisations se heurtent ici à de nombreux obstacles, allant de la définition / méthodologie de calcul du salaire vital, à la viabilité des activités de l’organisation (du fait de l’augmentation des prix induite par des salaires plus élevés), jusqu’aux modes de paiement (souvent à la pièce, ce qui pose l’enjeu du montant des commandes). La mise en œuvre d’une politique de salaire vital au sein de la WFTO, via une stratégie sur 5 ans, devrait permettre d’améliorer les pratiques des organisations membres37.
7. Conclusions
Au travers de l’examen de différents standards textiles, on a pu détailler dans cette analyse les différences majeures entre commerces éthique, biologique et équitable.
L’initiative éthique FWF est surtout fondée sur une démarche de responsabilisation des marques, pour une amélioration progressive des conditions de travail au sein de leurs réseaux de fournisseurs. Les standards équitables Fairtrade et WFTO ont une approche davantage basée sur la construction d’une chaine complète et exemplaire, afin de garantir au consommateur un produit 100% équitable. Le standard GOTS étend quant à lui les principes biologiques appliqués aux fibres aux étapes ultérieures de transformation, tout en assurant une bonne traçabilité et un niveau minimum de protection des travailleurs.
Toutes présentent bien sûr des limites plus ou moins prononcées, inhérentes au principe de régulation volontaire. Exemples : des critères parfois trop faibles ou un manque d’indépendance ou de rigueur de la vérification, des conflits avec les pratiques d’achat des marques, etc.38. Plus particulièrement, un problème propre à ces codes est leur nombre et leur variété, générant notamment une « fatigue de l’audit » chez les producteurs et une confusion chez la plupart des consommateurs39.
Malgré ces défauts, la position d’OMM est d’encourager proactivement le développement et la notoriété des standards présentés dans cette analyse. Au-delà de la question de leur impact, variable mais dans tous les cas significatif, cette approche se justifie selon OMM par le caractère extrêmement limité de l’offre actuelle en vêtements « durables » : l’étroitesse du marché fait que l’on ne peut tout simplement pas se permettre une vision trop critique ! Tant qu’un minimum de critères sont respectés, toute initiative allant dans le sens de vêtements plus durables est donc la bienvenue.
Il faut par ailleurs se rappeler que ces standards ciblent avant tout les consommateurs et leurs pratiques d’achat. Ils n’empêchent donc en rien, bien au contraire, d‘agir également aux niveaux politique et citoyen, comme le proposera OMM au travers de sa future campagne textile.
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