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Oxfam-Magasins du monde

Transition agroécologique de la filière laitière wallonne

Analyses
Transition agroécologique de la filière laitière wallonne
Après l’analyse sur La souveraineté alimentaire à l’épreuve du secteur laitier wallon publiée en 2016, Oxfam-Magasins du monde a participé à un travail de recherche sur une transition agroécologique de la filière laitière wallonne. L’objectif de cette recherche était de trouver une manière efficace de maintenir l’agroécosystème laitier wallon dans des conditions durables. La présente analyse se base sur ce travail de recherche pour explorer ce qu’on entend par « transition agroécologique » et  analyser ce qu’impliquerait l’implantation d’un modèle de transition agroécologique en Wallonie.

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Dans une analyse précédente[1. Oxfam-Magasins du monde, Analyse : La souveraineté alimentaire à l’épreuve du secteur laitier wallon, Sébastien Maes, Décembre 2016.], nous vous proposions de mieux comprendre les rapports de force qui existent au sein de l’industrie laitière de notre pays et plus précisément en Wallonie. Suite à l’échec du projet Biodia, la volonté de cette analyse était d’identifier les mécanismes qui freinent la mise en place d’alternatives telles que la production et la distribution d’un lait bio et équitable. Cette analyse nous a permis de voir que la toute-puissance de la grande distribution et des opérateurs de l’agro-industrie exerce une pression sur les grandes laiteries, qui n’ont aujourd’hui des coopératives que le statut. Celles-ci reportent cette pression sur les productrices et producteurs de lait, contraints de vendre leur production à perte. Par ailleurs, nous avons également pointé toute une série de mécanismes de verrouillages au sein du secteur laitier, qui contribuent au fait que le modèle productiviste – axé sur l’agrandissement, l’intensification et la spécialisation des exploitations laitières – est toujours prédominant alors même qu’il est régulièrement remis en question.
Dans les mois qui ont suivi la publication de cette analyse, Oxfam-Magasins du monde a participé à un travail de recherche[2. Allal C., Ayral A., Corona F., Depas G., Detemmerman J., Ducatteeuw Y., Havard C., Jérôme E., Lautredoux C., Letocart F., Lewalle L., Maes S., Op de beeck V., Schrobiltgen M-H., Vandercammen M., Séminaire du certificat en agroécologie – Transition agroécologique de la filière laitière wallonne, UCL-ULg, Juin 2017.] sur une transition agroécologique de la filière laitière wallonne, dans le cadre d’un certificat interuniversitaire (UCL/ULg) en agroécologie et transition vers des systèmes alimentaires durables. L’objectif de cette recherche était de penser la faisabilité d’une transition agroécologique de la filière laitière wallonne et de trouver, par-là, une manière efficace de maintenir l’agroécosystème laitier wallon dans des conditions durables.
La présente analyse se base sur ce travail de recherche pour explorer ce qu’on entend par « transition agroécologique », pour étudier  sous quelles formes un système de certification, de distribution et de commercialisation agroécologique pourrait être établi, et finalement pour analyser ce qu’impliquerait l’implantation d’un modèle de transition agroécologique en Wallonie.

A. Transition agroécologique

Face aux dommages causés par le modèle agro-alimentaire productiviste sur les plans environnemental et socio-économique, une voie possible est celle de la transition agroécologique. Cette voie propose d’appliquer les concepts écologiques aux pratiques agricoles, tout en tenant compte des dimensions socio-économiques y afférant, afin de rendre ces écosystèmes qui fournissent notre alimentation (les « food systems ») plus durables. C’est précisément l’objet de l’Agroécologie – ou écologie appliquée à l’agriculture – d’étudier les interactions entre plantes, animaux, humains et l’environnement à l’intérieur d’un système agricole[3. Dalgaard T, Hutchings N, Porter J. (2003).].
La transition est un passage, une transformation, c’est quitter un état plus ou moins stable pour aller vers un autre état. De nombreuses théories des transitions existent. La faisabilité d’une transition impose de partir des contradictions du système agroalimentaire laitier wallon actuel, auxquelles nous avons notamment fait allusion dans l’analyse précédente[4. Idem 1 pour aller plus loin Idem ² pp.9-18.].
Le cadre conceptuel pour penser la transition peut envisager deux formes de modernisation: l’une faible, qui se limite à une amélioration des points faibles, l’autre profonde, qui implique un changement de paradigme et nécessite de réviser les modes de gestion des fermes, des filières et des ressources dans un territoire[5. Duru M. et al (2014).].
Dans le cas d’une transition profonde, il faut prendre en compte les différents niveaux du système (local, régional et national) et développer une approche holistique[6. Solagro – Afterres2050] qui permet de défragmenter les problèmes en abordant différentes thématiques (production agricole, alimentation, consommation, environnement…), différentes échelles dans l’espace (ferme, région, état, monde) et dans le temps (hier et aujourd’hui, à court et à long terme), sous l’angle de différentes disciplines (agronomie, socio-économie, écologie). Il s’agit donc de trouver le compromis entre les différentes dimensions de la durabilité(de la cohérence dans l’évolution de la production à la commercialisation des produits laitiers), de conserver le vivant au centre du système (bien-être animal, qualité du travail, santé publique) ainsi que d’intégrer la question du genre (quelle place pour les agricultrices ?).
Le cadre conceptuel qu’apporte l’agroécologie permet de comprendre ces processus agricoles de la manière la plus large possible. La recherche en agroécologie ne cherche pas à maximiser la production d’une denrée particulière mais à optimiser l’ensemble du système agricole (l’agroécosystème). C’est l’étude des interactions complexes entre les personnes, les cultures, la terre, les animaux domestiques, etc. Elle tend à développer une méthodologie pour étudier les systèmes agricoles afin de mettre au point des technologies adaptées aux besoins et aux ressources des agriculteurs/trices non-conventionnel.le.s. La combinaison des connaissances traditionnelles et du savoir moderne est le point de départ de la conception d’une agriculture durable basée sur l’autonomie et la résilience.
Dans son ouvrage « L’agroécologie : bases scientifiques d’une agriculture alternative », le Professeur Miguel Altieri définit l’agroécologie autour de 4 dimensions : économique, sociale, environnementale et technique, auxquelles s’ajoutent les notions de connaissances et de valeurs. Nous utilisons ces différentes dimensions pour les appliquer à l’analyse d’une transition agroécologique de l’agroécosystème laitier wallon.

a. Dimension économique

Le maintien des éleveurs/euses laitiers wallons se base sur les principes d’autonomie et de résilience en développant la collaboration, l’entraide et la coopération entre agriculteurs/trices, notamment via la création d’organisations de productions laitière.
La garantie du revenu des éleveurs/veuses passe par la diversification des sources de revenus, leur poids dans les négociations de commercialisation des produits et le gain de valeur ajoutée dans les produits vendus par l’agriculteur/trice.
Les agriculteurs/trices doivent maîtriser la structure de la filière (interconnexions entre les différents maillons) et la gestion des flux des produits laitiers et de leur transport, sur base de la répartition géographique de la production sur le territoire wallon.

b. Dimension sociale

La définition de valeurs communes à la profession qui replacent le vivant au centre du système (bien-être animal, qualité du travail, santé publique) et l’éthique dans la gouvernance des systèmes de production alimentaire, sous-tend la durabilité du modèle agroécologique. La souveraineté et la résilience alimentaire garantissent la sécurité alimentaire.
La perception du métier et la reconnaissance par la société et les consommateurs/trices de la contribution sociale positive de l’agriculture doivent être légitimées par ce modèle. Les conditions de travail garantissant la santé de l’agriculteur/trice et des salarié.e.s agricoles doivent être respectées et l’image de la profession revalorisée.
Le partage des connaissances entre pairs (valorisation des connaissances et des compétences, formation/éducation via des démarches participatives) est une des valeurs essentielles de l’agroécologie.

c. Dimensions techniques et technologiques

Les techniques d’élevage adoptées (choix des races, gestion des troupeaux, alimentation du bétail, connaissance épidémiologique…) doivent garantir la résilience des systèmes agricoles et leur adaptation au milieu et au changement climatique.
La qualité de l’alimentation animale se base sur le principe d’autonomie, la production de protéines locales, la gestion des pâturages permettant de mieux lutter contre le parasitisme (co-pâturage avec association de différentes espèces animales).
Une charte de qualité ou un SPG (système participatif de garantie[7. Oxfam-Magasins du monde, Analyse : Les Systèmes Participatifs de Garantie, une alternative citoyenne au label bio, Sébastien Maes, Décembre 2016.]) garantit la sécurité sanitaire (lait cru, transformation) qui s’inscrit dans une filière agroécologique pour assurer la santé des consommateurs/trices (réglementation adaptée).
La recherche agricole rassemble l’ensemble des acteurs qui travaillent en association pour une connaissance holistique des systèmes de production.

D. Dimension environnementale

L’agriculture doit garantir la conservation de la qualité de l’eau, du sol, de l’air, de la biodiversité sur base de critères écologiques de la production mesurés grâce à des indicateurs.
Elle est basée sur le principe d’économie circulaire par la circularité des différents flux d’énergie et de matière. L’énergie est récupérée et revalorisée au maximum. Tous les animaux sont utiles (veaux mâles également) et l’ensemble des déchets végétaux ou animaux sont adéquatement valorisés (fauche de refus, fumier, lisier, etc.).
Les pratiques adoptées réduisent au maximum leur impact environnemental : intrants agricoles, déchets (lisier), méthane (GES), érosion, etc. et visent à créer des impacts généraux positifs sur l’agroécosystème.
La mesure des critères écologiques et socio-économiques se réalise grâce à des indicateurs environnementaux et socio-économiques sur base d’une échelle de valeurs à définir.

B. Penser un système de certification, de distribution et de commercialisation agroécologique

En tant qu’acteurs du commerce équitable, nous sommes conscients que les comportements de consommation évoluent en tenant davantage compte des questions d’éthique, de santé, de qualité et d’environnement, surtout dans l’alimentaire. Le public est donc prêt à payer un prix plus élevé pour un produit ayant des qualités éthiques, sociales, nutritives et environnementales supposées « meilleures » que son équivalent issu de l’agriculture conventionnelle. Cependant, en apparence, ces qualités sont difficilement vérifiables. Les consommateurs/trices mobilisent donc les signes disponibles et connus (marques, labels, certifications, normes, etc.) pour motiver leurs décisions d’achats. C’est ainsi que nous constatons dans nos supermarchés une explosion du nombre de logos et de marques visant à orienter les choix de consommation.
Comme nous venons de le voir, un système agroécologique doit s’inscrire dans une dynamique « holistique » tenant à la fois compte des critères économiques, sociaux, techniques et environnementaux au sens large. En fonction du type de transition – faible ou profonde – adopté, un système de certification, de distribution et de commercialisation agroécologique peut s’envisager de deux manières :
a. Système faible – Il se distingue en restant dans le cadre normalisé du label européen AB (Agriculture Biologique). Il s’agit ici de ne pas simplement s’en tenir à la règlementation européenne qui autorise un certain nombre de pratiques discutables, mais de se baser sur ses procédures de certification, de contrôle et la logique de marché. Dans cette voie, la certification bio officielle est un prérequis indispensable pour l’obtention d’une « marque » agroécologique. Ce qui n’empêche pas d’aller plus loin d’un point de vue écologique, social et économique.
b. Système Fort - Il s’émancipe par rapport au label AB en passant à d’autres modes de certification (via les SPG comme Nature et Progrès) ou de valorisation (comme les circuits courts ou les AMAP) et en revenant à une approche participative et collaborative du lien entre producteurs/trices et consommateurs/trices. Il ne s’agit plus de faire appliquer des normes techniques figées et exclusives, mais de contribuer au développement des principes de transparence et d’évolution permanente pour tendre vers plus de cohérence écologique et sociale. Cette réglementation « par le bas », permet un retour à une approche agronomique globale de la ferme, tenant à la fois compte de critères environnementaux, techniques, sociaux et économiques au sens large.
Dès lors, le label AB serait plutôt un outil « agro-technologique » parmi d’autres pour la mise en place d’un système agroécologique, plutôt qu’une dynamique au sein de laquelle ce système devrait s’inscrire. Dans la mise en place d’un système d’assurance agroécologique, le respect du cahier des charges de l’AB serait néanmoins une base de référence pour définir le seuil minimal des pratiques agricoles à respecter, sans pour autant que la certification et l’obtention du label soient nécessaires.

C. Implantation d’un modèle de transition agroécologique en Wallonie

Face à l’urgence de la crise laitière wallonne, mais aussi mondiale, on aurait tendance à choisir d’entrer dans une transition « faible » du système. On se contenterait alors d’agir en amont et en aval, c’est-à-dire aux marges du phénomène en améliorant, par exemple, l’efficience des intrants, et en réduisant les impacts environnementaux. Mais se pose alors la question de savoir si cette approche répond à la gravité des enjeux. La deuxième possibilité, la transition « profonde », agit au sein même du système et implique un changement de paradigme. Elle nécessite de réviser les modes de gestion des fermes, des filières et des ressources dans un territoire. Elle va au cœur du système. Sa mise en marche est probablement plus difficile sur un plan général. Elle pourrait être lente, voire trop lente. Une coexistence entre transition faible – pour remédier au plus urgent – et une transition profonde – pour aller jusqu’au fond des choses – est probablement inévitable.
Il convient ici de revenir sur les verrouillages du secteur freinant l’émergence de systèmes laitiers alternatifs que nous avons évoqués dans notre analyse de 2016[8. Idem 1.]. À ce sujet, le groupe de recherche sur une transition agroécologique de la filière laitière wallonne, auquel Oxfam-Magasins du monde a participé, propose et développe une transition qui porte à la fois sur (1) la législation locale, nationale et internationale, (2) le secteur de la production, (3) le secteur de la transformation et (4) le secteur de la distribution. Ce qui permettra de faire sauter, à terme, ces verrouillages.
En tant qu’acteur de distribution alternatif, mais aussi de plaidoyer, Oxfam-Magasins du monde et son mouvement agissent et se doivent d’agir davantage, en collaboration avec d’autres acteurs favorables à une transition – forte et profonde – de l’agroécosystème laitier wallon et des systèmes agricoles dans leur ensemble. C’est notamment en ce sens que, outre ses collaborations à long termes avec nos partenaires producteurs/trices, notre organisation est à la fois impliquée dans différents réseaux de plaidoyer internationaux via Oxfam International, la WFTO[9. World Fair Trade Organization], la FTAO[10. Fair Trade Advicy Office] et dans des organisations de la société civile dont le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne (ReSAP) , dans l’organisation d’Agroecology in Action, du Forum des alternatives ou encore l’appui à la Via Campesina [10. Le Mouvement paysan international Via Campesina] via le travail d’Oxfam Solidarité.
Sébastien Maes