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Le textile socialement responsable : quoi de neuf ?

Analyses
Le textile socialement responsable : quoi de neuf ?
L’industrie textile est l’une des plus impactantes au monde aux niveaux social et environnemental. Ses chaines sont la source d’innombrables violations du droit du travail et de graves pollutions de l’environnement. Mais des avancées ont été observées ces dernières années, en particulier depuis le ‘catalyseur’ de prise de conscience et d’action politique qu’a constitué le drame du Rana Plaza. L’objectif de cette analyse est de recenser de manière la plus critique possible les quelques initiatives les plus récentes en matière de régulation (au sens politique) des chaines textiles.

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Ce n’est pas une grande nouvelle : l’industrie textile est l’une des plus impactantes au monde aux niveaux social et environnemental (voir infographie). De la production des matières premières (ex. pollution aux pesticides dans les champs de coton) à la confection des vêtements (ex. insécurité des usines, exploitation des travailleurs) en passant par les étapes intermédiaires de filage, tissage ou de teinture (ex. pollution des eaux de lavage), ses chaines sont la source d’innombrables violations du droit du travail et de graves pollutions de l’environnement[1. Nous ne reviendrons pas dans cette analyse sur ces différents impacts, déjà couverts de manière relativement approfondie dans deux précédentes études d’Oxfam-Magasins du monde : Veillard P. Décembre 2015. Travail décent et textile équitable. Impact du commerce équitable sur la durabilité des chaînes textiles. Analyse de contexte globale. et Veillard P. Décembre 2016. Travail décent et textile équitable. Impact du commerce équitable sur la durabilité des chaines textiles. Etude de cas de 4 organisations équitables Indiennes.].
Quelques chiffres résument bien la fuite en avant de ce modèle destructeur : plus de 100 milliards de vêtements ont été vendus dans le monde en 2016, ce qui représentait en France 9,5 kg par habitant, 60 % de plus qu’il y a quinze ans[2. Le Monde. 13/12/2018. Pourquoi s’habiller pollue la planète.]. Le secteur textile s’inscrit en cela dans un cadre plus large de pollution croissante et de consommation effrénée des ressources. C’est ce que certains auteurs dénomment « la grande accélération », i.e. la croissance exponentielle d’un ensemble très large d’indicateurs économiques, démographiques et environnementaux qui pourraient signifier, à terme, rien moins que l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle[3. Servigné. P. 30/09/2018. Conférence Bruxelles Environnement.].
En dépit de ce sombre tableau, des avancées ont été observées ces dernières années, en particulier depuis le ‘catalyseur’ de prise de conscience et d’action politique qu’a constitué le drame du Rana Plaza. L’objectif de cette analyse est de recenser de manière la plus critique possible les quelques initiatives les plus récentes en matière de régulation (au sens politique) des chaines textiles[4. Pour une analyse plus globale mais plus ancienne, voir : Veillard P. Décembre 2015. Ibid.].

Renouvellement de l’Accord Bangladesh

L’une des conséquences les plus immédiates et importantes du Rana Plaza avait été la signature en 2013 de l’Accord sur la prévention incendie et la sécurité des bâtiments d’usine au Bangladesh. Ce type d’accord, en gestation depuis 2010, constitue une nouvelle forme de régulation hybride[5. L’Accord fait partie d’une catégorie d’accords que l’on appelle les ‘enforceable brand agreements’ (EBA) en anglais, que l’on peut (imparfaitement) traduire par ‘accords exécutoires de marque’. Source : Veillard P. Décembre 2015. Ibid.] :  l’entrée des entreprises est volontaire, mais une fois engagées, elles doivent se soumettre à un contrat juridiquement contraignant. Suite à une mobilisation massive de différents syndicats et mouvements de la société civile, 220 marques et distributeurs d’habillement avaient signé cet Accord en 2013.
L’heure du bilan est venue en 2018, puisque l’Accord avait une durée de validité de 5 ans. Sur cette période, 1631 usines ont été inspectées, représentant 2 millions de travailleurs de la confection, amenant à l’identification de plus de 130.000 problèmes de sécurité. Fin 2017, 84% de ces problèmes étaient résolus, 142 usines avaient mis en œuvre l’entièreté de leur plan d’actions correctrices et 767 avaient corrigé 90% des problèmes identifiés[6. achACT. 2017. Rapport d’activités.].
Même si ces chiffres sont impressionnants, les défis restent importants. L’ensemble des usines inspectées ne représente ainsi que la moitié des usines textiles au Bangladesh (total de 3500, employant plus de 4 millions de personnes). Un enjeu est donc d’étendre la démarche à l’ensemble des usines, ainsi qu’à d’autres pays faisant l’objet de violations du droit du travail, par exemple l’Inde ou le Pakistan. Il faudrait également pouvoir élargir ce type d’accord à d’autres secteurs que la sécurité des bâtiments, tel le salaire vital. Après la tragédie, le salaire minimum légal au Bangladesh est bien passé de 3000 à 5300 takas, soit environ 55€. Mais l’inflation enregistrée depuis lors a largement érodé cet acquis[7. Public Eye. Avril 2018. Rana Plaza : sur les traces de la tragédie. Magazine Public Eye n°11.].
Afin de poursuivre et pérenniser les avancées, les termes d’un nouvel Accord ont été négociés dès 2017[8. 175 entreprises textiles avaient signé l’Accord le 1er juin 2018, date de son entrée en vigueur. Au total, il couvre 1300 usines et environ deux millions de travailleurs. Si la plupart des principaux clients du Bangladesh, à savoir Primark, H&M, C&A, Carrefour ou Aldi l’ont signé, certaines entreprises s’y refusent toujours, comme IKEA, Abercrombie & Fitch, The North Face, GAP ou Walmart. ]. Ses objectifs étaient d’effectuer la transition vers un système géré par les autorités du Bangladesh ainsi que d’étendre le champ d’action du premier Accord. Sur ce dernier point, les principaux progrès concernent une reconnaissance accrue du droit à la liberté syndicale, ainsi qu’une meilleure protection des travailleurs dont les usines sont fermées ou délocalisées suite à la mise en œuvre de l’Accord. Est offerte également la possibilité d’étendre l’Accord à d’autres secteurs que l’industrie du prêt-à-porter[9. HIVA KU Leuven. 2018. Belgium and the sustainable supply chain agenda: leader or laggard? Review of human right due diligence initiatives in the Netherlands, Germany, France and EU, and implications for policy work by Belgian civil society. ]. Ce 2ème Accord a été signé par plus 180 entreprises, dont 11 entreprises belges[10. Bel Confect, C&A, Bel&Bo, Euro Shoe Group, Cassis/Paprika, Global Impact, JBC, Jogilo, Tex Alliance/Crony tex sourcing, Van der Erve et Vegotex. Source : achACT. 25/10/2018. Bangladesh : l’Accord 2018 menacé par l’inaction du gouvernement.].

Mais ce nouvel Accord de transition est menacé. Suite à une plainte déposée fin 2018 par un propriétaire d’usine, la Cour Suprême du Bangladesh a rendu une ordonnance qui empêche l’Accord d’opérer au Bangladesh après une certaine date (plusieurs fois reportée déjà, la décision finale de la Cour devrait être annoncée le 19 mai 2019). Dans les faits, les autorités bangladaises veulent un transfert rapide et inconditionnel des activités de l’Accord aux entités de contrôle nationales (évitant en cela une supervision par l’OIT[11. Organisation Internationale du Travail.], entre autres). Mais la plupart des parties prenantes estiment que ces organismes d’inspection bangladais n’ont ni les capacités de contrôle suffisantes, ni des critères assez rigoureux pour s’acquitter de cette tâche. L’alternative serait que l’Accord opère uniquement à partir de son siège d’Amsterdam, ce qui préserverait l’indépendance du programme. Mais un tel transfert coûterait très cher, notamment en frais de consultance, et donc réduirait fortement la capacité de l’Accord à contribuer à la sécurité des usines[12. achACT. 14/02/2019. Le gouvernement du Bangladesh met en péril les progrès réalisés depuis le Rana Plaza.].

Transparence des chaines d’approvisionnement

Une autre conséquence du Rana Plaza aura été l’attention accrue portée au concept de transparence de filière. Porté par de nombreuses organisations, ce combat vise à identifier de manière plus systématique la relation entre usine et donneur d’ordre[13. Malgré les revendications croissantes de la société civile et du grand public, moins d’un quart des marques publieraient la liste de leurs fournisseurs de premier rang. Une étude de ‘Baptist World Aid Australia’ indiquait ainsi qu’en 2014, sur 214 marques présentes sur le marché australien, seules 20% publiaient la liste de leurs fournisseurs de premier rang. Une autre étude de l’organisation ‘Rank a Brand’ indiquait elle 7% de publications, sur un total de 350 marques présentes sur les marchés allemand et hollandais. Source : Baptist World Aid Australia. 16/04/2015. The truth behind the barcode. The Australian Fashion Report 2015.], une condition première pour s’attaquer à d’éventuelles violations du droit du travail dans une chaine d’approvisionnement. Elle permet aux ONGs, syndicats, travailleurs, consommateurs, etc., de relier directement ces violations avec la marque commanditaire de produits et de lui demander de mettre fin aux abus chez son fournisseur et/ou de contribuer à réparer les dommages causés. De manière plus globale, la transparence crée un climat de confiance et améliore la crédibilité de l’entreprise, qui signale ainsi qu’elle ne craint pas d’être tenue responsable des violations des droits du travail perpétrées dans sa filière d’approvisionnement[14. achACT. 2017. Tirez le fil.].
L’une des dernières initiatives dans ce domaine est le Pacte pour la Transparence. Lancé en 2017 par une coalition de 9 syndicats et organisations internationales de défense des droits humains[15. La coalition se compose de la Clean Clothes Campaign, de Human Rights Watch, d’IndustriALL Global Union, de la Table ronde internationale sur la responsabilité d’entreprise (ICAR), du Forum international des droits du travail (ILRF), de la Confédération syndicale internationale (CSI), du Maquila Solidarity Network, d’UNI Global Union et du Consortium des droits des travailleurs (WRC).], ce pacte engage les entreprises signataires à publier sur leur site web toute une série d’informations, incluant le nom complet des différentes unités de production, leurs adresses, le type de produits, le nombre de travailleurs, etc. En février 2018, 22 marques, sur un total de 72 interpellées, s’étaient engagées à publier de telles informations sur leurs filières d’approvisionnement. Par la suite, une pétition a été lancée par la coalition afin d’interpeller les entreprises non signataires (entre autres Primark, Armani, Forever 21, Urban Outfitters, Walmart). Cette pétition, qui a réuni un total de 67.981 signatures, a été remise à la branche belge de Primark lors d’une action urgente co-organisée par achACT[16. achACT est la branche belge francophone de la Clean Clothes Campaign (CCC). ] et la mobilisation jeune d’Oxfam-Magasins du monde le 13 janvier 2018 à Bruxelles. Une mobilisation gagnante puisque l’entreprise irlandaise a publié la liste de ses fournisseurs moins d’un mois plus tard[17. http://www.achact.be/news-info-289.htm.].
Une autre organisation ayant largement contribué aux avancées dans ce domaine est ‘Fashion Revolution’. Créée en 2013 à suite du Rana Plaza par les deux créatrices de mode Carry Somers et Orsola de Castro, ce mouvement a immédiatement connu un succès retentissant, en particulier sur les réseaux sociaux. Son hashtag #whomademyclothes, exigeant comme son nom l’indique plus de transparence dans le secteur de la mode, est repris chaque année par des millions de consommateurs[18. En avril 2017, les hashtags de Fashion Revolution ont par exemple eu une portée (nombre de personnes atteintes par une publication) égale à 150 millions. A noter que depuis quelques années, le hashtag « I made your clothes » est également repris par des travailleurs et travailleuses du monde entier. Source : https://www.fashionrevolution.org/2017impact/.]. Sur son initiative, le 24 avril est célébré chaque année comme le « Fashion Revolution day » (la journée de la révolution de la mode). Il est intégré depuis 2016 dans une semaine (« Fashion Revolution week ») d’évènements de sensibilisation partout dans le monde (l’organisation fonctionne sur une base principalement volontaire dans plus de 100 pays). Les exemples d’évènements et d’activités incluent divers outils de campagne (affiches, flyers, kits d’action, fanzines), des vidéos telles que ‘Le T-Shirt à 2 Euros’[19. Cette vidéo a été visionnée plus de 6,5 millions de fois et a remporté un prix Lions à Cannes.], du matériel éducatif (ex. quiz, cours en ligne), des débats au Parlement Britannique et dans les instances européennes, etc. Surtout, l’organisation publie depuis 2016 le ‘Fashion transparency index’[20. Fashion Revolution. Fashion Transparency Index 2018. ], un examen annuel de 100 des plus grandes marques et détaillants mondiaux de la mode, classés en fonction de ce qu’ils divulguent sur leurs politiques, pratiques et impacts en matière sociale et environnementale.

En parallèle de ces actions de la société civile au sens large, d’aucuns prônent une approche sur la transparence résolument technologique, à l’aide de la blockchain. Cette technique développée pour supporter l’essor de la monnaie électronique bitcoin[21. Le bitcoin est une monnaie électronique (pas de billets ni de pièces émises) qui repose sur un réseau informatique décentralisé. Elle ne dépend donc pas d’un organe tel qu’une banque centrale, comme c’est le cas pour l’euro ou le dollar, mais sur un réseau informatique où chacun des utilisateurs va jouer le rôle à la fois de serveur et de client. C’est ce qu’on appelle un système de pair à pair (ou P2P). Toutes les transactions réalisées entre les différents utilisateurs du bitcoin sont répertoriées et enregistrées dans un grand registre informatique, la blockchain. Cette dernière utilise des blocs de transaction chiffrés, qui s’ajoutent les uns aux autres. C’est pour cette raison que l’on parle aussi de cryptomonnaie. Source : Le Monde. 11/10/2017. Le bitcoin en cinq questions. ] s’exporte dans de nombreux secteurs, dont le textile. Le principe de cette « machine à confiance » comme la surnomme l’hebdomadaire The Economist, est de permettre le stockage et la transmission d’informations tout au long d’une filière, et ce de manière infalsifiable (voir encadré)[22. Novethic. 29/06/2018. Carrefour, Walmart, Casino… La grande distribution mise sur la blockchain pour redonner confiance.]. Lors du ‘Fashion Summit’ de Copenhague en mai 2017, la créatrice Martine Jarlgaard a présenté la première chaîne de vêtements intégrant la blockchain. Développé en collaboration avec la startup Provenance, le système permettait en un simple scan de QR code de retracer l’historique complet de la chaîne d’approvisionnement des différents vêtements (chaque fil de laine était même associé à un nom d’alpaga !)[23. Novethic. 30/08/2018. Pourquoi la blockchain ne révolutionnera pas la fast fashion. ]. Reste que derrière les éloges, des critiques émanent. La blockchain est fantastique pour ce qui est de la création de documents de références. Mais la grande lacune de cette technologie est que rien ne permet de certifier la qualité des personnes qui entrent les données et la validité de ces dernières[24. Novethic. 29/06/2018. Ibid.].

Blockchain, quezako ?[25. Oxfam International. Juin 2018. Derrière le code-barre. ]

Certaines entreprises ont lancé des projets pilotes de blockchain, cette technologie du « grand livre distribué ». La technologie blockchain est un système d’information partagé entre ordinateurs qui permet aux membres d’un réseau d’ajouter des données et de voir les informations ajoutées par les autres. Lors de l’ajout de données, portant par exemple sur une opération entre deux membres du réseau, celles-ci sont vérifiées par les utilisateurs. Après quoi, il n’est plus possible de les modifier. Jusqu’à présent, cette technologie a principalement été mise à l’essai par des producteurs paysans de produits alimentaires alternatifs, comme des marchés de producteurs. Mais Carrefour a annoncé récemment avoir recours à cette technologie pour améliorer la traçabilité de poulets élevés en liberté (le distributeur prévoit d’élargir cette approche à huit autres filières animales et végétales). Certaines initiatives pilotes semblent démontrer des bénéfices pour les acteurs les plus faibles des chaines d’approvisionnement (ex. paiements plus rapides, élimination des intermédiaires, accès pour les paysans à des informations sur le marché et aux données de la chaîne d’approvisionnement afin d’obtenir un meilleur prix et réduire leurs déchets). Toutefois, certaines applications pourraient renforcer la puissance des plus gros acteurs. Ainsi, l’insertion de capteurs de température le long du transport logistique et l’envoi des données vers une blockchain leur permettrait de surveiller la qualité des aliments le long de la chaîne d’approvisionnement et potentiellement d’infliger aux fournisseurs de nouvelles sanctions contractuelles en cas de problèmes. Quelle que soit sa finalité d’utilisation, on peut s’attendre à ce que la technologie blockchain ait des effets très importants sur les chaines d’approvisionnement mondiales, et partant, sur l’économie entière.

Dans tous les cas, nombre de ces initiatives en matière de transparence constituent une avancée pour les droits des travailleurs et travailleuses de l’industrie textile. Mais cette transparence reste le plus souvent limitée à l’étape de la confection. Un enjeu important est donc de l’étendre à d’autres étapes de la production, comme le filage, le tissage, la production de matières premières telles que le coton, etc. De plus, la transparence ne permet pas à elle seule d’améliorer les conditions de travail ni la prise de responsabilité des entreprises, et doit s’intégrer dans un cadre plus global de diligence raisonnable en matière de droits humains au sein de la filière d’approvisionnement.

Diligence raisonnable en matière de droits de l’homme

Les principales avancées législatives dans le secteur textile depuis quelques années sont liées à ce que l’on appelle la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme (‘Human Rights Due Diligence’ en anglais, ou HRDD). Selon ce principe, les entreprises ont la responsabilité d’identifier et de prévenir les éventuelles violations en matière de droits humains liées à leurs activités, en particulier dans les pays tiers aux législations sociales et environnementales plus faibles. Si de telles violations sont repérées, elles doivent les atténuer et fournir des réparations aux victimes[26. Veillard P. Décembre 2015. Ibid.]. Ce concept a récemment gagné beaucoup d’importance dans les débats politiques internationaux, et ce pour plusieurs raisons : les exigences croissantes de la société civile en matière de transparence (voir plus haut) ; le caractère opérationnel de la HRDD pour les entreprises (i.e. facilité de mise en pratique par rapport à d’autres types de législations) ; et la multiplication des cadres normatifs, notamment au niveau international (ex. Principes directeurs des Nations Unies pour les entreprises et les droits de l’homme, lignes directrices de l’OCDE sur les entreprises multinationales)[27. OCDE. 19/04/2018. Guide sur le devoir de diligence applicable aux chaînes d’approvisionnement responsables dans le secteur de l’habillement et de la chaussure.].
On relèvera trois initiatives nationales en Europe qui pourraient permettre d’avancer vers une plus grande régulation du secteur textile :

  • L’Accord sur l’habillement et le textile durables aux Pays-Bas[28. Dutch Ministry of Foreign Affairs. 10/03/2016. Agreement on sustainable garment and textile.]. Conclu en juillet 2016, cet accord est une initiative multipartite réunissant associations professionnelles, syndicats et ONGs, sous l’égide du Conseil économique et social hollandais (au rôle à la fois de coordinateur, de bailleur de fonds et d’arbitre[29. Par exemple pour évaluer le mérite des plans d’action et des rapports de surveillance, ou pour appuyer les objectifs de transparence du partenariat, en gérant une importante base de données de fournisseurs. Source : KUL.]). L’accord engage les entreprises signataires[30. Le premier rapport annuel de l’accord a été publié en décembre 2017. Il indique que 65 entreprises y adhèrent, représentant 37 % du secteur. Source : HIVA KU Leuven. 2018. Ibid.] à travailler collectivement pour améliorer la durabilité de leurs chaines textiles, principalement sur base d’échanges de connaissances, de bonnes pratiques et de projets communs (ex. programmes de formation de travailleurs au sein des usines). Chaque entreprise participante doit notamment évaluer sa chaîne d’approvisionnement selon les principes de diligence raisonnable et élaborer un plan d’action pour régler les éventuels problèmes constatés.
  • Le Partenariat allemand pour des textiles durables. Lancé en avril 2014 par le ministre de la coopération Dr. Gerd Müller, ce partenariat est très similaire à l’accord hollandais, i.e. fonctionnant sur le principe de table ronde impliquant différentes parties prenantes[31. Plus de 70 à son lancement, essentiellement du secteur privé, en particulier des PME, ainsi que des syndicats, ONGs, systèmes de certification, le tout sous l’égide des autorités publiques (le ministère de la coopération). Source : Federal Ministry for Economic Cooperation Development.  December 2014. Sustainable textiles : What German development policy is doing.]. Les priorités du plan d’action découlant de ces discussions incluent la transparence des chaines, la réduction des produits chimiques nocifs, la liberté d’association et la progression vers un salaire vital.
  • La loi sur le devoir de vigilance en France. Promulguée par le Parlement français en février 2017, elle impose un devoir de diligence aux grandes sociétés mères[32. Plus de 5 000 salariés pour celles implantées en France, 10 000 pour les filiales d’entreprises étrangères. Dans la pratique, environ 200 entreprises sont concernées par la loi.] pour toutes les activités exercées par leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, quels que soient le secteur d’activité et le risque. Plus précisément, les entreprises sont tenues de concevoir un plan de HRDD, de le rendre public et de faire régulièrement rapport sur sa mise en œuvre. En cas de non publication de ce plan, elles encourent des amendes allant jusqu’à 10 millions d’euros, 30 millions si ce manquement entraîne des dommages qui auraient pu être évités.


La loi française constitue sans aucun doute la tentative la plus ambitieuse de réguler les chaines d’approvisionnement. La plupart des initiatives (de type RSE, basées sur la simple autorégulation par les entreprises) se concentrent principalement sur la transparence et l’information, en faisant hypothèses que la mise en commun de connaissances, la diffusion de bonnes pratiques et une confiance mutuelle accrue généreront des avancées substantielles. La loi française exige au contraire des entreprises qu’elles s’attaquent aux risques de manière proactive, et ce sous peine de lourdes amendes. Même si elle est limitée à quelques larges sociétés et que la charge de la preuve incombe toujours aux victimes, elle contribue largement à la transition vers des cadres de régulation plus contraignants[33. HIVA KU Leuven. 2018. Ibid.].
Les initiatives allemandes et hollandaises ont une nature plus hybride : elles reposent essentiellement sur une approche volontaire, mais celle-ci est combinée avec quelques caractéristiques contraignantes. Malgré leurs nombreux défauts, elles pourraient contribuer à un cadre global plus harmonisé, notamment au niveau européen. Avec l’enlisement de l’initiative phare de la Commission européenne, la seule avancée à ce niveau est le vote par le Parlement européen le 27 avril 2017 d’un rapport d‘initiative sur le devoir de vigilance et la transparence dans la filière de la confection du textile[34. European Parliament. 28/03/2017. Report on the EU flagship initiative on the garment sector.].

Conclusions

Nous conclurons en indiquant que de nombreux systèmes de certification ou de gestion constituent des outils intéressants pour les entreprises souhaitant mettre en place une démarche de transparence et/ou de diligence raisonnable. Plus particulièrement, le nouveau standard textile de Fairtrade International pourrait se révéler un bon moyen de s’assurer que les risques et les coûts liés à l’opérationnalisation d’une politique HRDD ne soient pas reportés sur les maillons les plus faibles de la chaine. L’inclusion dans son cahier des charges de critères visant l’octroi de salaires vitaux permet en effet de mieux rémunérer les travailleurs (ainsi que les petits producteurs de coton via le standard coton et son prix équitable). On remédie ici à une faiblesse mainte fois dénoncée de standards tels que le SA8000, qui reporte toute la ‘charge’ de mise aux normes sociales sur le fournisseur, pression le plus souvent répercutée sur les travailleurs. Le problème majeur dans le cas du standard textile de Fairtrade International est son caractère très récent (il a été lancé dans le courant de l’année 2016), et par voie de conséquence, le nombre encore très faible d’entreprises engagées dans le système de certification[35. À la suite du lancement officiel du standard en mars 2016, seules 3 marques (allemandes – nommées 3Freunde, Shirts for Life and Melawear) se sont engagés en mai 2016 à l’utiliser. Source : Fairtrade Africa. Consulté le 17/12/2018. ].
Patrick Veillard