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Mexique : quand les artisan·e·s, avec le soutien de l’Etat, se rebellent contre le plagiat par des grandes marques

Analyses
Mexique : quand les artisan·e·s, avec le soutien de l’Etat, se rebellent contre le plagiat par des grandes marques
À travers le monde, un grand nombre de communautés autochtones font face au problème de « plagiat » ou d’appropriation de leurs artisanats traditionnels. Les marques pointées du doigt se justifient parfois en déclarant vouloir rendre hommage à une culture ou tout simplement user de leur droit à s’inspirer librement de motifs non protégés par le droit d’auteur. À l’inverse, les communautés se disent victimes d’un pillage qui ne profite qu’aux marques. Celles-ci n’hésitent pas à s’emparer de motifs traditionnels qu’elles reproduisent de manière industrielle sur des produits vendus à un prix beaucoup plus élevé que les créations originales, pourtant fabriquées à la main avec des matières locales et selon la tradition.

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Au Mexique, plusieurs scandales ont été récemment dénoncés tant par les communautés que par le monde politique et l’opinion publique, si bien que certaines marques ont fini par retirer du marché les produits mis en cause.
Après avoir passé en revue différents cas en s’interrogeant sur les préjudices subis par les artisan·e·s, nous analyserons quelles stratégies les communautés autochtones peuvent mettre en place afin de protéger leurs créations.

Comment défendre un patrimoine culturel traditionnel face aux appétits de grandes marques ou stylistes qui tentent de les récupérer à leur profit ?

Une styliste française accusée de plagiat

En novembre 2015, la page Facebook de la styliste française Isabel Marant a été couverte d’insultes dénonçant son plagiat de motifs traditionnels mexicains[1. http://www.atlantico.fr/rdv/revue-blogs/styliste-isabel-marant-contre-brodeuses-mexicaines-comment-affaire-chiffons-devient-affaire-etat-claire-ulrich-2493767.html#mKxzSJeqmOvkKDLV.99]. Ce « bashing » faisait suite à la découverte par le maire de Santa Maria Tlahuitoltepec (province d’Oaxaca), un village de la communauté Mix au Mexique connu pour ses broderies, qu’une copie d’une broderie traditionnelle locale se vendait à plusieurs centaines d’euros alors que l’original se vendait à 30$ sur place.

Photo parue sur le compte twitter de Letra Digital comparant le modèle original et sa copie par la styliste française Isabel Marant.

L’affaire a pris une dimension internationale lorsqu’un autre site mexicain[2. http://old.nvinoticias.com/oaxaca/general/agropecuarias/313297-franceses-pelean-diseno-blusa-tlahuitoltepec] a affirmé que la marque Antik Batik ainsi qu’Isabel Marant avaient tenté de faire breveter un modèle de broderie traditionnelle en tant que création originale.  Une avalanche de pétitions et de menaces de procès ont inondé les réseaux sociaux et les médias mexicains. La styliste française a publié un démenti mais cela n’a pas suffi à calmer la colère des internautes mexicains décidés à défendre coûte que coûte leur identité culturelle. Le modèle controversé a finalement été retiré de la vente et aucun procès n’a eu lieu.
Cette affaire a été suivie par nombre d’autres scandales du même type au Mexique.

Intropia : quand la mode « haut de gamme » s’empare de motifs traditionnels mexicains


Intropia est la marque montante du haut-de-gamme. Fondée à Madrid en 1994, présente dans plus de 1000 boutiques à travers 40 pays, elle prévoit d’atteindre un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros en 2020[3. Voir https://fashionunited.be/fr/actualite/business/intropia-l-espagnole-chic-se-developpe-a-paris-et-a-l-international/2017111313027].
Au début de 2017, une plainte a été déposée par la communauté de San Juan Bautista Tlacoatzintepec à Oaxaca contre ce géant de la mode. En cause : une copie d’un huipil[4. Le huipil est un vêtement traditionnel d’Amérique centrale et du Mexique orné de broderies chatoyantes qui diffèrent d’un village à l’autre] originaire de la région d’Oaxacan vendu au prix de 198 euros, sans aucun crédit aux artisan.e.s à l’origine de sa création. Cette copie a même été annoncée comme une pièce inspirée par la culture « aztèque », ce qui a grandement offensé les artisan.e.s de Chinantec qui n’appartiennent pas à ce groupe ethnique.

Quand le géant Nestlé vole les dessins de « petit.e.s artisan.e.s mexicain.e.s » au nom d’une campagne publicitaire ventant la culture indigène…


Découvrant par hasard en septembre 2016 que leurs dessins étaient utilisés pour décorer une série de tasses de cacao par Nestlé, le couple d’artisans Adalberto Flores Gómez et Angélica Martínez décident de porter plainte devant le Bureau du Procureur Général (PGR).
De son côté, la vice-présidente de la communication d’entreprise de Nestlé au Mexique, Julieta Loaiza, a rejeté toute forme de droit d’auteur. Selon elle, cette campagne a été conçue par l’agence de publicité JWT dans le but de « promouvoir les dessins et les traditions de la culture mexicaine. »
La firme considère qu’elle ainsi que l’artiste qui a conçu la campagne « respectent pleinement les formalités contractuelles établies dans la loi fédérale sur le droit d’auteur ». L’affaire est toujours en cours.[5. Voir http://iptango.blogspot.com/2017/11/mexico-seeks-protection-for-artisans.html et https://www.sintesis.mx/2017/10/23/acusan-a-nestle-de-plagiar-disenos-de-artesanos-hidalguenses/]

Mango : quand une multinationale de la « fast fashion » plagie des motifs traditionnels « à l’insu de son plein gré » …


En octobre 2017, la marque espagnole Mango est accusée d’avoir copié plusieurs motifs traditionnels mexicains, dont les fameuses broderies « Tenango », inventées par les communautés Otomí et Tephua dans l’Etat de Hidalgo. Plus de 1700 artisan·e·s pratiquent cet art de la broderie Tenango, inspiré par la flore et la faune de la région et enrichi avec des symboles mystiques de la région.
À nouveau, l’affaire suscite l’indignation. Le monde politique local se mobilise et tente de protéger les artisan·e·s en envisageant de les aider à porter plainte contre Mango tout en les encourageant à enregistrer leurs dessins auprès de l’Institut mexicain de la propriété industrielle (IMPI). Mais le découragement est grand, car ce n’est pas la première fois qu’ils et elles voient leur travail plagié, voire dénaturé. Comme le témoigne Adelzayda Canales, une artisane, le combat est inégal : « Le plagiat est presque inévitable, même si nous avons enregistré notre marque, nous sommes une très petite entreprise et poursuivre ce genre de sociétés n’est pas facile ». Beatriz Cajero, qui a travaillé comme brodeuse depuis l’âge de sept ans, est en colère : « Nous sommes en position de défense. Cela me rend triste qu’ils nous copient. Comment est-il possible qu’ils piratent l’art indigène ? »[6. Citations tirées d’un article paru sur https://mexiconewsdaily.com/news/clothing-firm-accused-of-copying-embroidery/ publié le 16 octobre 2017.].
Les artisan·e·s regrettent également que les grandes marques n’envoient jamais de représentants pour les rencontrer. Au lieu de cela, des intermédiaires achètent leurs vêtements en vue de revendre les motifs à des entreprises mexicaines ou internationales. Ainsi, la maison de couture française Hermes et la marque mexicaine Pineda Covalín se sont également approprié les motifs de Tenango, en vendant leurs produits sur le marché du luxe à des prix élevés mais sans en reconnaître la source. Les artisan.e.s vendent leurs pulls faits main entre 700 et 800 pesos (37-42 dollars), mais Mango, qui a des magasins dans le monde, a fixé sa version à 1.599 pesos (84 dollars), soit le double du prix des artisan.e.s.
Contrairement à Nestlé, suite à la vague de protestations dans les médias et réseaux sociaux mexicains, Mango a reconnu que les motifs du pull étaient inspirés des broderies de Tenango de Doria (Hidalgo) et a présenté ses excuses. Le directeur de communication de la firme espagnole, Guillermo Corominas Palomar, explique dans une lettre adressée à la députée mexicaine Paola Felix Diaz que c’est via Internet que ces motifs avaient été découverts et avaient servi « de sources d’inspiration » pour la création de leur pull. Selon lui, les concepteurs de Mango ne savaient toutefois pas qu’il s’agissait de représentations artistiques élaborées par des communautés autochtones. La firme a décidé de retirer du marché le pull controversé et se dit même prête à collaborer avec une association défendant les droits des communautés locales afin d’analyser les moyens de les dédommager.

Nike : « just do it » ! Quand le géant du sport s’approprie des motifs mexicains en les faisant breveter


L’art textile du Huichol a acquis une renommée internationale. Ses motifs complexes sont incroyablement beaux et racontent une vision du monde très large et profonde. Malheureusement, ils ont subi toutes sortes de plagiats… Le dernier en date provient de la marque Nike qui a breveté des designs emblématiques et les a utilisés pour leurs chaussures de tennis. Des symboles comme les «yeux de dieu», les cerfs bleus et autres personnages spécifiques à cette culture ornent désormais les chaussures de Nike et, théoriquement, ne peuvent plus être utilisés par les héritiers de cette tradition, car ils sont devenus la propriété intellectuelle de la marque internationale[7. Voir http://masdemx.com/2017/11/disenos-textiles-mexicanos-plagio-artesanos-indigenas-marcas-internacionales-plagian-disenos/].

The Pottery Barn : quand des coussins « made in China » copient ouvertement l’art des artisan.e.s mexicain.e.s


En 2016, le magasin de meubles et d’ameublement The Pottery Barn a présenté une collection de 10 pièces qui plagient les motifs traditionnels des Otomis. Petit détail non négligeable : les coussins brodés portent l’étiquette «Made in China».

Pourquoi tant d’émoi ?

Cette liste de scandales dénoncés par les communautés autochtones du Mexique est loin d’être exhaustive tant les exemples de plagiats de leur culture sont fréquents.
Mais pourquoi cela fait-il débat ? Ne pourrait-on pas considérer que les influences et échanges ont toujours existé entre les cultures ? Et n’est-il pas logique que, dans une économie mondialisée telle que nous la connaissons aujourd’hui, ce phénomène prenne de l’ampleur ?
À travers les exemples cités, nous avons pu voir à quel point cet « emprunt » par les grandes marques se fait au détriment des communautés autochtones, dont les droits intellectuels ne sont en général pas reconnus ni même mentionnés par les grandes marques. Pire, certaines multinationales comme Nike s’approprient carrément leur culture en faisant breveter des motifs traditionnels. Il est donc logique de dénoncer ces « emprunts culturels » lorsque ceux-ci se font sans le consentement et au détriment des communautés concernées.
Mais au-delà de l’aspect économique et juridique, certains défenseurs des communautés autochtones mettent en avant le caractère usurpateur, voire sacrilège des plagiats opérés par les grandes marques. Il ne s’agit pas d’un simple espionnage industriel mais d’une appropriation à des fins mercantiles de ce qui constitue l’essence même d’une culture dans ce qu’elle a de plus précieux. L’association DE MX, qui vise à explorer les différentes facettes de l’identité mexicaine, explique sur son site à quel point les motifs d’artisanat font partie de l’âme mexicaine et s’inscrivent dans un processus de création complexe :
« (…) Le contexte rituel de création artisanale condense une cosmogonie très riche, avec des motifs uniques. Pendant longtemps, les textiles ont même servi de toiles d’oracle mexicain. En outre, les processus au cours desquels ces motifs ont été créés nous renvoient à l’essence même de l’artisanat: des objets qui ne sont pas seulement uniques, mais qui sont chacun faits avec un peu d’âme. (…) Les dessins sont généralement représentatifs de l’identité de divers groupes autochtones. C’est dans ce sens qu’ils se transforment en or et deviennent des objets inestimables. »[8. http://masdemx.com/2017/11/disenos-textiles-mexicanos-plagio-artesanos-indigenas-marcas-internacionales-plagian-disenos/]

Face au pillage, quelles stratégies mettre en place pour protéger la propriété intellectuelle des communautés autochtones ?

Sur la page Wikipedia consacrée à la styliste française Isabel Marant, on peut lire que « selon le regard du droit mexicain comme du droit français ou européen, la « Blouse de Tlahuitoltepec » est dans le domaine public : elle n’est ni protégée par le droit d’auteur, ni par le droit des dessins et modèles, de sorte que chacun peut y puiser une libre inspiration. Aucune poursuite n’a été engagée à l’encontre d’Isabel Marant. »[9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabel_Marant]
La réalité est cependant plus complexe : en effet, le concept de propriété intellectuelle peut s’appliquer à l’artisanat traditionnel. Il n’existe pas pour l’instant de jurisprudence internationale en la matière mais l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), un organe de l’ONU, négocie un ou plusieurs instruments juridiques internationaux sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et aux expressions culturelles traditionnelles.[10. http://www.wipo.int/tk/fr/]
Dans un document émanant de l’OMPI[11. Voir http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/wipo_pub_tk_5.pdf], on distingue trois composantes de l’artisanat pouvant relever de la propriété intellectuelle :

  • la réputation découlant de leur style, de leur origine ou de leur qualité;
  • l’apparence extérieure (la forme et l’esthétique) ;
  • le savoir-faire, c’est-à-dire les compétences et les connaissances utilisées pour les créer et les fabriquer.

Chacune de ces composantes peut être protégée par un droit de propriété intellectuelle distinct.
Pour chacune de ces catégories, l’OMPI propose différentes solutions afin de protéger les créations artisanales des communautés autochtones :

I. Protection de la réputation et du caractère distinctif des produits de l’artisanat

1) Créer une marque

Le fait de créer une marque pourrait permettre aux artisan·e·s de mieux faire connaître leurs produits en mettant l’accent sur leur caractère authentique, ce qui augmenterait leur valeur aux yeux des consommateurs et leur permettrait de se distinguer des autres marques qui cherchent à les copier. La législation sur les marques pourrait également lutter contre les demandes abusives de marques essayant de faire reconnaître leurs produits comme des créations d’origine autochtone.

2) Créer une marque collective

En créant une marque collective, les artisan·e·s d’une même région peuvent se distinguer des imitations sans nécessairement passer par une certification qui peut s’avérer couteuse et énergivore. Tous les membres de l’association ont le droit d’utiliser la marque collective. Ainsi, au Portugal, la marque collective MGLASS apparaît sur les œuvres d’art en verre et en cristal soufflés à la bouche qui sont fabriquées par les artisan.e.s de la région Marinha Grande. L’avantage par rapport à la première solution réside dans la nature collective de la démarche, ce qui donne plus de pouvoir et de légitimité aux artisan·e·s et développe chez eux un sentiment d’appartenance collective et solidaire plutôt qu’une concurrence malsaine.

3) Créer une marque de certification

À l’instar d’une appellation d’origine contrôlée (AOP), ce type de solution permet de certifier que des produits ou services sont conformes à certaines normes et caractéristiques telles que l’origine géographique, le matériel utilisé, le mode de fabrication ou la qualité. Par exemple, au Panama, des étiquettes sont apposées sur les « molas » (ouvrages de tissu distinctifs fabriqués par des femmes artisanes Kuna) pour garantir leur authenticité et lutter contre la vente à grande échelle d’imitations de molas bon marché.

4) Mettre en place des indications géographiques

Une indication géographique peut s’appliquer à des produits ayant une origine géographique précise et possédant des qualités, une réputation ou des caractéristiques essentiellement dus à cette origine. Ces produits sont souvent le résultat de procédés et de savoirs traditionnels mis en œuvre de génération en génération par une communauté d’une région donnée. Par exemple, l’appellation d’origine Olinalá désigne des produits artisanaux en bois d’aloès provenant de la région, fabriqués par le peuple Olinalá au Mexique selon des techniques spéciales et au moyen de compétences particulières.
Mais il n’est pas toujours possible d’appliquer ce type de solution. Ainsi, dans l’affaire « Mango », bien que les traditions de broderies Tenengos soient considérées comme une des richesses culturelles du Mexique, elles ne peuvent pas être protégées par ce type de réglementation géographique. Kenia Montiel Pimentel, une représentante du Secrétariat d’Etat au Développement Social (Sedeso), était intervenue afin de conseiller les brodeuses lésées sur la protection du droit d’auteur de leurs dessins et modèles. Mais elle excluait de recourir à une indication géographique, car les matériaux et fils utilisés sont largement disponibles en dehors de la région. Enfin, les indications géographiques ne protègent pas directement les connaissances ou le savoir-faire associés aux produits de l’artisanat. Au contraire, ceux-ci restent souvent dans le domaine public, où ils sont régis par les systèmes de propriété intellectuelle conventionnels et peuvent faire l’objet d’appropriations illicites par des tiers.

5) Recourir à la législation contre la concurrence déloyale

La législation sur la concurrence déloyale est utilisée pour limiter les pratiques malhonnêtes sur le marché et peut constituer un moyen utile de lutter contre les revendications d’authenticité ou d’origine fausses et trompeuses.

II. Protéger l’apparence extérieure des produits de l’artisanat

1) Recourir au droit d’auteur

Grâce au droit d’auteur, les artisan·e·s peuvent protéger leurs œuvres dès leur création contre la reproduction et l’adaptation non autorisées. Les produits de l’artisanat peuvent être protégés par le droit d’auteur s’ils sont originaux et s’ils possèdent des qualités artistiques. On peut citer les émaux, les bijoux, les sculptures, les céramiques, les tapisseries, les articles tissés et les objets en cuir.

2) Enregistrer ses dessins ou modèles

Un dessin nouveau et original peut être enregistré pour être protégé. En général, la protection est accordée pour une durée limitée de 25 ans au maximum. Cela permet à l’artisan·e d’interdire aux tiers de fabriquer, d’importer, de vendre ou de distribuer des produits semblables  au dessin protégé ou qui s’en approchent beaucoup.

III. Protéger le savoir-faire associé aux produits de l’artisanat

1) Faire breveter une invention qui peut faire l’objet d’une application industrielle

Certaines inventions peuvent être brevetées, ce qui peut empêcher les tiers de les utiliser pendant une période déterminée, en général 20 ans. Cela peut s’appliquer aux produits de l’artisanat en protégeant le procédé ou les outils utilisés pour les fabriquer lorsqu’un·e artisan·e a amélioré considérablement un procédé antérieur ou inventé un nouveau procédé pouvant faire l’objet d’une application industrielle. Par exemple, des brevets pourraient protéger les nouvelles caractéristiques fonctionnelles d’objets tels que les outils à bois, les outils à main, les pinceaux, les peintures et les instruments de musique, de même que des améliorations fonctionnelles importantes apportées aux machines, métiers à tisser, séchoirs ou fourneaux utilisés pour la fabrication de produits de l’artisanat.

2) Secrets d’affaire

Les secrets d’affaires portent sur la composition ou la conception d’un produit, une méthode de fabrication ou le savoir-faire nécessaire pour réaliser une opération particulière. Par exemple, un tisseur de tapis peut connaître une technique plus rapide et plus rentable que celles de ses concurrents. Pour être considérée comme un secret d’affaires, l’information doit être confidentielle ou secrète, elle doit avoir une valeur commerciale en raison de son caractère secret, et des mesures raisonnables doivent avoir été prises pour qu’elle reste confidentielle ou secrète. Contrairement aux brevets pour lesquels une demande doit être déposée, les secrets d’affaires sont protégés automatiquement dès lors que l’information reste confidentielle.
Les artisan.e.s qui détiennent des secrets d’affaires peuvent empêcher les tiers de les acquérir, de les divulguer ou de les utiliser sans leur autorisation. Par exemple, si une entreprise de textile découvre qu’un employé a révélé une technique de tissage secrète à un concurrent, elle peut obtenir une ordonnance du tribunal interdisant à ce concurrent d’utiliser la technique en question.

Le commerce équitable, un autre levier de protection pour les communautés autocthones

En plus des solutions proposées par l’OMPI, le commerce équitable peut aussi constituer un levier pour la défense des droits culturels et de propriété intellectuelle des communautés autochtones. Comme le disait Cécile Duvelle, responsable de la division du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, dans une interview accordée à notre magazine Déclics en décembre 2013, « le commerce équitable est essentiel pour permettre aux artisans de vivre décemment de leur travail. Ce constat prend tout son sens lorsque l’on voit certains intermédiaires, comme des grands créateurs de mode ou des designers, tirer le plus gros bénéfice en s’emparant des savoir-faire au détriment des artisans eux-mêmes. Grâce au commerce équitable, beaucoup de communautés ont pu sauvegarder leur mode de vie. En soutenant des populations qui sont souvent les plus défavorisées, le commerce équitable évite aussi un appauvrissement général, tant sur le plan culturel que social. Autrement dit, cela permet à des gens de continuer à faire ce qu’ils aiment, plutôt que d’émigrer vers la ville où ils devront se fondre dans la masse des gens sans ressources. »[12. Voir https://www.oxfammagasinsdumonde.be/blog/article_dossier/sauvegarder-son-mode-de-vie-avec-le-commerce-equitable/]
Grâce au commerce équitable, les artisan·e·s accèdent plus facilement au marché international et peuvent bénéficier d’un préfinancement ainsi que de bonnes conditions de travail, à l’inverse du secteur informel. En se regroupant au sein d’une coopérative, ils et elles peuvent mutualiser certains outils et services tout en défendant leur propriété intellectuelle.
Par ailleurs, le commerce équitable est un mouvement international dont la structure internationale, la World Fairtrade Organisation (WFTO), accorde un label équitable aux producteurs/productrices qui respectent ses critères. Depuis peu, ce label peut être accordé aux produits d’artisanat.

Conclusion

Même si la voie juridique constitue certainement une avancée indispensable dans la protection de la propriété intellectuelle des communautés autochtones, elle comporte aussi des limites : comment croire qu’une petite communauté locale du Mexique soit de taille à affronter une multinationale capable d’aligner les meilleurs experts juridiques du monde ? On peut espérer que la jurisprudence leur donne raison dans certains cas mais cela n’empêchera probablement pas les grandes marques de continuer à se servir dans l’immense catalogue des richesses traditionnelles en toute impunité.
Dans l’affaire « Mango », on voit bien que ce n’est pas le droit qui a permis de faire reculer la multinationale mais bien l’indignation populaire relayée par les réseaux sociaux et par le monde politique, le gouvernement de l’État ayant promis aux communautés de les aider à se défendre[13. Voir https://mexiconewsdaily.com/news/clothing-firm-accused-of-copying-embroidery/ et http://masdemx.com/2017/11/disenos-textiles-mexicanos-plagio-artesanos-indigenas-marcas-internacionales-plagian-disenos/]. Il n’est pas certain qu’une action en justice aurait eu le même impact.
La prise de conscience de la part des consommateurs est un enjeu fondamental dans cette lutte pour le respect de la propriété intellectuelle des communautés autochtones. À cet égard, le mouvement du commerce équitable constitue un exemple de transparence et de respect des identités culturelles.[14. Voir l’analyse de François Graas et Véronique Porot « Pour une équité commerciale et culturelle » https://www.oxfammagasinsdumonde.be/blog/2010/12/07/artisanat-et-identite-culturelle-pour-une-equite-commerciale-et-culturelle/] La mobilisation sur les réseaux sociaux, les reportages dans les médias et l’interpellation du monde politique par les consommateurs et par le mouvement du commerce équitable sont des pistes intéressantes afin de relayer la voix des artisan·e·s.
Mais à l’heure de l’impression 3D et de l’artisanat 2.0, un des plus grands défis auquel devront faire face les artisan·e·s sera de répondre aux attentes du marché et d’évoluer grâce aux nouvelles techniques, notamment digitales. Comme le montre l’étude «Défis et perspectives de l´artisanat équitable : une analyse sous le prisme du design » d’Estelle Vanwambeke, l’artisanat traditionnel et le design ont beaucoup de points communs et peuvent s’enrichir mutuellement. En effet, pour qu’une tradition artisanale survive, il faut qu’elle évolue avec son temps tout en restant fidèle à ce qui crée son identité culturelle, sa fonction sociale et son caractère authentique et esthétique… Bref, en gardant tout ce qui la différencie de la production de masse industrielle et qui exprime la manière de voir et d´interpréter le monde d’une communauté culturelle.
Roland d’Hoop